Au poker, Jonathan Duhamel aime bluffer.

Cette confidence en cour de la part d’un ex-champion du monde de poker n’étonnera personne.

Dans son litige fiscal, le tribunal doit toutefois déterminer lequel des deux Jonathan Duhamel bluffe : le champion du monde multimillionnaire de 2010-2011 ou le retraité du poker de 2021 qui a des démêlés avec le fisc.

Le Jonathan Duhamel du début des années 2010 se décrivait comme un talentueux joueur de poker professionnel. Il faisait valoir qu’un bon joueur pouvait faire sa propre chance s’il adoptait les bonnes stratégies. « Le hasard n’est pas déterminant [au poker] », a écrit Jonathan Duhamel dans son livre Cartes sur table, publié en 2011. « Ma vie, c’est le poker, écrivait-il. Mon objectif est de figurer constamment parmi les meilleurs [dans les tournois]. Je ne suis pas différent des sportifs et des musiciens professionnels. Plus on se pratique, plus on devient bon. »

Or, le Jonathan Duhamel de 2021 dit carrément le contraire : il jouait seulement pour s’amuser, le poker n’est qu’un jeu de chance, et il a été un champion particulièrement chanceux.

Et ses déclarations de 2010 et 2011 sur son statut de joueur professionnel, son talent au poker, l’importance de ses stratégies ? Tout ça n’était « pas vrai », a tenté d’expliquer Jonathan Duhamel mercredi matin lors de son témoignage en cour. Ça représentait plutôt « l’image de marque » et le « discours » de PokerStars, son commanditaire à l’époque.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jonathan Duhamel a été commandité par PokerStars pendant cinq ans.

Alors, quel Jonathan Duhamel – celui de 2011 ou de 2021 – bluffe ? C’est une question cruciale dans ce litige.

Si la Cour canadienne de l’impôt estime que M. Duhamel a seulement été chanceux et qu’il a gagné cet argent par hasard comme n’importe quel joueur du dimanche, il ne paiera pas d’impôt sur ses gains au poker. Les gains tirés d’un jeu de hasard ne sont pas imposables au Canada.

Mais si la Cour estime que M. Duhamel était un joueur professionnel exploitant une entreprise, il devra payer de l’impôt sur les profits de cette entreprise, peu importe comment ils ont été gagnés. La facture du litige est estimée à 1 million de dollars en impôts fédéraux entre 2010 et 2012. Revenu Québec pourrait demander à son tour une somme similaire.

« Ça [faisait] partie du personnage »

Durant son contre-interrogatoire mercredi, Jonathan Duhamel a expliqué qu’à partir de sa victoire aux Séries mondiales en 2010, il a joué un « personnage » pour le compte de PokerStars, site de poker en ligne qui l’a commandité pendant cinq ans. Une commandite qui s’est élevée jusqu’à 1 million US par an en 2011.

Son « personnage » : un joueur de poker professionnel pouvant gagner grâce à son talent, son expérience et sa persévérance. Au même titre que les athlètes professionnels. « Ça [faisait] partie du personnage, a-t-il dit en cour mercredi. Ça va avec le discours de PokerStars [voulant que] le poker, c’est comme un sport, plus on se pratique, meilleur on va être. Mais ce n’est pas vrai. Chaque porte-parole de PokerStars avait un discours comme celui-là. PokerStars nous rencontrait plusieurs fois par année pour nous dire [quel était] le message. »

Jonathan Duhamel a passé plusieurs heures de son contre-interrogatoire à expliquer que plusieurs extraits de son livre Cartes sur table (écrit avec un écrivain fantôme) sont largement exagérés ou carrément faux.

En 2011, il avait comparé les parties de poker à « des marathons […] très épuisants physiquement et mentalement ». C’est pourquoi il devait se coucher tôt et tenter de se détendre durant ses tournois. Faux, dit-il aujourd’hui. « On fêtait beaucoup [lors des voyages de poker], des fois jusqu’à 7 h ou 8 h du matin même si on jouait à midi. » Il a toutefois convenu avoir été assez discipliné lors des Séries mondiales en 2010.

Un chapitre de son livre intitulé « Un ordinateur dans la tête » est consacré aux mathématiques du poker. Il a raconté le contraire mercredi en cour. « Je suis un être humain », pas un ordinateur, a-t-il dit, faisant valoir que les calculs de probabilités au poker sont relativement simples et accessibles à tous.

En 2010, M. Duhamel a fait des gains nets au poker de 4,8 millions CAN grâce à sa victoire aux Séries mondiales (il avait gagné 8,9 millions US, mais avait échangé 46 % de sa bourse avant le début du tournoi et a dû payer des impôts américains). De 2011 à 2018, il a fait des gains nets de 1,3 million CAN au poker (en excluant les commandites), principalement grâce à un gain de 2,4 millions à un tournoi au profit de la Fondation One Drop en 2015. Au total, cela lui donne des gains nets de 6,1 millions entre 2010 et 2018. Il ne joue plus au poker depuis trois ans.