En septembre, les fondateurs d’Adviso annonçaient la nomination d’une nouvelle cheffe de la direction et actionnaire, Élizabeth Henry, et, du même élan, rendaient concret un processus de relève interne et de promotions amorcé il y a trois ans.

Deux décennies après la création de leur firme spécialisée en stratégie et marketing numériques, Jean-François Renaud et Simon Lamarche disent s’assurer ainsi que l’entreprise demeure québécoise et pouvoir se lancer dans des projets personnels. « Bien des agences de publicité se sont fait acheter ces dernières années, Sid Lee, Cossette, Bos, rappelle Jean-François Renaud, qui demeure à la tête de l’entreprise. Certaines ont perdu beaucoup d’employés à Montréal. Les nôtres nous demandaient : “Est-ce qu’on va vendre ?” Ça nous a obligés à nous positionner. On savait qu’on ne voulait pas vendre, mais on ne savait pas quoi faire. On a trouvé l’option de la relève entrepreneuriale. »

Dès lors, ils se sont donné un horizon de cinq ans pour assurer une relève. Car on ne planifie pas une telle chose en claquant des doigts. « Ça nécessite la mise en place d’un programme, explique Simon Lamarche, qui demeure actionnaire, mais qui se retire des opérations à 42 ans. On a annoncé il y a deux ans qu’on ne serait pas vendus, qu’Adviso garderait son indépendance. Mais le long du parcours, il y a eu des complexités. Au bout d’un an, on a été plus clairs. On a dit aux gens qu’Élizabeth allait devenir dirigeante et actionnaire. »

Tous les signaux dans notre industrie mettent de la pression sur la consolidation et le rachat d’entreprises. Il faut sortir du lot, résister.

Élizabeth Henry

« Le taux de roulement est très élevé dans notre industrie. En période de pénurie de main-d’œuvre, tout le monde cherche donc des moyens de retenir. L’actionnariat est le Saint Graal de la rétention ! On veut attirer des gens ambitieux et performants. Pour un employé, ça envoie le message qu’il n’y a pas de limites. On veut ouvrir à des talents, pas qu’à des gestionnaires », poursuit Mme Henry.

« C’est long »

Les fondateurs admettent avec humilité aujourd’hui qu’ils ne savaient pas vraiment dans quoi ils s’embarquaient, en 2018, qu’ils ont sous-estimé l’aspect humain de ce type de processus, qu’ils ont réalisé en cours de route qu’ils ne désiraient pas les mêmes choses, que c’était drainant en matière de temps et d’énergie. « Les employés pensaient qu’il ne se passait rien, mais c’est long », admet Simon Lamarche.

Les dirigeants se sont entourés de coachs, de comptables et d’autres spécialistes en plus de s’inspirer d’autres relèves entrepreneuriales de leur milieu. « C’est compliqué, ajoute Jean-François Renaud. On fait entrer des gens qui n’ont pas de fonds. Les humains normaux n’ont pas des millions pour investir et acheter une part importante de l’entreprise. Il faut faciliter leur intégration. »

Au moins, la finalité peut être payante. « Une telle décision amène de la croissance », affirme Jean-François Renaud, qui cite en exemple une agence, Acolyte, qui a réalisé le même exercice, il y a trois ans.

« Notre chiffre d’affaires a augmenté de plus de 40 %, affirme Martin Dugré, fondateur d’Acolyte. On a un faible taux de roulement. C’est lié au renouvellement du leadership. On peut se concentrer sur les bonnes affaires, car on a chacun nos forces. Il n’y a pas de modèle parfait, mais avec une relève à l’interne, on s’assure de préserver l’ADN de l’entreprise. Vendre à l’externe vient avec une autre façon de réfléchir. »

Plus tôt que tard

Les fondateurs d’Adviso (qui compte 100 employés et qui a comme clients la STM, Cascades, la Banque Nationale, Énergir et Air Canada notamment) ont voulu aussi réfléchir le plus tôt possible à la suite des choses. « Il faut y penser avant d’être au bout du rouleau, dit Jean-François Renaud. Là, on a plus de bras. »

« Un transfert prend de deux à cinq ans. Le processus se fait par-dessus tout le reste », note Serge Bastien, chef d’équipe des conseillers du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ), un OSBL financé par le ministère de l’Économie et de l’Innovation qui appuie les acheteurs et vendeurs d’une entreprise dans leur démarche.

Pendant des mois, la direction d’Adviso a dû consacrer au moins trois heures par semaine au projet avec ses employés.

C’est un processus plus dur qu’anticipé et avec de l’inconnu. Ça amène des discussions difficiles. Il ne faut pas oublier où on s’en va.

Simon Lamarche

Martin Dugré estime qu’un processus de relève n’a pas de date de début ni de fin. « Mais il faut le fixer dans le temps, conseille-t-il. Chez Acolyte, on avait une vision. Chacun des points de vue était important. Il faut connaître les gens avec qui on s’associe. »

Ce conseil s’appliquera à un nombre croissant d’entrepreneurs, selon le CTEQ. « On va voir de plus en plus de transferts de relève, affirme Serge Bastien. L’enjeu est mathématique : il y a plus de sortants que d’entrants. Le transfert à l’interne est l’avenue à privilégier, car il a le plus de succès sur le plan de la pérennité. On arrive avec du monde qui connaît l’entreprise et sa valeur. Il faut plus de préparation pour l’extérieur. Cela dit, on voit aussi des transferts mixtes, avec un repreneur de l’extérieur qui a une expertise en particulier. »

Adviso a justement recruté de l’extérieur quelqu’un en finance et un autre en ressources humaines. Trois personnes de l’interne ont été promues à des postes de direction. Et outre Élizabeth Henry, « quelques autres personnes d’ici les prochains mois » deviendront actionnaires de l’agence. « La majorité des gens promus étaient déjà ici depuis au moins six ans, dit Élizabeth Henry. Des employés sont devenus gestionnaires, certains se sont manifestés, on a délégué beaucoup pour qu’ils se fassent les dents. C’est plus d’énergie que d’aller chercher quelqu’un de prêt, mais il fallait partir de la base pour garder la culture vivante. On a formé un collectif de gens de l’interne et de l’externe qui vont rendre l’agence plus forte. »

Le grand départ

En 2020, de 13 000 à 15 000 propriétaires québécois avaient l’intention de procéder à un transfert d’entreprise d’ici la fin de 2021, selon une étude du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ) et de l’UQTR. Environ 12 % seront des transferts familiaux, 21 % des transferts internes et 66 % des transferts externes, selon Statistique Canada. Un tiers des entrepreneurs ont plus de 55 ans. Le cinquième a plus de 60 ans. « Ce niveau élevé d’intention pourrait représenter la fermeture prématurée d’environ 2200 entreprises supplémentaires au Québec au cours des 10 prochaines années, indique Serge Bastien du CTEQ. Ces fermetures représenteraient une perte d’approximativement 20,1 milliards du chiffre d’affaires annuel des entreprises au Québec après 10 ans. »