En plus d’un investissement dans la C Series – maintenant l’A220 d’Airbus – qui a sérieusement piqué du nez, Québec est sur le point de voir se fermer une fenêtre qui, pendant plus de deux ans, lui a offert plusieurs occasions de récupérer une partie de ses billes.

L’injection de 1,3 milliard pour voler au secours du programme développé par Bombardier s’est retrouvée sous les projecteurs à maintes reprises depuis l’annonce effectuée en octobre 2015. La transaction s’accompagnait d’un aspect moins médiatisé : l’octroi à Investissement Québec (IQ) d’un bloc de 100 millions de bons de souscription d’actions de Bombardier – une option initialement fixée à 200 millions de bons de souscription.

À l’époque, le prix d’exercice avait été fixé à 2,21 $ (1,72 $ US). Au moment jugé opportun, lorsque le prix de l’action sur les marchés dépassait ce prix d’exercice, le bras financier de l’État québécois aurait donc pu acquérir des actions de catégorie B de Bombardier afin de les revendre en réalisant un profit. Cela ne s’est jamais produit.

Une première tranche des options est venue à échéance le 30 juin dernier. La fenêtre se fermera pour de bon le 1er septembre. À la Bourse de Toronto, mardi, le titre de catégorie B de l’avionneur a clôturé à 1,53 $, en baisse de 9 cents, ou 5,6 %. À moins d’un revirement spectaculaire, Québec ne devrait pas bouger puisque le cours de l’action de Bombardier, qui a complété un recentrage pour se tourner exclusivement vers les luxueux jets d’affaires, est inférieur au prix d’exercice (2,16 $) de cette deuxième tranche.

Cela n’a toutefois pas toujours été le cas. À l’exception de quelques périodes, le cours du titre de catégorie B de la multinationale québécoise s’est constamment négocié à un niveau égal ou supérieur à 2,21 $ entre janvier 2017 et le 30 juillet 2019. En 2018, il a pris de l’altitude pour temporairement coter à 5,41 $ en juillet. La valeur théorique des bons de souscription atteignait alors environ 320 millions de dollars.

« Plusieurs mois à revendre »

Pourquoi Québec n’a-t-il pas sauté sur l’occasion ? Le ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Sciences n’a pas expliqué son analyse. Dans un courriel, il a toutefois précisé qu’il n’y avait « aucune condition particulière sur la durée de détention » des actions en cas d’exercice des bons.

Il est de bonne pratique d’évaluer la réaction du marché avant de procéder à la vente d’un bloc d’actions important sur le titre. Une telle quantité d’actions aurait donc pris plusieurs mois à revendre sur le marché.

Le ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Sciences, dans un courriel

Dans un autre courriel, un porte-parole, Jean-Pierre D’Auteuil, avait fait valoir que l’exercice des bons de souscription aurait « nécessité l’injection de nouvelles sommes publiques ».

Bombardier n’a pas commenté la stratégie d’IQ.

Occasion ratée ?

En rétrospective, il est facile de conclure que l’État québécois a raté le bateau. Mais en pratique, l’opération est plus délicate, d’après des spécialistes de la gouvernance.

« Investissement Québec investit généralement pour le moyen et long terme, souligne Michel Magnan, professeur de comptabilité à Concordia et titulaire de la Chaire Stephen Jarislowsky en gouvernance. Le gouvernement se retrouve un peu coincé. D’un côté, on dit que Bombardier est solide, mais aussitôt que l’on peut, on vend les actions pour réaliser un profit. Ça complique leur tâche d’un point de vue politique. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ CONCORDIA

Michel Magnan, professeur de comptabilité à Concordia et titulaire de la Chaire Stephen Jarislowsky en gouvernance

Québec aurait également pu exercer ses options à un certain moment et le cours de l’action de Bombardier aurait par la suite pu poursuivre sa progression, ce qui aurait probablement ouvert la voie à des critiques, selon l’expert-conseil Michel Nadeau, ex-haut dirigeant de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Celui-ci estime néanmoins que l’État québécois aurait pu exercer une partie de ses bons de souscription pendant que le titre cotait à plus de 2,21 $ pour « aller chercher un petit gain ».

« C’est une question de gestion active, dit M. Nadeau. Mais quand vous donnez des options pour des bons [de souscription] à des fonctionnaires, ils sont généralement prudents. »

Un contrôle modifié

L’exercice des 100 millions de bons de souscription par Québec aurait également eu des répercussions sur la structure de l’actionnariat du constructeur d’avions d’affaires.

En vertu de ses actions à droits de vote multiples, la famille Beaudoin-Bombardier contrôle 50,9 % des droits de vote alors qu’elle ne détient qu’une fraction des quelque 2,4 milliards de titres en circulation. Cela lui permet donc d’être maître à bord, par exemple dans l’éventualité où une offre d’achat hostile serait déposée.

En ajoutant 100 millions de titres de catégorie B, la famille Beaudoin-Bombardier aurait perdu le contrôle absolu de l’entreprise. Son poids serait passé sous le seuil psychologique des 50 % (49,96 %), selon les calculs effectués par La Presse.

MM. Magnan et Nadeau ne croient toutefois pas que cet élément a pesé dans la balance du côté de l’État québécois.

« C’est une barrière davantage psychologique que substantielle, dit M. Magnan. À quelques fractions des 50 %, on dispose d’un contrôle en substance. Est-ce que cela a pesé dans la balance [de Québec] ? Ce n’est pas impossible. »

Par l’entremise d’IQ, l’État québécois détient 25 % de l’A220 depuis février 2020, lorsque Bombardier a quitté l’aventure pour de bon. Airbus contrôle les 75 % restants. Le géant européen pourra racheter la participation du Québec en 2026.

La valeur du placement dans l’avion développé par Bombardier a fondu d’environ 1 milliard. Dans les états financiers du Fonds de développement économique pour l’exercice terminé le 30 mars 2020, d’importants doutes étaient soulevés sur la possibilité pour l’État de recouvrer la valeur de son investissement au 1er janvier 2026.