La question semblait réglée. Mais la Cour d’appel du Québec a dû le répéter une autre fois jeudi : les articles de la Loi sur la protection du consommateur (LPC) visant à protéger les consommateurs s’appliquent aux entreprises de compétence fédérale comme les entreprises de télécoms.

Près de dix ans après le début d’un litige pénal face à l’Office de la protection du consommateur (OPC), Telus (117 constats d’infraction à la LPC) et Bell (deux constats d’infraction) devront maintenant se défendre sur le fond. L’OPC veut leur imposer des sanctions pénales pour ne pas avoir respecté la LPC. L’organisme réclame 12 500 $ par infraction, soit 1,5 million pour Telus et 25 000 $ pour Bell.

On reproche notamment à Telus et à Bell d’avoir illégalement imposé aux clients des pénalités pour annuler un service de téléphone portable, imposé des délais avant de pouvoir casser le contrat, et prévu un mécanisme inéquitable de remboursement d’un téléphone en cas de cassation du contrat. L’OPC allègue que ces pratiques enfreignent la LPC.

Telus et Bell invoquaient qu’on n’avait même pas à faire le débat sur le fond puisqu’elles étaient exemptées de l’application de la LPC. Motif : elles sont des entreprises de compétence fédérale, et la LPC est une loi provinciale s’appuyant sur la compétence provinciale de régir les contrats et le droit civil.

L’argument n’est pas nouveau. Il a été avancé par les banques – autre catégorie d’entreprises de compétence fédérale –, qui ont perdu leur cause en Cour suprême en 2014.

Cette fois-ci, la Cour du Québec avait donné raison en première instance à Telus et Bell, mais ce jugement a été cassé en 2020 par la Cour supérieure. Dans une décision rendue jeudi, la Cour d’appel vient de confirmer la décision de la Cour supérieure. Les articles de la LPC visant à protéger les consommateurs s’appliquent donc aux entreprises de télécoms, compétence fédérale ou non. Prétendre le contraire reviendrait à accorder aux entreprises de télécoms une « immunité floue qui n’a pas sa raison d’être », écrit la Cour d’appel.

En deuxième lieu, Telus et Bell ont aussi plaidé la doctrine de la prépondérance fédérale, qui veut qu’une loi provinciale cède le pas à une loi fédérale dès qu’il y a un conflit entre les deux lois. Or, la Cour d’appel rappelle que les tribunaux ont considérablement réduit la portée pratique de cette doctrine en interprétant les lois de façon à minimiser les conflits entre les lois fédérales et les lois provinciales. Les tribunaux favorisent plutôt « une interprétation harmonieuse, souple et compatible des lois provinciales et fédérales », rappelle la Cour d’appel, qui a rejeté l’argument de Telus et Bell.

Le débat reprendra sur le fond pour 1,5 million

Est-ce à dire que le débat est clos ? Non.

Tout d’abord, Telus et Bell peuvent demander la permission de porter le débat en Cour suprême. Elles n’ont pas précisé jeudi leur intention à ce sujet.

Même si on évitait un débat en Cour suprême, il faudrait maintenant trancher le litige sur le fond : Telus et Bell ont-ils enfreint la LPC avec leurs pratiques ? Le débat retournera alors devant la Cour du Québec.

Bell et Telus n’ont pas souhaité faire de commentaires sur le dossier, pas plus que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), qui représentait l’OPC dans ce dossier pénal.

Deux actions collectives contre Bell

En théorie, cette décision de la Cour d’appel ne vise que le litige entre l’OPC et Telus/Bell. Aucun consommateur ne sera dédommagé dans le cadre de cette poursuite pénale.

En pratique, cette décision servira probablement dans au moins deux actions collectives entreprises contre Bell où on allègue que l’entreprise n’a pas respecté la LPC. Les deux actions collectives ayant été autorisées, le débat peut maintenant commencer. Les consommateurs visés seront dédommagés en cas de victoire.

La LPC s’applique presque toujours…

La LPC s’applique-t-elle aux entreprises de télécoms dans 100 % des cas ? Non, a confirmé la Cour suprême dans une décision rendue (ironiquement) jeudi. La Cour suprême a refusé d’entendre un appel d’une décision de la Cour d’appel du Québec. Celle-ci a conclu qu’un article de la LPC forçant les fournisseurs de services internet à bloquer les sites de paris jugés illégaux par Loto-Québec ne s’appliquait pas aux fournisseurs de services internet. La Cour d’appel a jugé que l’objectif de cet article de la LPC n’était pas de protéger les consommateurs, mais de régir les télécommunications, une compétence fédérale. Québec ne s’est pas aidé dans ce dossier en déclarant publiquement que l’objectif de cet article de LPC – introduit en 2016 par le gouvernement Couillard dans le cadre de la Loi sur le budget – était de bloquer les sites illégaux et de hausser les revenus de Loto-Québec.

Vincent Brousseau-Pouliot, La Presse