Les membres du comité d’experts créé par Québec pour assurer l’intégration architecturale du REM de l’Est ne se gênent pas pour « poser les questions difficiles » à CDPQ Infra et pourraient même refuser d’avaliser le projet s’ils n’obtiennent pas de réponses adéquates.

C’est ce qu’a affirmé Maud Cohen, présidente de ce groupe formé en mai dernier, lors de sa première grande entrevue depuis sa nomination. « Le comité n’hésitera pas, s’il ne se sent pas à l’aise avec ce qui est proposé, ils ne vont pas l’avaliser », a-t-elle indiqué à La Presse.

Selon le « projet de référence » élaboré par CDPQ Infra, le REM de l’Est circulera sur des structures en hauteur sur 25 kilomètres au centre-ville de Montréal, ainsi que dans les rues Notre-Dame Est et Sherbrooke Est. Des experts de 17 ministères et de nombreux citoyens ont émis de sérieuses inquiétudes quant aux impacts urbanistiques d’un tel tracé.

Selon CDPQ Infra, le creusage d’un tunnel au centre-ville comporterait des risques « non quantifiables », incluant l’effondrement de gratte-ciel et de lignes de métro. La seule option acceptable pour ce projet de train léger automatisé de 10 milliards de dollars est aérienne, tranche cette filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Le tracé aérien est d’ailleurs le seul scénario étudié par les 15 membres du groupe d’experts, confirme Maud Cohen.

« On n’a pas le mandat de se positionner par rapport à l’aérien ou au souterrain, a-t-elle dit. Ce qui justifie ça [un tracé aérien], ce sont des raisons techniques, et des raisons qui sont sous-jacentes au projet que CDPQ Infra, que le gouvernement du Québec et que la Ville de Montréal sont prêts à faire. Le comité n’a pas ce mandat-là du tout, du tout, du tout. »

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Maud Cohen

Pleine confiance

Maud Cohen, ingénieure industrielle qui dirige la Fondation du CHU Sainte-Justine, souligne que le comité d’experts s’est réuni à neuf reprises depuis sa formation. Trois de ces rencontres ont été consacrées à la présentation de tous les scénarios souterrains envisagés – puis rejetés – par CDPQ Infra, précise-t-elle.

« On nous a tout donné pour expliquer le tracé, souligne-t-elle. Ça ne veut pas dire que le comité n’a pas posé de questions et n’a pas challengé, mais ce n’est pas notre rôle de prendre la décision, ultimement, sur le tracé, aérien versus souterrain. »

Maud Cohen a entièrement confiance en la firme d’architectes Lemay, responsable du REM de l’Est, qui a remplacé Daoust Lestage Lizotte Stecker et STGM au début de 2021. Ces deux cabinets ont démissionné, car ils estiment que le projet, tel que proposé par CDPQ Infra, viendra défigurer le centre-ville pour les décennies à venir.

Mme Cohen cite en exemple des projets de trains légers aériens réalisés ailleurs dans le monde et bien intégrés à leurs milieux. Elle a entre autres parlé de Toronto, où un marché public a été installé sous une structure en hauteur.

Des inspirations de CDPQ Infra
  • Un projet autrichien cité comme une source d’inspiration par CDPQ Infra


    PHOTO FOURNIE PAR CDPQ INFRA

    Un projet autrichien cité comme une source d’inspiration par CDPQ Infra

  • La station Washington Wabash du métro de Chicago, qui inspire CDPQ Infra

    PHOTO FOURNIE PAR CDPQ INFRA

    La station Washington Wabash du métro de Chicago, qui inspire CDPQ Infra

  • Une autre inspiration de CDPQ Infra, aux Pays-Bas

    PHOTO FOURNIE PAR CDPQ INFRA

    Une autre inspiration de CDPQ Infra, aux Pays-Bas

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« Une structure, ça peut prendre toutes sortes de formes, ça peut prendre toutes sortes de vies, et plusieurs pays ont réussi, avance-t-elle. C’est juste qu’ici, on ne s’est jamais donné les moyens pour le faire. »

Elle estime que « l’alignement » actuel entre le gouvernement du Québec, la Ville de Montréal et CDPQ Infra donne de bonnes chances au projet de réussir. Elle fait aussi confiance au modèle d’affaires de CDPQ Infra, qui a réussi à lancer la première phase du Réseau express métropolitain (REM) en 2018 moins de deux ans après l’annonce du projet.

« Ça fait combien d’années qu’on parle de la ligne bleue et ça fait combien d’années que ça ne se réalise pas ? demande-t-elle. Je pense qu’on a un grand avantage d’avoir un projet qui se réalise par une grande organisation qui a les moyens de le faire, et les moyens de le faire assez rapidement et les moyens en ressources techniques de le faire. »

Maud Cohen estime que l’attention est aujourd’hui beaucoup portée sur « deux ou trois coins de rue » du boulevard René-Lévesque au centre-ville. Or, le REM de l’Est viendra desservir et même revitaliser plusieurs quartiers négligés de l’est de la métropole, qui bénéficieront grandement de cet investissement, dit-elle. Elle croit même que les travaux de son comité permettront d’en faire un projet « signature » sur le plan architectural.

