Le projet d’inscription en Bourse de la plateforme montréalaise de vente de publicité numérique Sharethrough tombe à l’eau. Sharethrough devient ainsi la troisième entreprise québécoise en cinq mois à faire marche arrière après avoir déposé un prospectus.

Mercredi, les banquiers de Sharethrough évaluaient la demande et l’intérêt des investisseurs pour fixer le prix initial de l’action en prévision d’un début des transactions à la Bourse de Toronto sous le symbole « STRZ ».

L’entreprise est le résultat de la fusion plus tôt cette année de la montréalaise District M avec l’américaine Sharethrough. La direction avait précédemment indiqué vouloir récolter 75 millions, somme devant renforcer la situation financière et appuyer la stratégie de croissance.

Les banquiers souhaitaient établir le prix initial de l’action dans une fourchette de 15 $ à 19 $ pour les débuts à Bay Street et ainsi donner à Sharethrough une évaluation boursière initiale de 300 à 400 millions.

Sharethrough, dont le siège social est situé avenue De Gaspé, à Montréal, a comme principaux actionnaires le Fonds de solidarité FTQ et Investissement Québec.

La technologie de l’entreprise repose sur des algorithmes d’apprentissage profond permettant de cibler la performance publicitaire (rendement sur les dépenses publicitaires, trafic sur le site et notoriété de la marque).

Il n’a pas été possible de savoir pourquoi le projet n’avait pas fonctionné. Nos messages laissés auprès des dirigeants sont demeurés sans réponse.

En septembre, le fabricant de produits de beauté et de soins personnels de Longueuil kdc/one avait lui aussi annulé son projet d’inscription en Bourse en citant la volatilité sur les marchés. kdc/one espérait récolter 800 millions US, somme devant pour l’essentiel servir à réduire son niveau d’endettement.

À la mi-juin, Lumenpulse, autre entreprise de Longueuil, avait renoncé à effectuer son retour en Bourse en évoquant des conditions « non optimales ». L’entreprise spécialisée dans l’éclairage de haute performance qui se présente aujourd’hui sous le nom de LMPG espérait récolter 125 millions. Cette somme devait l’aider, elle aussi, à rembourser des dettes.

Pas qu’au Québec

Il n’y a pas qu’au Québec que des projets d’inscription en Bourse échouent. Et si certains premiers appels publics à l’épargne se réalisent ces jours-ci, ils ne sont pas des succès automatiques pour autant. C’est d’ailleurs un facteur qui peut refroidir des investisseurs et contribuer à l’échec de certains projets.

Deux entreprises ontariennes du secteur des technologies, D2L et E Automotive, ont fait leurs débuts mercredi à la Bourse de Toronto de façon décevante.

La dynamique de compétition où différentes banques offrent différents points de vue aux émetteurs sur la valorisation possible peut créer des attentes trop élevées, voire irréalistes. Mais beaucoup d’autres facteurs peuvent avoir un impact.

« Le marché des premiers appels publics à l’épargne est un marché de “fenêtres” », dit Grégoire Baillargeon, directeur général et co-chef de BMO Marchés des capitaux.

Lorsque les émissions fonctionnent bien, ça crée un momentum qui ouvre une fenêtre permettant le déploiement de capitaux. À un moment donné, certaines émissions fonctionnent moins bien et les investisseurs ont soudainement moins d’intérêt.

Grégoire Baillargeon, directeur général et co-chef de BMO Marchés des capitaux

Chez les investisseurs institutionnels, la réflexion est un peu plus scientifique, dit-il. « À certains moments de l’année, ils profitent de grandes entrées de fonds. Ils ont du capital et cherchent des endroits pour le déployer. Et après avoir participé à un certain nombre d’émissions, ils prennent une pause de quelques mois pour concentrer leurs transactions sur des titres déjà sur le marché. »

Ce n’est donc pas un jugement sur la qualité d’une entreprise lorsque la fenêtre se ferme. « Ce n’est pas simple parce que les entreprises qui veulent entrer en Bourse n’ont pas une feuille de route permettant de juger la présentation systématique de résultats trimestriels. Il y a des informations dans le prospectus, mais les investisseurs n’ont pas vu les entreprises opérer d’un trimestre à un autre », dit Grégoire Baillargeon.

« Pour qu’un investisseur prenne le risque d’investir dans un nouvel émetteur plutôt que d’acheter l’action du concurrent en Bourse depuis 10 ans, ça prend des conditions optimales. »

Les banquiers savent généralement assez rapidement si un premier appel public à l’épargne se dessine pour être un succès. « Quand ça marche, ça marche dès le début du roadshow qui précède l’inscription en Bourse. Quand l’intérêt initial est fort et qu’un momentum s’établit, tout le monde participe. Les investisseurs ne veulent pas rater l’occasion et la demande est au rendez-vous », dit-il.

« S’il y a un peu d’hésitation, cette hésitation amène d’autres investisseurs à attendre et à regarder ce que les autres font. » À la fin du roadshow, ce qui arrive, c’est que des investisseurs décident de ne pas participer et d’attendre que l’action soit inscrite en Bourse pour décider d’acheter. Et c’est là que le projet tombe à l’eau. »

La semaine choisie pour procéder est aussi très importante, souligne Grégoire Baillargeon. « Ce qui se passe chez le concurrent ou le comparable sur les marchés à ce moment précis peut nourrir le momentum. »

Lors d’un premier appel public à l’épargne, les actionnaires se font diluer ou vendent des actions. « Ils peuvent choisir de ne pas vendre s’ils n’aiment pas le prix offert et décider d’attendre », rappelle-t-il aussi.