Avec la transition énergétique qui est bien lancée, on n’a pas fini d’entendre parler de lithium. Le professeur de géologie Michel Jébrak, en collaboration avec le géologue Christian Hocquard, vient de publier Objectif lithium aux Éditions Multimondes. L’ouvrage a pour but de démystifier le métal vedette de l’électrification des transports. La Presse s’est entretenue avec le professeur émérite au département des sciences de la terre de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Vous sortez un livre pour démystifier le lithium au moment où s’active la transition énergétique. En lisant votre livre, on se rend bien compte que le Québec ne part pas premier dans ce domaine.

Le Québec n’est pas le premier, pas plus pour la production que pour la transformation. L’Australie a fait mieux que nous. Sur les projets miniers, il y en a en Ontario et surtout aux États-Unis, dans lesquels Tesla n’est pas loin. La place pourrait être déjà prise. En revanche, on est au tout début de la transition vers les véhicules électriques. On est à seulement 2 % à 3 % de véhicules électriques dans le monde. En somme, on est bien placés. On n’est pas les premiers, mais on n’est pas loin. Et surtout, l’autre avantage, c’est qu’on est le réservoir des Américains. Tôt ou tard, les Américains auront du mal à faire des mines chez eux. Je vois très bien les grosses mines de pegmatites de Virginie dans les montagnes avoir des soucis avec les écolos. Ils iront les faire au Québec.

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Michel Jébrak, professeur de géologie à l’UQAM

Quelles sont les forces du Québec ?

Au Québec, notre meilleur atout est notre savoir-faire minier et notre gouvernement. On sait faire des mines correctes avec un effet environnemental réduit parce qu’on a le personnel qui sait faire. On sait mieux faire que beaucoup d’autres pays. On sait bien faire sur le plan non seulement des techniciens, mais aussi des politiques. C’est important. En Europe, ils ont d’excellents techniciens, mais des politiques inconséquentes.

Le gouvernement Legault veut faire de la province un pôle mondial de l’industrie de la batterie : de l’extraction des métaux stratégiques au recyclage des batteries en fin de vie. Par où doit-on commencer ?

C’est à l’étape de la transformation que le problème se pose. Plus de 80 % de la transformation de produits miniers en produits chimiques se fait en Chine. Essentiellement, parce que c’est coûteux sur le plan environnemental. Si on arrive effectivement à développer ce maillon manquant avec des technologies moins polluantes et pas trop chères, ce sera extraordinaire. Le point clé est la transformation du spodumène en hydroxyde de lithium. C’est bien d’avoir une politique tous azimuts comme le gouvernement du Québec le fait, mais il y a des endroits dans la chaîne qui sont plus clés que d’autres et on a intérêt à concentrer l’argent sur les points clés.

Est-ce réaliste de penser que les batteries seront fabriquées ici plutôt qu’aux États-Unis, où le protectionnisme est populaire ?

On sait qu’actuellement, les giga-usines intégrées de Tesla et des autres ne sont pas au Québec. Il y en a une prévue en Nouvelle-Angleterre, mais aucune dans l’est du Canada. Ce serait intéressant d’attirer une giga-usine au Canada avec notre énergie réputée verte. D’ailleurs, il y a Piedmont Lithium, une boîte américaine, qui a racheté un projet de lithium au Québec [North American Lithium, en Abitibi]. C’est intéressant parce que ça crée des synergies entre la production américaine et la production québécoise.

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Michel Jébrak tient une roche contenant du spodumène, les cristaux à la base de la production de lithium.

Les projets de lithium comme Nemaska Lithium et North American Lithium ont éprouvé toutes sortes de difficultés. Quelle leçon peut-on en tirer ?

On a travaillé parfois isolément. Le Québec n’est pas tout à fait assez maillé avec les acteurs américains, lesquels assurent les chaînes d’approvisionnement. La difficulté avec le lithium, c’est qu’il faut faire le marché. Avec l’or et le cuivre, il y a un marché international. Vendre son or ou son cuivre ne pose aucune difficulté. Avec des produits comme le carbonate de lithium, les spécificités deviennent compliquées et le marché n’est pas aussi libre. Ce n’est pas tout à fait une commodité. En ce sens, l’arrivée de Piedmont dans le projet de lithium en Abitibi est un pas dans la bonne direction.

Les métaux d’une batterie lithium-ion

Le lithium sert à fabriquer une cathode, l’un des deux pôles de la batterie. Le second pôle est l’anode, que l’on fabrique à partir du graphite. En outre, « une batterie li-ion comprend un collecteur électrique en cuivre côté cathode et un collecteur en aluminium côté anode », précise Michel Jébrak, dans son ouvrage Objectif lithium, qui vient de paraître.