Les milieux d’affaires et touristiques de Montréal lancent un appel formel au premier ministre Justin Trudeau. Il est temps d’ouvrir les frontières terrestres et aériennes aux touristes américains et d’ailleurs pleinement vaccinés, clament-ils. De son côté, le premier ministre prône la prudence pour éviter un « désastre ».

« Assez, c’est assez. On ne peut attendre plus longtemps », a martelé Yves Lalumière, PDG de Tourisme Montréal, qui a pris la parole en collaboration avec la Table ronde canadienne du voyage et du tourisme lors d’une conférence de presse tenue à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, mercredi.

En marge d’une conférence en Gaspésie, Justin Trudeau a dit comprendre l’impatience des Canadiens et du milieu du tourisme. « On vient juste de permettre aux Canadiens pleinement vaccinés de revenir [au pays] sans avoir à faire de quarantaine [et] on va avoir de prochaines étapes à annoncer dans les semaines à venir, dit le premier ministre. Mais ce serait un désastre de devoir revenir en arrière parce qu’on a été trop pressés de quelques semaines. »

Alors que les frontières s’ouvrent ailleurs dans le monde et que de plus en plus de gens sont doublement vaccinés, on souhaite un retour à la normale pour ne pas revivre un deuxième été de suite à sec.

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Yves Lalumière

On a besoin d’un plan harmonisé avec les grands pays du G7. Les chiffres sont éloquents. Montréal compte 11 millions de visiteurs habituellement par an. Nous sommes encore dans le 1 à 2 millions.

Yves Lalumière, PDG de Tourisme Montréal

« On a perdu 80 % du trafic en 2020, ajoute Philippe Rainville, PDG d’Aéroports de Montréal. Jusqu’à présent, ça a été aussi pire, sinon pire en 2021. On sent à peine une petite brise depuis quelques semaines. Les aéroports canadiens sont restés ouverts pour appuyer le transport essentiel pendant la pandémie. On a joué un rôle vital. Maintenant, c’est le temps de se tourner vers la reprise. »

À la recherche d’un plan clair

La Table ronde canadienne du voyage et du tourisme blâme le gouvernement Trudeau de laisser toute une industrie dans le noir, alors qu’elle a besoin de connaître à l’avance certaines décisions pour planifier des embauches et des formations. « D’autres pays, notamment en Europe, ont mis en place des mesures efficaces et favorables au redémarrage de leur industrie en cette saison estivale, explique Philippe Rainville. Nous avons besoin de temps pour accueillir de la main-d’œuvre supplémentaire. Il faut de 30 à 60 jours pour l’obtention de certaines certifications. Les défis logistiques sont nombreux. »

On craint également de perdre des évènements annuels, que des employés qui ont vu leur poste aboli temporairement tournent définitivement le dos à l’industrie touristique et que les touristes choisissent une autre destination vacances. « On veut retrouver ce marché le plus tôt possible, dit Yves Lalumière. Les États-Unis sont déjà rendus aux performances de 2019 pour le marché domestique. Et dans les prochains mois, ils retrouveront 60 % de leur marché d’affaires. On est vraiment à la traîne au Canada. »

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Michel Leblanc

Depuis plusieurs semaines, nous aurions dû avoir un plan très clair du gouvernement fédéral. Les discussions n’aboutissent pas. Ça se passe correctement si on a des systèmes de tests pour contrôler les éclosions. Pourtant, nous sommes en retard sur l’ouverture des frontières pour les doubles vaccinés. Les impacts sont majeurs.

Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

« Les PME du secteur de l’accueil souffrent, ajoute Michel Leblanc. C’est le moment d’avoir de la solidarité, du leadership. Le ministre [des Affaires étrangères Marc] Garneau doit s’assurer que nos codes QR soient opérables. Ajustons-nous ! »

« Nous avons besoin de ceux qui partent et de ceux qui arrivent, plaide Christophe Hennebelle, vice-président, ressources humaines et affaires publiques, de Transat. La COVID-19 ne reconnaît pas votre passeport. Ce qui fait une différence est qu’on soit vacciné ou non. La saison des voyages est là et est en train de passer. On demande des mesures immédiates pour rouvrir l’accès aux voyageurs internationaux au Canada. Sinon, on continuera à accumuler de la dette qu’il faudra rembourser un jour ou l’autre. »

Aide de 500 millions

Mercredi, Mélanie Joly annonçait pour l’instant la création d’un fonds de 500 millions de dollars pour aider la relance de l’industrie du tourisme au Canada, dont 50 millions seront consacrés au tourisme autochtone, afin d’être prêts lorsque les frontières rouvriront. Les fonds seront notamment distribués pour des projets « qui améliorent une destination » ou des infrastructures permanentes mises sur pied pendant la pandémie, les sommes pouvant être attribuées rétroactivement. « Jusqu’à présent, 15,4 milliards ont été mis dans l’industrie touristique, affirme la ministre du Développement économique et des Langues officielles. On a été là durant la pandémie et on est là pour aider à rebondir. »

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Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles

Plus de 60 % des Français, par exemple, voudraient vivre une expérience autochtone lorsqu’ils visitent le pays, a-t-on avancé en conférence de presse à Sherbrooke. « Notre but est qu’éventuellement, les touristes internationaux dépensent plus, ajoute la ministre Joly. Le secteur touristique autochtone a été particulièrement affecté. Or, c’est celui qui était le plus en croissance avant la pandémie. »

La France aussi tape du pied

Il n’y a pas que la coalition du secteur du tourisme et des voyages qui s’impatiente : dans une entrevue accordée à La Presse Canadienne, l’ambassadrice de la République française au Canada, Kareen Rispal, a relayé celle du pays qu’elle représente.

« Il faudrait que les frontières rouvrent assez rapidement maintenant pour qu’on remette le Canada sur nos plans de voyage et de déplacement. Sinon, c’est vrai que les ministres français iront dans les pays où ils peuvent aller », a-t-elle prévenu, allant jusqu’à évoquer un possible froid diplomatique entre les deux pays.

« La fermeture des frontières, ça a quand même comme conséquence qu’il n’y a plus de visites. Il n’y a plus de ministres. Il n’y a plus de parlementaires. Il n’y a pas de visites d’industriels. Il n’y a pas de visites d’artistes. […] Les relations ont besoin de s’entretenir au quotidien, de se nourrir », a insisté Mme Rispal.

La France permet l’entrée sur son territoire des Canadiens qui peuvent prouver une vaccination complète ou qui soumettent un test récent négatif tout en attestant, sur l’honneur, ne pas avoir de symptômes de la COVID-19.

« On n’a pas exigé la réciprocité. […] Certains le déplorent », a laissé tomber l’ambassadrice.

Avec Mélanie Marquis, La Presse, et Lina Dib, La Presse Canadienne