Les magasins fermés le dimanche ? Cela ferait des employés heureux… et d’autres, malheureux. Certains croient que tous les commerces devraient être visés par le changement, d’autres pensent que la décision devrait se prendre à la pièce. Bref, la réflexion se poursuit.

« Vous êtes fermés le dimanche ? » À sa caisse, lundi matin, Frédéric Therrien converse avec une cliente : « Oui, depuis un an et demi. »

Quelques secondes plus tard, le propriétaire de la Boucherie Claude Fortier affirme à La Presse que personne ne s’est plaint depuis qu’il a pris cette décision, de concert avec trois autres boucheries de Chicoutimi, son patelin. « Je n’ai pas perdu de ventes. Elles sont même en hausse, affirme M. Therrien. Le vendredi, c’est presque le double d’avant. Les gens s’habituent. »

Les quatre boucheries se sont reparlé, au printemps, pour décider si la pause dominicale continuerait. Elles ont acquiescé en chœur. « Nos employés, qui ont de 30 à 65 ans, sont contents, car ils peuvent passer du temps avec leur famille, confie Frédéric Therrien. La vie est courte ! »

Depuis une semaine, La Presse rapporte le désir de certains quincailliers de fermer leur commerce le dimanche et de revoir la Loi sur les heures et les jours d’admission dans les établissements commerciaux. À cause du manque endémique de main-d’œuvre, de l’épuisement qui en découle, du stress pandémique et pour protéger l’expertise qu’offrent les quincailleries…

Le souhait émane aussi d’autres secteurs du commerce de détail.

« Plus de la moitié de nos magasins, sur les 42, sont fermés le dimanche depuis juin, raconte Marc Gentile, vice-président opérations de Club Piscine. Notre milieu a fortement été mis à contribution depuis le début de la pandémie. L’intensité anormale a pesé lourd. Les employés se sont brûlés. On a proposé aux franchisés de fermer après la vague du printemps pour permettre aux employés de prendre une pause. »

Marc Gentile, dont l’entreprise a interpellé le ministre du Travail, Jean Boulet, à ce sujet à cause de la pénurie de main-d’œuvre, affirme qu’il serait le premier à appuyer les quincailliers dans leur quête dominicale. « Je suis convaincu qu’une fermeture le dimanche fonctionnerait bien, surtout quand le détaillant a un service de commerce en ligne efficace, dit-il. Mais il y aurait un enjeu avec les grandes surfaces américaines. Il faudrait que ça s’applique à tous. D’un autre côté, on ne peut empêcher un entrepreneur de faire fonctionner son commerce. C’est une réflexion qui mérite d’être faite. En espérant que le gouvernement tende une oreille. »

La réalité d’un quincaillier en région rurale n’étant pas celle d’une épicerie de grande ville, les opinions sur le sujet sont diverses. « À cause de la COVID, on a déjà devancé les heures de fermeture de 23 h à 21 h 30, indique Caroline Bouchard, propriétaire du Marché Centre-Ville de Chicoutimi, qui embauche régulièrement des étudiants. On pensait qu’on ferait plaisir aux employés en faisant ça. La moitié s’en est réjouie, l’autre a dit que ça lui faisait moins d’heures ! Mais comme je n’ai pas de problème de recrutement, je n’envisage pas de fermer, afin de donner le service. »

« Des membres nous appellent pour nous dire ‟quelle bonne idée de fermer le dimanche", mais c’est partagé », constate Pierre-Alexandre Blouin, PDG de l’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADA).

Ce débat n’est pas nouveau pour l’ADA. « Historiquement, on s’est battus contre l’ouverture les dimanches, raconte M. Blouin. Ce dossier reste sensible, car on a une variété de membres. »

Le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) confirme aussi la diversité de points de vue de ses membres. « On sent que les gens veulent continuer d’avoir le choix d’ouvrir ou non le dimanche, affirme Jean-François Belleau, directeur des relations publiques et gouvernementales du CCCD. On a toujours une réserve pour une modification à un élément de la loi, à une application sur l’ensemble du territoire, alors que les besoins diffèrent d’une région à l’autre. »

Il souligne le défi de la conservation de fraîcheur des fruits et de la viande dans les épiceries.

Une chaîne d’approvisionnement ne se vire pas sur un 10 cents, avance-t-il. Et pour les pharmacies, il y a une notion de service à la population pour les médicaments.

Jean-François Belleau, directeur des relations publiques et gouvernementales du CCCD

Cela dit, tant l’ADA que le CCCD affirment ne pas avoir eu de plaintes de leurs membres quand le gouvernement Legault a exigé la fermeture des commerces le dimanche au plus fort de la pandémie. « Il y a beaucoup d’éléments dans la loi, expose Pierre-Alexandre Blouin. Plusieurs points pourraient être étudiés. Je serais alors curieux de voir si une fermeture le dimanche serait le scénario retenu. Tout le monde a son idée sur ce que pourrait être la meilleure situation. »

Pourquoi ne pas libéraliser les horaires ? offre comme piste de réflexion Jean-François Belleau. « Si la clientèle principale d’un disquaire est le soir de 22 h à 23 h, par exemple. Il faut sortir de la boîte et de nos réflexes judéo-chrétiens, ouvrir au moment le plus opportun. Il n’y a qu’au Québec que c’est aussi légiféré. »