  • Selon le « projet de référence », le REM de l’Est doit notamment passer au-dessus de la rue Sherbrooke Est.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    Selon le « projet de référence », le REM de l’Est doit notamment passer au-dessus de la rue Sherbrooke Est.

  • Maud Cohen dit avoir entièrement confiance en la firme d’architectes Lemay, responsable du REM de l’Est, qui a remplacé Daoust Lestage Lizotte Stecker et STGM au début de 2021.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    Maud Cohen dit avoir entièrement confiance en la firme d’architectes Lemay, responsable du REM de l’Est, qui a remplacé Daoust Lestage Lizotte Stecker et STGM au début de 2021.

  • Le comité devrait normalement rendre son rapport public d’ici la fin de l’année.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    Le comité devrait normalement rendre son rapport public d’ici la fin de l’année.

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Malgré sa confiance, Mme Cohen dit qu’elle sera seulement à l’aise si le comité d’experts obtient un « très large consensus » au terme de ses rencontres, qui doivent durer tout l’automne. « Mais ultimement, s’ils sentent qu’on ne peut pas y arriver, ils vont être capables de le dire. »

Le comité devrait normalement rendre son rapport public d’ici la fin de l’année. Que se passera-t-il si aucun consensus ne se dégage ? Le cabinet de Chantal Rouleau, ministre déléguée aux Transports et responsable de la Métropole, a refusé lundi de se prononcer sur ce scénario « hypothétique ».

Ex-présidente de la CAQ

Maud Cohen a dirigé la Coalition avenir Québec (CAQ) de novembre 2013 à novembre 2014. Elle estime que son engagement antérieur dans le parti de François Legault, qui milite ardemment pour la réalisation du REM de l’Est, ne pose pas d’apparence de conflit d’intérêts. « Cela fera sept ans bientôt que j’ai quitté le parti et n’ai plus aucun lien m’y rattachant. Je n’y ai fait aucun don depuis non plus. Je me sens entièrement libre et indépendante d’esprit par rapport au gouvernement et je ne travaille pour aucune organisation qui aurait des liens avec lui. » Mme Cohen estime également que sa feuille de route lui donne toute la crédibilité nécessaire pour diriger ce comité. Elle a notamment été présidente de l’Ordre des ingénieurs pendant trois ans et siège depuis 17 ans à des conseils d’administration.

Ententes de confidentialité et salaires

Les 15 membres du groupe d’experts mandaté par Québec ont tous dû signer des ententes de confidentialité, une pratique normale dans un tel contexte, selon Maud Cohen. Les membres sont également rémunérés par le gouvernement du Québec. Le cabinet de la ministre Chantal Rouleau a refusé de préciser leur salaire, invitant La Presse à formuler une demande d’accès à l’information pour obtenir des réponses. La semaine dernière, une porte-parole de CDPQ Infra a indiqué que « le niveau de rémunération a été établi par le gouvernement du Québec et suit les taux du gouvernement qui sont en vigueur pour ce type de participation ».

Qui siège au comité ?

Les membres du comité d’experts multidisciplinaires sur l’architecture et l’intégration urbaine du REM de l’Est sont les suivants :

  • Maud Cohen, présidente et directrice générale, Fondation CHU Sainte-Justine ;
  • Mouna Andraos, cofondatrice, studio d’art et de design Daily tous les jours et professeure adjointe au département de design et d’arts numériques, Université Concordia ;
  • Frédérick Bouthillette, sous-ministre adjoint aux projets stratégiques de transport collectif et ferroviaire, ministère des Transports ;
  • Rose Lyndsay Daudier, directrice générale, Fusion Jeunesse ;
  • Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction, Chambre de la sécurité financière, et membre du conseil d’administration, Réseau de transport métropolitain (exo) ;
  • Luc Gagnon, directeur du Service de l’urbanisme et de la mobilité, Ville de Montréal ;
  • Éric Gauthier, associé principal, Les architectes FABG ;
  • Ken Greenberg, concepteur d’urbanisme, professeur, auteur et directeur, Greenberg Consultants ;
  • Eric Millette, consultant en conservation et en intégration architecturale, CONTEXTURE ;
  • Paula Negron, Ph. D., professeure agrégée à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage, Université de Montréal ;
  • Christian Savard, directeur général, Vivre en Ville ;
  • Monique Simard, productrice et gestionnaire culturelle, présidente du conseil d’administration, Partenariat du Quartier des spectacles ;
  • Stéphanie Trudeau, vice-présidente exécutive – Québec, Énergir, et présidente des conseils d’administration de Gaz Métro Plus ;
  • Jean-Paul Viguier, président fondateur, VIGUIER architecture urbanisme paysage ;
  • Christian Yaccarini, président et chef de la direction, Société de développement Angus.