Les victimes de Bel-Habitat s’impatientent devant l’absence de progrès dans l’enquête sur la faillite douteuse du promoteur, qui a laissé tomber 118 familles attendant leurs maisons en juin. Mais la police de Laval dit qu’elle doit d’abord laisser le syndic faire son propre travail.

De leur côté, les consommateurs dépouillés disent avoir la désagréable impression que les enquêteurs ont jeté l’éponge. Certains d’entre eux craignent que les autorités n’aient déjà conclu que la saga Bel-Habitat ne cache aucune fraude.

« J’ai contacté la police à la fin juillet pour déposer ma plainte et expliquer ce qui s’était passé, raconte notamment dans un courriel à La Presse l’une des victimes, qui souhaite rester anonyme parce que son entourage ignore qu'elle est impliquée dans le dossier. Après avoir parlé environ une heure, la détective me dit que cela ne semblait pas être de la fraude, mais plutôt une faillite. »

Elle lui a demandé si la police comptait éplucher les comptes bancaires de Luc Perrier.

[La détective] m’a répondu qu’elle n’avait aucun élément lui permettant de pousser l’enquête.

Une victime

D’autres victimes de Bel-Habitat qui se faisaient construire des maisons à Laval disent avoir vécu la même expérience.

« La détective a mentionné qu’il n’y avait aucun élément qui laissait croire que ça pouvait être de la fraude et qu’ils ne pouvaient pas ouvrir une enquête criminelle », dit l’un de ces acheteurs frustrés, qui désire garder l’anonymat parce qu’il croit que la divulgation de son nom pourrait nuire à sa vie professionnelle. « Elle m’a donc avoué qu’il n’y avait pas d’enquête comme telle, mais qu’ils étaient plutôt en collecte d’informations seulement. »

40 personnes rencontrées

Contactée par La Presse, la police de Laval assure qu’elle a bel et bien affecté des détectives au dossier de Bel-Habitat. « Le dossier n’est pas du tout fermé, on n’est pas en train de dire qu’il n’y a pas de fraude », dit la porte-parole Geneviève Major.

En tant que corps policier important d’une ville de plus de 250 000 habitants, son organisation possède l’expertise pour mener des enquêtes économiques, dit-elle. « On a rencontré près de 40 personnes. »

Elle précise toutefois que la police laisse avancer l’enquête du syndic avant d’aller plus loin. « Nous, on n’est pas habilités à dire si oui ou non il y a apparence de fraude, dit Geneviève Major. On attend vraiment d’avoir le retour de Raymond Chabot pour savoir si on fait face à un stratagème frauduleux, ou si on a affaire à un mauvais gestionnaire. »

Des paiements exigés en liquide

Le consommateur qui veut rester anonyme raconte avoir expliqué à la police de quelle manière Luc Perrier avait exigé en mars un paiement de 10 000 $ en billets de banque pour un agrandissement qu’il avait demandé sur la maison commandée.

« Moi, je voulais lui faire un chèque. Il m’a dit : “Non, non, je veux de l’argent liquide” », dit-il.

Luc Perrier lui a ensuite signé une annexe à son contrat de garantie résidentielle, que La Presse a obtenue. Le document indique que « le contracteur assume les frais [dus aux] délais de construction », une affirmation fausse, assure le consommateur dépouillé. Il a perdu plus de 100 000 $ dans la faillite de Bel-Habitat, sans jamais voir le chantier de sa maison commencer.

Le syndic Jean Gagnon dit qu’il n’a pas mis la main sur des espèces appartenant à Bel-Habitat, mais il confirme avoir recueilli « plusieurs commentaires » voulant que Luc Perrier ait touché des fonds au comptant.

Interrogatoires

Le syndic doit interroger Luc Perrier dans les prochains jours. Il questionnera aussi Dean Martin, un « ami » du promoteur dont l’entreprise, Itekt Canada, a emprunté 800 000 $ à Bel-Habitat en 2017. Elle doit toujours 567 000 $ à l’entreprise, selon le rapport préliminaire de Raymond Chabot.

Dean Martin assure que son entreprise est incapable de rembourser cette somme, ainsi que l’a rapporté La Presse.

Lisez « Le syndic doit interroger un “ami” de Luc Perrier qui doit 567 000 $ »

Le syndic doit notamment déterminer si la faillite de Bel-Habitat pourrait cacher une fraude. S’il trouve quelque chose de suspect, il doit le rapporter non seulement à la police, mais aussi au surintendant des faillites, qui se servira de ces informations pour sa propre enquête.

En assemblée des créanciers fin juillet, l’associé Jean Gagnon, de Raymond Chabot, a laissé entendre que la chute de Bel-Habitat semblait douteuse.

« Quand on prend le dépôt d’un consommateur pour payer la construction d’un autre consommateur, cela peut être comparé à un Ponzi », a-t-il déclaré.

Dans un tel système frauduleux, l’argent des derniers arrivés sert à rembourser les premiers investisseurs. Quand la personne à la tête du système n’arrive plus à convaincre de nouveaux venus de lui confier des fonds, tout s’écroule.

Bel-Habitat a encaissé des millions de dollars en acomptes de la part de consommateurs qui devaient acheter ses maisons. Ses clients lui ont confié des sommes allant jusqu’à 777 000 $ avant de faire faillite.

Joint par téléphone, Luc Perrier a raccroché avant d’entendre les questions de La Presse et n’a pas rappelé malgré un message laissé sur sa boîte vocale.