(Paris) Décollera-t-il un jour ? Le projet de Système de combat aérien du futur (SCAF) est bloqué par des rivalités entre Dassault et Airbus et des doutes sur la participation allemande, menaçant ce programme présenté comme primordial pour la coopération européenne de défense.

Le projet, lancé en 2017 par la France et l’Allemagne, rejointes depuis par l’Espagne, s’apparente à un long chemin de croix. Un pas a été franchi le 30 août avec un accord intergouvernemental de financement.

L’accord prévoit 3,6 milliards d’euros pour les études détaillées, dites de « phase 1B », en vue de lancer en 2025 la construction d’un démonstrateur en vol, sorte de préprototype du futur avion.

Mais depuis, rien.

Le programme SCAF est un « système de systèmes » qui s’articule autour de l’avion avec des drones accompagnateurs, le tout connecté par de l’infonuagique de combat, avec les autres moyens militaires engagés dans une opération.  

IMAGE FOURNIE PAR AIRBUS

Représentation par ordinateur du futur avion de combat européen, accompagné de drones armés.

Or, les industriels des trois pays se sont accordés sur six « piliers » du programme (moteur, capteurs, drones…) mais pas sur le dernier et plus important, l’avion de combat de nouvelle génération (NGF).

Les choses sont figées entre Dassault, maître d’œuvre de l’avion, et son partenaire Airbus, qui représente les intérêts de l’Allemagne et de l’Espagne.

Si bien que les contrats permettant d’engager la phase 1B n’ont toujours pas été notifiés.

« Je suis prêt à signer, j’attends la signature d’Airbus », a taclé vendredi le patron de Dassault Aviation Éric Trappier, mettant la pression avant un sommet européen prévu les 10 et 11 mars à Versailles.

IMAGE DASSAULT

Le futur avion de combat européen, tel que représenté dans un dessin généré par ordinateur de l’avionneur Dassault.

Evoquant devant la presse des « demandes complémentaires » d’Airbus depuis l’accord intergouvernemental, il a rappelé ses « lignes rouges » : avoir les moyens d’assurer la maîtrise d’œuvre dont il est chargé.

« De plus en plus hypothétique »

Se revendiquant « parmi les meilleurs au monde, si ce n’est le meilleur en termes de commandes de vol », Dassault n’entend pas en laisser la responsabilité à Airbus, même si des industriels allemands comme Hensoldt et le géant européen participent à leur conception. « S’il y a problème, c’est de l’autre côté du Rhin » a-t-il pointé.

De son côté, le président d’Airbus Guillaume Faury a reconnu mi-février que les « discussions (prenaient) plus de temps que prévu, mais ce n’est pas rare dans ce genre de négociations ».

« Nous essayons de faire tout notre possible pour […] trouver un accord et aller de l’avant », avait-il ajouté.

Le PDG de Dassault Aviation n’hésite pas à brandir le spectre d’un échec du programme : « En 2022, il va falloir statuer, on ne peut pas rester l’arme au pied, à un moment donné on dit oui ou on dit non ».

Dassault a d’ores et déjà commencé à réaffecter une partie des ingénieurs des bureaux d’études vers d’autres tâches, « voire la totalité de l’équipe bientôt », car « on ne peut pas laisser une équipe de centaines d’ingénieurs ne rien faire », affirme Éric Trappier.

Le SCAF, qui doit remplacer à l’horizon 2040 les avions de combat Rafale français et les Eurofighter allemands et espagnols, apparaît « de plus en plus hypothétique », s’alarment des députés français dans un récent rapport.

Outre la question de la répartition du travail entre Dassault et Airbus, cela tient aussi au futur besoin de l’Allemagne, pointent-ils.

Berlin doit acquérir des avions F-18 ou F-35 américains pour continuer à assurer sa mission nucléaire au profit de l’OTAN, à l’aide de bombes atomiques américaines.

« Des rumeurs persistantes font état de la préférence de la Luftwaffe (l’armée de l’air allemande, NDLR) pour le F-35 qui, s’il était acquis, supprimerait le besoin allemand d’un nouveau chasseur à horizon 2040 », craignent les députés Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiérot dans leur rapport.

« On va voir avec notre partenaire numéro un affiché qu’est l’Allemagne si le premier choix qu’ils font est de signer le contrat SCAF ou d’acheter du F-35 », observe Éric Trappier. Tout en se disant « persuadé qu’ils vont acheter du F-35 ».