Les banques canadiennes observent « de près » leur homologue américaine

Alors que J.P.Morgan est devenue cette semaine la première grande banque nord-américaine à plonger dans le métavers, le milieu financier canadien observe l’évolution de cet univers virtuel avec intérêt.

Devant un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur, le Mouvement Desjardins affirme « suivre de près la technologie des métavers ».

« Mais nous n’avons pas de projets à ce moment-ci », affirme le porte-parole Jean-Benoit Turcotti. « Il s’agit d’une technologie à ses débuts pour laquelle nous sommes en exploration quant aux codes d’utilisation pour une institution financière. »

La direction d’une grande banque canadienne souligne de son côté qu’elle suit la situation de « très près ». Cette institution bancaire ne veut toutefois pas être citée officiellement parce qu’elle juge qu’il est encore « trop tôt » pour le faire.

En ouvrant une « succursale » dans le monde populaire virtuel Decentraland, J.P.Morgan fait un pas de géant vers cet univers virtuel, dit Martin Lalonde, gestionnaire d’un fonds de cryptomonnaies pour la firme Investissements Rivemont, en Outaouais.

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Martin Lalonde, gestionnaire d’un fonds de cryptomonnaies pour la firme Investissements Rivemont

J.P.Morgan a baptisé son « antenne virtuelle » Onyx, en référence au nom donné par J.P.Morgan à sa plateforme de paiement électronique fondée sur la technologie de la chaîne de blocs.

La banque américaine estime que le métavers représente une occasion commerciale potentielle pour les entreprises d’une valeur globale de 1000 milliards de dollars américains en revenus annuels.

Monde virtuel, argent réel

« Si effectivement il existe une économie alternative numérique, possiblement qu’il y aura des banques numériques dans le métavers, indique Martin Lalonde. Les institutions financières voudront participer en tant qu’intermédiaires de transactions. »

L’entrepreneur techno Louis Cléroux, fondateur de la fintech montréalaise Timechain, soutient que les banques se doivent d’être présentes dans le métavers. « C’est là que la nouvelle génération va se tenir. C’est là que la clientèle du futur va être. Si vous n’y êtes pas, cette clientèle vous échappera », dit-il.

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Louis Cléroux, fondateur de la fintech montréalaise Timechain

Les banques ont tellement de possibilités de faire de l’argent dans le métavers. La plus évidente est liée à l’emplacement acheté qui va prendre de la valeur au fil des années.

Louis Cléroux, fondateur de la fintech montréalaise Timechain

Pour illustrer son propos, il cite l’exemple du chanteur Snoop Dogg, qui a récemment dit avoir acheté un terrain virtuel sur la plateforme Sandbox. « Les gens ont aussitôt commencé à spéculer et à acheter des terrains autour en payant des millions de dollars pour être près du château virtuel de Snoop Dogg. »

L’autre moyen évident de faire de l’argent, selon Louis Cléroux, est lié aux utilisateurs qui préféreront se tourner vers une banque qui considère le métavers comme réel parce que ces gens détiennent des bitcoins et de l’ethereum et voudront avoir des services bancaires avec leur cryptomonnaie. « Ils voudront peut-être aussi acheter des fonds communs de placement avec des bitcoins ou autres. Être dans le métavers est vraiment le meilleur signal que tu peux envoyer au marché pour séduire cette communauté. »

Malgré tout l’enthousiasme suscité par le métavers, Martin Lalonde admet avoir été étonné cette semaine d’apprendre l’arrivée de J.P.Morgan dans le cet univers virtuel.

« Ç’a été une grosse surprise. Mais les sociétés financières américaines ne peuvent pas se permettre de manquer le bateau sur quoi que ce soit », ajoute-t-il.

« C’est certain que le métavers va évoluer, mais on ne sait pas quelle forme il prendra. Les banques créent des services chaque fois qu’il y a quelque chose de nouveau. Si ce service fonctionne, elles en profitent. »

Pas pour demain au Canada

Un peu comme pour la cryptomonnaie il y a quelques années, Martin Lalonde dit se rappeler que les banques disaient toutes non. « Mais aujourd’hui, elles ont toutes des équipes consacrées à la chaîne de blocs et aux cryptomonnaies. Pour le métavers, il y a deux possibilités. Elles y seront toutes, ou alors on vient de tomber dans l’exagération et on assistera sous peu à la fin d’un marché haussier qui dure depuis deux ans avec les univers virtuels. Il est difficile de dire lequel des deux scénarios sera le bon. »

Martin Lalonde doute qu’une institution financière d’ici imite J.P.Morgan.

Peut-être un jour, mais au Canada, dit-il, elles ont un monopole. « La concurrence est très faible. L’innovation n’est pas nécessaire. Simplement sur le plan de la cryptomonnaie et de la garde d’actifs, il y a longtemps que ça devrait être fait. On est souvent à la traîne, mais d’un autre côté, ça fait en sorte que nos institutions sont très solides financièrement », précise cet expert.

Déjà plus payant que la musique

Le métavers s’infiltrera probablement dans tous les secteurs d’une manière ou d’une autre dans les années à venir, soutient J.P.Morgan dans un rapport d’une vingtaine de pages sur le métavers qu’elle vient tout juste de publier.

J.P.Morgan ajoute que 54 milliards US sont déjà dépensés en biens virtuels chaque année, ce qui est deux fois la somme dépensée pour acheter de la musique.

Il est également mentionné que le prix moyen des terrains virtuels a doublé en six mois l’an passé, passant de 6000 $ US à 12 000 $ US.

À terme, le marché immobilier virtuel pourrait commencer à voir apparaître des services semblables à ceux du monde physique, notamment le crédit, les hypothèques et les contrats de location.

J.P.Morgan, dans un rapport

J.P.Morgan catégorise des jeux comme Fortnite, Roblox, World of Warcraft et Second Life comme des exemples de mondes virtuels liés au web 2.0 alors qu’elle lie les univers de Decentraland, Somnium Space, The Sandbox et Cryptovoxels au web 3.0 en raison des caractéristiques des plateformes et de l’interaction des utilisateurs.

À l’instar de J.P.Morgan, l’assureur Axa a annoncé vendredi l’acquisition d’un terrain dans le métavers pour aider l’entreprise à se « familiariser » avec cet univers, mieux juger des occasions commerciales et cultiver une image « tech » dans une optique de recrutement.