Le chien de garde de l’industrie demande la révocation à vie du permis d’un courtier hypothécaire considéré comme un suspect dans l’enquête sur le vol massif de données chez Desjardins.

Mathieu Joncas, qui est également prêteur privé, a acheté des informations confidentielles sur « 150 000 à 200 000 » clients de Desjardins sans s’assurer de leur consentement. En cours d’audiences, il a reconnu avoir remis ces informations à un collègue courtier en janvier 2017.

En septembre 2021, le comité de discipline de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) l’a aussi déclaré coupable d’avoir entravé l’enquête de la syndique à son sujet.

Mathieu Joncas sera également sanctionné pour s’être placé en situation de conflit d’intérêts en agissant à la fois comme courtier hypothécaire et comme prêteur privé avec certains de ses clients.

Une liste à 100 000 $

Pour obtenir les données confidentielles, Mathieu Joncas a payé environ 100 000 $ à un autre suspect dans l’enquête sur le vol de données, Jean-Loup Leullier-Masse.

La police soupçonne cet autre prêteur privé d’avoir lui-même acheté des renseignements dérobés à Sébastien Boulanger-Dorval. Cet ancien employé de Desjardins est le suspect numéro un dans l’enquête policière sur le vol d’informations confidentielles au Mouvement.

En 2021, Mathieu Joncas avait tenté de convaincre le comité de discipline de son innocence (selon lui, les données qu’il avait achetées pouvaient être compilées à partir de sources publiques). Sans succès.

L’organisme a plutôt conclu qu’il s’agissait bien de renseignements confidentiels que le courtier avait obtenus sans consentement. Sans pouvoir dire si les informations provenaient bel et bien du vol de données chez Desjardins, le chien de garde des courtiers avait déterminé qu’elles provenaient vraisemblablement d’une institution financière.

En plus des coordonnées des clients, les listes contenaient des soldes hypothécaires, des taux d’intérêt, de l’information sur le crédit utilisé et sur les primes d’assurance vie.

En février dernier, Mathieu Joncas avait tenté de forcer le comité de discipline à retirer son verdict de culpabilité et à reprendre l’enquête à zéro.

Son avocat affirmait que les informations qu’il avait rachetées ne pouvaient pas provenir du vol de données chez Desjardins. Selon lui, des documents rendus publics dans le cadre de l’enquête policière suggéraient que le principal suspect avait dérobé ces informations seulement à partir de mars 2017. C’est trois mois après les faits reprochés à Mathieu Joncas.

Le comité a toutefois rejeté sa requête en jugeant que les données qu’il avait achetées étaient bel et bien confidentielles.

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Selon l’avocate de la syndique de l’OACIQ, Mathieu Joncas « ne possède pas les qualités requises pour bénéficier d’un permis de courtier ».

Mathieu Joncas pourrait toutefois faire appel de la décision de culpabilité du comité de discipline quand sa sanction sera connue, dans les prochaines semaines, selon son avocat Olivier Desjardins.

Facteurs aggravants, dit la poursuite

L’avocate de la syndique, Isabelle Martel, a fait valoir une kyrielle de facteurs aggravants pour convaincre le comité de discipline de retenir la sanction qu’elle réclame.

Elle souligne notamment les nombreuses entraves que Mathieu Joncas a mises sur le chemin de la syndique de l’OACIQ pendant son enquête.

« Il tente de faire croire qu’il veut collaborer. Il se présente à une rencontre. On lui demande d’apporter son ordinateur ; il l’apporte, mais il n’y a plus rien dessus », illustre Isabelle Martel.

Elle souligne que Mathieu Joncas est un dirigeant d’agence. « Il encadre les courtiers. C’est une personne-ressource qui doit être un exemple, un modèle ! »

L’avocate ajoute que le comité de discipline avait déjà condamné Mathieu Joncas une première fois en 2014 pour avoir encouragé deux personnes qui n’étaient pas titulaires de permis à faire du courtage hypothécaire.

Quant à ses conflits d’intérêts, Isabelle Martel souligne que Mathieu Joncas a facturé des frais exorbitants aux clients qui faisaient affaire avec lui. Un emprunteur, notamment, lui a payé des frais de 12 400 $ sur un prêt de 54 000 $, soit 23 % de frais, avant même le calcul des intérêts. Selon elle, le courtier « se soucie beaucoup plus de son profit que du profil financier du client ».

« Vous n’avez aucune preuve sur son changement de comportement, son risque de récidive ou sa réhabilitation, dit l’avocate. La seule façon de protéger le public, c’est qu’il n’ait plus de permis. »

« Manque de jugement », plaide la défense

L’avocat de Mathieu Joncas propose plutôt la simple suspension du permis de son client pour sept mois.

Selon lui, son client ignorait que les données achetées provenaient d’un vol et il a surtout manqué de jugement.

« Je pense que M. Joncas, malheureusement – je m’excuse de le dire comme ça crûment devant lui –, il a été imbécile de croire que ça pouvait être légitime, qu’il n’y avait pas plus de questions à se poser », dit Olivier Desjardins.

Le représentant du courtier propose aussi de lui imposer une réprimande pour le chef de conflits d’intérêts, ainsi qu’une ordonnance pour l’obliger à suivre un cours sur le sujet.