J’ai toujours pensé que le sort de l’environnement serait réglé quand il sortirait des mains des écologistes. Quand ce ne serait plus les revendicateurs barbus en sandales qui en feraient leur préoccupation quotidienne, mais monsieur et madame Tout-le-Monde.

Remarquez, je n’ai rien contre les précurseurs barbus aux cheveux longs qui se promènent à pied, à vélo ou en autobus. Et oui, c’est un cliché pour décrire les environnementalistes de la première heure, je l’avoue.

Mais bon, vous me comprenez : l’environnement sera gagnant quand le travailleur moyen, amoureux des moteurs, fera lui aussi des gestes concrets. Quand l’environnement sera démocratisé, en quelque sorte.

Justement, je suis tombé sur l’intéressant projet d’une entreprise qui me laisse croire qu’on arrive à la croisée des chemins. Ce projet de la firme John Brooks vise notamment ses représentants, qui roulent des milliers de kilomètres chaque année, souvent dans des véhicules polluants.

John Brooks, faut-il savoir, est une entreprise qui vend des produits industriels de pompage, de filtration et de pulvérisation. Elle compte 200 employés à Toronto, à Laval et à Edmonton, dont 56 représentants sur la route. Ensemble, ils émettent chaque année 290 tonnes de COpour rendre visite à leurs clients.

Il y a deux ans, l’entreprise a décidé de faire son effort pour l’environnement, créant un comité de cinq personnes, dont fait partie Marc Raymond, du Québec, qui est directeur de la division Dynablast. M. Raymond est responsable du volet transport du comité, qui touche les représentants.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Marc Raymond, directeur de la division Dynablast chez John Brooks

Le projet ? Marc Raymond et son comité ont instauré une mesure pour inciter les représentants à acheter des véhicules moins polluants.

Après analyse, ils ont constaté que les Ford Escape, Honda Accord et autres Toyota Rav4 qui sont hybrides se vendent 6 % plus cher que les mêmes véhicules entièrement à essence. Et ils ont donc offert aux représentants de majorer de 6 % l’allocation mensuelle qui leur est versée pour la voiture s’ils misent sur un véhicule hybride, ce qui représente environ 50 $ sur une allocation de 700 à 1000 $ (paiements, assurances et entretien compris).

Ce faisant, les représentants n’ont rien de plus à payer pour se procurer une voiture hybride. En plus, ils profitent d’une facture d’essence moins lourde chaque mois. Un véhicule hybride consomme en moyenne 30 % moins d’essence, explique l’entreprise dans sa note aux employés.

« On subventionne nos employés pour les inciter à acheter une hybride », me dit Marc Raymond.

Un vendeur sauve 8 tonnes

Les représentants ont reçu la récente nouvelle avec intérêt. Elle a même déjà incité l’un d’eux à changer de véhicule pour réduire sa consommation – tenez-vous bien – de 8 tonnes de CO2 par année !

Cette économie est colossale, sachant qu’au Québec, la consommation moyenne de carbone est de 1,9 tonne par habitant pour le volet automobile (la moyenne par habitant comprend les enfants qui n’ont pas d’auto, mais tout de même). Cette consommation de 1,9 tonne grimpe à 3,9 tonnes par habitant si l’on ajoute l’alimentation et les voyages en avion.

Comment y est-il parvenu ? En 2019 – année normale sans pandémie –, le type a roulé 52 457 km avec sa camionnette Sierra 1500 de 5,3 litres de GMC. Le véhicule consomme en moyenne 13,4 litres tous les 100 km et en 2019, le chauffeur a donc émis à lui seul 16,1 tonnes de carbone dans l’atmosphère.

Dernièrement, la mesure de l’entreprise l’a incité à changer pour un Toyota Highlander hybride 2020, ce qui a fait passer sa consommation à 6,7 litres aux 100 km. Dit autrement, ce changement lui permettra de réduire sa consommation de moitié, soit l’équivalent de 8 tonnes de gaz à effet de serre (GES).

Vous me direz que ça demeure un véhicule utilitaire sport (VUS), encore relativement polluant. Et personnellement, dans l’absolu, je n’encourage pas l’achat de VUS.

Mais c’est l’entreprise qui exige une voiture assez spacieuse advenant qu’il faille y déplacer des clients. Et au bout du compte, en changeant de véhicule, le type a personnellement atteint l’objectif que se fixe le Canada pour 2030, soit une réduction de 30 % des GES par rapport à 2005. Tout ça grâce à une mesure incitative assez simple, entre autres, d’une entreprise qui veut contribuer à la lutte contre les GES.

Chez John Brooks, la mesure sera en vigueur dans une région tant que le prix moyen de l’essence n’aura pas atteint 1,50 $ le litre pendant un an. Ce seuil risque d’être atteint si le gouvernement Trudeau maintient sa promesse de faire graduellement passer sa taxe sur le carbone de 50 $ la tonne en 2022 à 170 $ en 2030.

D’ici là, la facture est relativement petite pour une entreprise de cette taille. En supposant que la moitié de ses vendeurs s’en prévalent, le coût est estimé à 15 000 $ par année.

Le comité vert ne compte pas s’arrêter là, dit M. Raymond. D’autres mesures sont sur la planche à dessin, inspirées par le contexte de la pandémie.

Alors, entreprises qui avez des représentants sur la route, ne devriez-vous pas songer à emboîter le pas, vous aussi ? Tonne par tonne, on y arrivera.