Vous avez été très nombreux au cours des dernières semaines à répondre à notre invitation en envoyant vos questions sur l’économie, les finances, les marchés, etc. Toute la semaine, nos journalistes tentent d’y répondre avec l’aide d’experts.

J’aimerais comprendre la chose suivante. Une compagnie entre à la Bourse et recueille, disons, 10 millions de dollars par la vente de ses actions. Est-ce que la compagnie obtient tout le montant intégral de 10 millions ? Par la suite, ses actions perdent ou gagnent de la valeur en Bourse. Est-ce que tout n’est que virtuel ? Lorsque ses actions gagnent en valeur, est-ce qu’une entreprise devient plus riche ? Par quel mécanisme ça fonctionne ?

F. Beauregard

Afin de répondre adéquatement à cette question en deux volets, La Presse a fait appel à Michel Magnan, professeur et chercheur en comptabilité financière à l’École d’affaires John Molson de l’Université Concordia, à Montréal.

M. Magnan est aussi membre de la Chaire en gouvernance d’entreprise Stephen Jarislowsky de l’École d’affaires John Molson.

Donc, comment expliquer les flux d’argent dans une entreprise lorsqu’elle vend et inscrit ses actions en Bourse ?

Aussi, est-ce qu’une entreprise profite des transactions subséquentes et des variations de valeur de ses actions en Bourse ?

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ CONCORDIA

Michel Magnan

« D’abord, il faut savoir qu’il y a deux façons principales pour une entreprise de ‟vendre” ses actions en Bourse », explique M. Magnan.

« Il s’agit d’une émission d’actions dite ‟primaire” lorsque l’entreprise entre en Bourse. Il s’agit d’une émission d’actions dite ‟secondaire” lorsque l’entreprise effectue une vente additionnelle d’actions en Bourse, selon ses priorités financières du moment et la conjoncture des marchés boursiers. »

Mais dans ces deux situations, les dirigeants des entreprises concernées vont habituellement chercher à obtenir le prix de vente par action le plus élevé possible, de façon à limiter le nombre d’actions émises et réduire d’autant l’effet de dilution parmi les actionnaires existants de l’entreprise.

L’effet de dilution ? Pour l’essentiel, c’est quand l’augmentation du nombre d’actions « émises et en circulation » d’une entreprise peut avoir comme effet subséquent de réduire le montant de bénéfice par action (BPA) à partir des futurs résultats de l’entreprise. Or, la progression du BPA est l’un des facteurs-clés de la perception de valeur d’une entreprise parmi les investisseurs boursiers.

Dans les liquidités

Cela dit, où va l’argent recueilli lors de l’émission d’actions par une entreprise ? D’autant qu’il s’agit de sommes pouvant varier de quelques millions de dollars, dans le cas des PME émergentes en Bourse, à quelques centaines de millions de dollars, dans le cas d’entreprises d’envergure ou de jeunes entreprises innovantes et très populaires auprès des investisseurs.

« La destination de ce capital recueilli par la vente d’actions auprès d’investisseurs boursiers dépend de l’origine de ces actions », indique Michel Magnan.

S’il s’agit de nouvelles actions émises directement par l’entreprise, le capital recueilli [moins les frais de courtage boursier] se retrouve entièrement dans l’actif à court terme [liquidités] de l’entreprise.

Michel Magnan

« En alternative, poursuit M. Magnan, si les actions vendues en Bourse proviennent des blocs d’actions détenus par les actionnaires internes d’une entreprise – souvent des hauts dirigeants et fondateurs –, il s’agit alors d’une vente d’actions dont le capital recueilli ira dans les goussets de ces actionnaires d’origine, et non dans l’actif de l’entreprise comme telle. »

En fait, ce type de vente d’actions par une entreprise sert surtout de moyen de « monnayer » une partie de l’avoir de ses actionnaires d’origine.

Entités distinctes

Par ailleurs, note Michel Magnan, on voit souvent des émissions d’actions d’origine hybride ou combinée dans le cas d’entreprises encore jeunes, mais déjà en croissance rapide.

« Ça signifie que les actions vendues en Bourse par une entreprise proviennent en partie de l’avoir de ses actionnaires d’origine et en partie de l’émission de nouvelles actions directement par l’entreprise », explique M. Magnan.

Dans de tels cas, le capital recueilli sera réparti au prorata entre les actionnaires d’origine de l’entreprise et l’actif en liquidités dans le bilan de l’entreprise.

« C’est là qu’il faut distinguer entre l’avoir net ou la ‟richesse” d’une entreprise et l’avoir de ses actionnaires. Il s’agit de deux entités distinctes au sens juridique et financier », signale Michel Magnan.

C’est en fonction de cette distinction juridico-financière que les fluctuations de valeur en Bourse des actions d’une entreprise ont une incidence directe sur la « richesse » de ses actionnaires, mais qu’elles sont sans effet direct sur la « richesse » de l’entreprise.

Par contre, signale M. Magnan, lorsque les actions d’une entreprise gagnent ou perdent de la valeur en Bourse, c’est sur le plan de sa flexibilité financière pour ses projets courants ou futurs qu’une entreprise peut gagner ou perdre.

« Au fur et à mesure que les actions d’une entreprise prennent de la valeur en Bourse, elles rehaussent leur potentiel de pouvoir servir de ‟monnaie d’échange” lors de grosses transactions d’actifs ou projets de fusions et acquisitions », signale Michel Magnan.

Pour l’essentiel, une entreprise peut alors « payer » une transaction d’importance dans son plan d’affaires en combinant une partie en actions nouvellement émises et une partie en argent comptant provenant de son actif en liquidités ou d’un emprunt additionnel auprès de ses bailleurs de fonds.