Station de métro McGill. Lundi midi. La boutique 5e Avenue, spécialisée dans les vêtements pour hommes, est vide de clients, mais remplie… d’étalages de chemises à prix réduit. Juste en face, au tailleur nettoyeur BleuBlanc, on ne fait pas la file non plus. Comme bien d’autres, ces commerces situés dans le « Montréal souterrain » souffrent de l’absence des travailleurs et de la diminution de la fréquentation du métro.

Objet de curiosité pour de nombreux visiteurs, les boutiques et services situés dans les galeries souterraines reliées par plusieurs stations de métro, qui font une distance de 32 km allant des Cours Mont-Royal à la Place Bonaventure en passant notamment par le Centre Eaton, le Complexe Desjardins et le Palais des congrès, souffrent davantage que les autres, selon Glenn Castanheira, directeur général de Montréal centre-ville, la société de développement commercial du centre-ville de Montréal.

« Ces petits commerces se mettent dans un couloir très achalandé. Tout le monde passe et eux, ils attrapent ceux qui sont de passage parce qu’ils sont pratiques : le nettoyeur, le cordonnier, le chiropraticien qui était dans le deuxième sous-sol. C’est là où la clientèle n’est pas de retour », soutient-il.

« Les [boutiques] ayant pignon sur rue ont pu bénéficier de la présence des touristes, des visiteurs, ajoute-t-il. L’achalandage sur rue était quand même au rendez-vous malgré les circonstances. Alors que le souterrain n’en bénéficie pas. Il faut vraiment passer devant. Pendant la pandémie, en plein été, alors qu’il faisait beau, la dernière place où les gens voulaient être, c’était dans le souterrain. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La propriétaire du magasin BleuBlanc, nettoyeur et tailleur situé à la station McGill, dit avoir vu sa clientèle diminuer de 70 % depuis le début de la pandémie.

Souterrain tranquille

En arpentant les couloirs du Montréal souterrain, lundi midi, alors que le temps était frisquet et pluvieux – une excuse parfaite pour emprunter ces tunnels et éviter d’être à l’extérieur –, La Presse a constaté que les commerces et les foires alimentaires situés au niveau du métro étaient presque déserts, en comparaison de ce qu’on voyait il y a plus de 18 mois. Avant, à l’heure du dîner, le nettoyeur de la station McGill ou encore les restaurants au sous-sol de la Place Montréal Trust fourmillaient de gens qui profitaient de leur pause repas pour faire des courses.

Actuellement, près de 23 % des travailleurs du centre-ville sont de retour à temps plein et 30 % fonctionnent en mode hybride (au bureau et à la maison), selon la quatrième édition de L’état du centre-ville, dévoilé mercredi par Montréal centre-ville et l’Institut de développement urbain du Québec.

Ce sont surtout des décideurs, comme des vice-présidents, [qui sont de retour]. Ce ne sont pas ceux qui remplissent les [foires alimentaires] et qui viennent en métro et en autobus.

Glenn Castanheira, directeur général de Montréal centre-ville

La Société de transport de Montréal (STM) évalue de son côté avoir récupéré près de 55 % de ses usagers sur l’ensemble du réseau.

Ces résultats ont un impact pour Nora Wu, propriétaire de BleuBlanc, nettoyeur et tailleur, à la station McGill. Celle-ci a vu sa clientèle diminuer de 70 %. « C’est difficile, admet-elle. Normalement, nous servons les gens qui travaillent dans les bureaux. Maintenant, ils vont dans les commerces situés près de chez eux », constate-t-elle.

Mme Wu, qui souligne néanmoins que les affaires vont « un peu mieux » qu’avant, a tout de même décidé de réduire ses heures d’ouverture. Alors qu’elle ouvrait boutique dès 6 h le matin, sa journée commence maintenant à 10 h 30 pour se terminer à 17 h 30, plutôt que 19 h.

Au cours de cette même journée, au Centre Eaton, seule une poignée de clientes magasinaient des vêtements au magasin Reitmans. « Avant, il y avait du monde partout sur l’heure du lunch », raconte la gérante, Marie-Pierre Coutu. Maintenant, certaines de ses clientes régulières qui travaillent en mode hybride ne reviennent que toutes les trois semaines. Les employés qui étaient généralement sur le plancher travaillent maintenant à préparer les nombreuses commandes en ligne.

En poursuivant notre chemin, on a remarqué que la dizaine de tables d’un comptoir à sushis attendaient en vain les clients du midi. Seul un couple y était installé. Plus loin, un marchand de valises, debout à l’avant de sa boutique, semblait littéralement chercher à passer le temps en attendant qu’un client se présente.

Le décor change, mais l’ambiance est la même au Complexe Desjardins. Au niveau du métro, la seule file visible était celle que faisaient les gens devant le kiosque de Loto-Québec. « On a hâte que les bureaux ouvrent », lance Thibault Flukiger, assistant-gérant de la boutique de jouets Divertioz, située juste en face. « Ça revient petit à petit. »

Le magasin était auparavant particulièrement occupé entre 12 h et 14 h, selon M. Flukiger. Lors de notre passage, il n’y avait qu’une seule cliente. Rappelons également que, tout près, la foire alimentaire est complètement fermée pour rénovation.

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Thibault Flukiger, assistant-gérant de la boutique Divertioz, magasin de jouets situé au niveau Métro du Complexe Desjardins

Ramener les gens

Comment s’y prendre pour faire revivre le Montréal souterrain ? « La STM travaille fort pour ramener les gens dans le métro », assure Manuel Lopez, directeur, opérations et développement commercial, pour Transgesco, la filiale commerciale de la société de transport. « On a une belle campagne qui s’en vient pour reconnecter avec les télétravailleurs, les ramener en ville. Le nerf de la guerre, ça va être ça : quand on va avoir les travailleurs de retour, ça va nous donner une bonne bouffée d’air frais. »

Glenn Castanheira ajoute pour sa part que « ça sera tout un défi » de ramener les gens dans le souterrain. « Nonobstant la pandémie, c’était un défi auquel il fallait faire face. Les tendances dans le commerce de détail nous laissaient présager que l’offre commerciale que l’on retrouve dans le Montréal souterrain était vouée à un repositionnement. Le commerce est pratique. L’expérience est intéressante, mais pas plus, alors que ce qu’on voyait dans les tendances en milieu urbain, c’est que le pignon sur rue allait prendre de la valeur. [Déjà en 2018-2019], on voyait de plus en plus d’investissement dans de la brique et du mortier en milieu urbain. »

Le Montréal souterrain

  • 32 kilomètres de galeries souterraines
  • 1700 boutiques
  • 200 restaurants

* Données compilées avant la pandémie
Source : Montréal centre-ville