(Ottawa ) Alors que la pandémie de COVID-19 faisait des ravages, l’an dernier, le premier ministre Justin Trudeau a lancé un appel pressant aux entreprises canadiennes pour qu’elles se lancent dans la production locale d’équipements de protection individuelle. De nombreuses entreprises ont répondu à cet appel à la mobilisation.

L’objectif était alors de faire en sorte que le Canada ne soit plus jamais tributaire d’autres pays, notamment la Chine, pour la fabrication de tels équipements essentiels en temps de crise sanitaire.

PHOTO JOËL-DENIS BELLAVANCE, LA PRESSE

Une boîte de masques distribués aux parlementaires à Ottawa

Or, la Chambre des communes distribue aux députés, à leurs adjoints et aux employés de la colline du Parlement depuis quelques semaines des masques qui sont fabriqués… en Chine. Au grand dam des dirigeants des entreprises canadiennes qui ont investi des millions de dollars pour assurer une production locale de ces précieux équipements.

« C’est un affront à notre pays », lance à La Presse Barry Hunt, président de Prescient à Cambridge, en Ontario. « Je suis complètement bouche bée. »

Son entreprise a investi plus de deux millions de dollars pour se lancer dans la production de masques de protection qui sont innovateurs et respectueux de l’environnement, les NanoMask, qui épousent parfaitement la forme du visage et facilitent la respiration.

Les entreprises canadiennes écartées

M. Hunt, qui est aussi président de la Canadian Association of PPE Manufacturers (CAPPEM), qui rassemble une vingtaine d’entreprises désireuses de créer une nouvelle grappe industrielle, est d’autant plus furieux que les entreprises qui ont répondu à l’appel du pied du premier ministre Justin Trudeau se trouvent aujourd’hui complètement écartées des contrats gouvernementaux pour les prochaines années.

La raison ? Le ministère de l’Approvisionnement et des Services publics a conclu de lucratifs contrats à long terme avec deux multinationales pour la fabrication de ces équipements.

Un contrat d’approvisionnement d’une durée de cinq ans totalisant 250 millions de dollars a été accordé à la multinationale américaine 3M pour des masques de protection respiratoire N95.

Un autre contrat d’une durée de 10 ans, de 400 millions de dollars, a été accordé à Groupe Medicom, fournisseur international d’équipements médicaux établi à Montréal, pour des masques N95 et des masques chirurgicaux à boucles d’attaches de niveau 3.

En outre, ces deux multinationales ont aussi obtenu un coup de pouce financier du gouvernement Trudeau pour l’agrandissement ou la modernisation de leurs installations. 3M a ainsi reçu 47 millions de dollars d’Ottawa pour moderniser une usine à Brockville. Groupe Medicom a de son côté obtenu une subvention de 29 millions de dollars.

« Sans contrat et sans aide du gouvernement »

Mais non seulement les entreprises faisant partie de la CAPPEM sont privées de contrats du gouvernement fédéral, mais elles n’ont obtenu aucune aide financière d’Ottawa pour jeter les bases d’une production locale.

« Les contrats accordés à ces deux multinationales sont d’une longue durée. Nous devons nous contenter de miettes. Sans contrat et sans aide du gouvernement, nous sommes condamnés à fermer boutique », a soutenu M. Hunt dans une entrevue accordée à La Presse alors qu’il était de passage à Ottawa la semaine dernière.

« Nous avons une nouvelle industrie de fabrication d’équipements de protection individuelle qui prend forme au pays, mais on ne peut décrocher un contrat du gouvernement, un prêt ou une subvention. Pourquoi le gouvernement accorde-t-il seulement une aide financière, de l’argent des contribuables, à des multinationales comme 3M et Medicom ? », s’interroge M. Hunt.

Nos produits sont innovateurs, réutilisables et donc plus respectueux de l’environnement. Nos produits sont les plus avancés dans le monde. Le gouvernement fédéral se comporte comme s’ils n’existaient pas. Pis encore, ils financent nos concurrents avec l’argent des contribuables.

Barry Hunt, président de la Canadian Association of PPE Manufacturers

Selon M. Hunt, la CAPPEM pourrait devenir le maître d’œuvre dans la gestion de la réserve nationale stratégique, qui sert à maintenir des stocks d’équipements de protection individuelle et d’instruments médicaux pour approvisionner les provinces en cas d’urgence. Cette réserve a été mal gérée par Ottawa, de sorte que le gouvernement fédéral et les provinces ont été pris au dépourvu quand la pandémie de COVID-19 a frappé parce que les stocks étaient périmés. « Nous serions en mesure de gérer cette réserve de manière à maintenir les stocks », avance M. Hunt.

« Ça dépasse l’entendement »

Le député Pierre Paul-Hus, qui est le porte-parole du Parti conservateur en matière d’approvisionnement, fulmine lui aussi en voyant les boîtes de masques fabriqués en Chine qui sont bien en vue dans les édifices de la colline du Parlement.

« Il y a des entreprises canadiennes qui ont fait des investissements majeurs pour être en mesure de fabriquer des masques de qualité qui correspondent aux normes les plus élevées. Mais que la Chambre des communes et le gouvernement fédéral achètent des masques qui sont fabriqués en Chine et prétendument approuvés par la FDA, ça dépasse l’entendement. C’est aussi inquiétant pour la santé et la protection des députés et du personnel de la colline parlementaire. Ils portent un masque dont on ignore la qualité », a soutenu M. Paul-Hus.

Selon lui, cette situation est inexcusable et inacceptable.

Au début de la pandémie, on peut comprendre qu’il y avait urgence d’obtenir des masques. On n’avait pas de réserve stratégique. Mais après près de deux ans de pandémie, et après que des entreprises canadiennes ont investi massivement pour produire des masques ici, c’est totalement incompréhensible que le gouvernement canadien continue de nous fournir des produits faits en Chine.

Le député Pierre Paul-Hus, porte-parole conservateur en matière d’approvisionnement

Au bureau du président de la Chambre des communes, on confirme qu’on a lancé un appel d’offres pour divers produits afin de protéger les élus et les employés de la colline. Mais on n’a pas exigé que ces produits soient fabriqués au Canada dans l’appel d’offres.

« L’Administration de la Chambre des communes a lancé un appel d’offres pour trouver des entreprises qui pourraient fournir les articles requis pour la COVID-19 (c.-à-d. du désinfectant pour les mains, des masques non médicaux et des lingettes désinfectantes). L’exigence selon laquelle ces articles devaient être fabriqués au Canada n’était pas un critère », a indiqué Heather Bradley, directrice des communications du bureau de la présidence, dans un courriel à La Presse.