Le prix des aliments est à la hausse cette année. Et cette augmentation entraîne une recrudescence des vols à l’étalage, constatent plusieurs épiciers interrogés. Viande, fromages et alcool comptent parmi les produits retrouvés le plus fréquemment sous le manteau… ou dans le sac à dos. Certains détaillants ont calculé avoir enregistré des hausses de larcins pouvant aller jusqu’à 20 %.

« J’ai vraiment plus de pertes à l’inventaire dans mon début d’année qu’à la même période les années passées. Ce sont des milliers et des milliers de dollars », affirme Mario Bélanger, président-directeur général du Groupe Mayrand, qui gère quatre magasins à Montréal, Brossard, Laval et Saint-Jérôme.

« Nous avons dû intercepter des gens qui nous ont volé de la viande, parce que le prix de la viande a augmenté d’une manière incroyable, ajoute-t-il. C’est ce qui coûte le plus cher dans une épicerie. Moi, j’ai de gros formats, j’ai des filets mignons, et ça peut coûter jusqu’à 100 $ le paquet. Le prix de la viande est vraiment différent de celui du pot de beurre d’arachides ou de la boîte de Cheerios. La boîte de céréales coûte 3 $. Un gros paquet de viande à 3 $, il n’y en a pas. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Mario Bélanger, président-directeur général du Groupe Mayrand

Difficile toutefois d’obtenir des statistiques sur le nombre de vols puisqu’ils ne sont pas toujours rapportés à la police. Le Service de police de la Ville de Montréal en a recensé 1203 dans les marchés d’alimentation situés sur son territoire en 2021.

Le Rapport annuel sur les prix alimentaires 2022, paru en décembre et réalisé en collaboration avec plusieurs universités canadiennes, a également fait ce constat : il y aura sans doute plus de vols à l’étalage cette année. « Un phénomène grandissant lié à l’insécurité alimentaire croissante causée par une forte inflation est le vol dans les épiceries, qui devrait s’intensifier en 2022, peut-on lire.

Les épiciers signalent une augmentation du vol à l’étalage, en particulier d’articles comme la viande, le fromage, les médicaments en vente libre et les boissons énergisantes. Les pertes non déclarées dues aux vols pourraient atteindre 3000 $ à 4000 $ par semaine dans certaines épiceries canadiennes.

Extrait du Rapport annuel sur les prix alimentaires 2022

Ce phénomène a commencé à prendre de l’ampleur il y a plus de six mois, fait observer Annie Paquette, directrice générale des marchés d’alimentation Pasquier, dont les deux magasins sont à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Delson. « Je pense que c’est l’ensemble du coût de la vie qui augmente. Ça fait en sorte que les gens n’ont peut-être pas les revenus nécessaires. Avec le personnel réduit, c’est plus “facile” pour les voleurs de réussir leur coup. »

La saison hivernale aide également les malfaiteurs. « C’est plus facile de camoufler avec les manteaux, explique Mme Paquette. Ça s’est même déjà vu dans les habits de neige des enfants assis dans le panier. »

« On a noté ça depuis l’automne », indique quant à lui Franck Hénot, copropriétaire de l’Intermarché Boyer, à Montréal. « On a une augmentation de 20 % à 25 % à peu près, par rapport à la normale. »

Du côté des grandes enseignes, « on n’a encore aucune indication à cet effet », a répondu Michel Rochette, président pour le Québec au Conseil canadien du commerce de détail, qui représente notamment des enseignes comme Metro, IGA, Loblaw, Costco et Walmart.

Réseaux

Certains commerçants estiment qu’une grande majorité des vols sont l’œuvre de réseaux de revente. « Oui, ils [les voleurs] peuvent travailler pour des réseaux. Ils sont très bien organisés. Ils peuvent aussi avoir des arrangements avec des gens à l’interne », soutient M. Bélanger.

« Vous avez le voleur occasionnel et le voleur professionnel, qui va vous faire un vrai ravage dans le magasin ; c’est celui qui revend », explique Franck Hénot, qui ajoute dans la foulée avoir déjà intercepté quelqu’un avec l’équivalent de 800 $ de fromages dans son sac.

Du côté des marchés d’alimentation Pasquier, Annie Paquette affirme avoir davantage affaire à des gens dans le besoin. « On a tendance à penser que les gens vont voler des crevettes, du steak. Mais la dernière fois que j’ai intercepté quelqu’un, il avait du yogourt, des plats préparés, des produits de base. C’est quelqu’un qui était dans le besoin, raconte-t-elle. Ça fait longtemps que je n’ai pas eu affaire à des réseaux, mais oui, ça s’est vu. Actuellement chez nous, c’est plus le client qui vient parce qu’il a des besoins. Il n’a plus d’argent pour manger. »

Prévention

Empêcher un individu de partir avec plusieurs paquets de filet mignon ou encore une tonne de morceaux de fromage parmesan n’est pas une tâche simple, indique-t-on. « Historiquement, dans l’alimentation, ce n’était pas un grand problème, comme dans l’électronique ou le vêtement », souligne Claude A. Sarrazin, président de Sirco, entreprise d’investigation indépendante. « Dans les épiceries, c’est très rare qu’on voie quelqu’un qui s’occupe de la prévention des pertes à l’interne. »

« [Pour remédier au problème], il y a de grandes chaînes américaines d’alimentation qui mettent des tags antivol sur la viande », dit-il. Une solution que les commerçants d’ici ne semblent pas vouloir envisager pour le moment.

Et faire appel aux agents de sécurité s’avère assez onéreux, et c’est une denrée rare, selon Mario Bélanger.

Si on fait affaire avec des firmes, ça nous coûte la totale, entre 30 $ et 35 $ l’heure. Et faire venir quelqu’un pour prendre un voleur potentiel… ce n’est pas automatique. Il vient quand, le voleur ?

Mario Bélanger, président-directeur général du Groupe Mayrand

Ainsi, le grand patron de Mayrand tente plutôt de sensibiliser les employés, de les inviter à rester à l’affût.

Une approche que préconise également M. Sarrazin. « [Il faut avoir] une présence sur le plancher, avoir des gens vigilants, qui ont l’esprit ouvert. Il y en a beaucoup qui réfutent l’hypothèse du vol à l’étalage parce qu’ils ne veulent tout simplement pas y croire. Alors que, dans les faits, c’est une réalité, et une réalité croissante. »

Chez Pasquier, on a misé sur différents types de barrières. « Dans les magasins, l’entrée et la sortie ne sont pas au même endroit, explique Annie Paquette. On a des barrières à chaque caisse. Donc, si une caisse est fermée, une barrière empêche le client de passer. Des fois, on se fait dire qu’on est quasiment en prison chez Pasquier. Effectivement, mais ça limite les voleurs. »