L’idée de troquer les emballages en carton des plats pour emporter pour de vraies assiettes qu’ils serviront eux-mêmes à leurs clients, d’abord sur la terrasse à partir du 28 mai puis en salle à manger pour « la grande majorité des régions » qui basculeront en zone orange quelques jours plus tard, réjouit les restaurateurs, qui admettent toutefois devoir passer en deuxième vitesse pour embaucher des employés.

« Trouver une brigade de cuisine, des gens en salle et réorganiser le menu », a répondu d’emblée Nathalie Côté, copropriétaire de la Brasserie Bernard et de Stella Pizzeria, lorsque La Presse lui a demandé quels étaient les principaux défis qui l’attendaient au cours des prochains jours.

« Dans la cuisine, il faut qu’ils se rodent aussi, souligne-t-elle. L’été passé à la Brasserie, on faisait entre 400 et 500 couverts par jour. Après quelques mois d’inactivité, il faut reprendre la main. C’est encore une ouverture, en quelque part. Ceux qui sont restés ouverts, ils ont déjà un peu plus d’avance, ajoute-t-elle. Nous, à la Brasserie, on a ouvert en take out il y a trois semaines. »

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Nathalie Côté, copropriétaire de la Brasserie Bernard et de Stella Pizzeria

« Oui, il y a une nervosité, mais aussi une excitation. Ça ne laisse pas beaucoup de temps pour engager et tout réorganiser. Il y en a qui pensait qu’ils pourraient rouvrir à la fin juin. Il y en a qui se sont lancés dans des rénovations. Ils vont se faire prendre les culottes à terre. [La réouverture], ça vient vite pour engager le staff, admet-elle, mais c’est magnifique pour l’espoir. »

Du côté de l’Association Restauration Québec (ARQ), François Meunier, vice-président aux affaires corporatives et gouvernementales, affirme lui aussi que « l’enjeu numéro 1 » de cette réouverture sera de trouver de la main-d’œuvre pour préparer et servir des repas aux clients impatients de retourner s’asseoir dans un restaurant.

Il salue néanmoins le plan présenté par le gouvernement Legault qui permet aux restaurateurs, estime-t-il, d’avoir une prévisibilité. « C’est déjà beaucoup mieux que ce qu’on a déjà eu. Les dernières fois, on nous disait le mardi qu’on pouvait ouvrir le lundi suivant. Là, on a presque deux semaines pour se préparer. »

Ce calendrier plaît également à Jean Bédard, président de Sportscene, groupe qui gère La Cage – Brasserie sportive, qui le qualifie de « brillant ». S’il reconnaît que son équipe vient d’avoir « tout un wake-up call » pour rebâtir les équipes, M. Bédard estime qu’avec le plan du gouvernement, les restaurateurs sont mieux outillés pour faire des embauches. « Ça te permet de prévoir tes embauches, ça te permet de prévoir tes horaires, tes achats d’inventaire. Là, on a des prévisibilités, des dates. Là, on a des arguments », explique-t-il avec enthousiasme.

Rappelons qu’au début du mois, La Cage ainsi que plusieurs autres grandes chaînes québécoises comme le Groupe d’alimentation MTY (Bâton Rouge, Ben & Florentine, Mikes), St-Hubert, Foodtastic (La Belle et La Bœuf, Monza, L’Gros Luxe) et les restaurants Normandin avaient demandé d’une seule voix au gouvernement la possibilité d’accueillir des clients sur leur terrasse à partir de la mi-mai, là où les risques de propagation sont reconnus pour être moins élevés en zone rouge, histoire de pouvoir reprendre leurs activités progressivement avant un retour à l’intérieur, en salle à manger. Ils souhaitaient ainsi recommencer à recruter des employés qui, devant l’incertitude, leur ont filé entre les doigts.

« Si on ne parle pas de réouverture de restaurants du tout, pour nous autres, recruter du personnel, c’est pratiquement impossible parce qu’il n’y a personne qui pense qu’on va ouvrir, avait alors expliqué M. Bédard dans une entrevue accordée à La Presse. C’est important de donner un signal. »

Une belle surprise

Pour sa part, Marc-Olivier Frappier, chef et copropriétaire du restaurant Vin mon lapin, dans le quartier Rosemont, affirme avoir été agréablement surpris par les annonces du premier ministre François Legault. « Je ne m’attendais pas à autant de générosité », dit-il.

« Est-ce que ça arrive vite ? Oui. Honnêtement, je le savais que ça allait être comme ça. Ça fait drôle à dire, mais on a quand même acquis une pas pire expérience en ouverture-fermeture. Mais là, ils viennent de nous dire qu’on va ouvrir nos restaurants. On est vraiment contents. »

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Marc-Olivier Frappier, chef et copropriétaire du restaurant Vin mon lapin

Et l’embauche d’employés ne semble pas freiner son enthousiasme. « Oui, il faut qu’on engage quelques personnes, mais on n’est pas en gros mode recrutement. On est quand même en restauration. Chercher du staff, on est un peu habitués à ça », rappelle-t-il en riant.

De son côté, Benjamin Chèvrefils, vice-président du Groupe ZIBO ! (restaurants ZIBO ! et Vertigo), dont les 10 restaurants sont situés dans la grande région de Montréal, trépigne d’impatience à l’idée d’ouvrir. « On attend ça depuis 14 mois, rappelle-t-il. Je pense qu’il n’y a aucune excuse de dire ‟je ne suis pas prêt “. »

« C’est certain qu’il y a un problème de main-d’œuvre. Mais il y en a dans toutes les entreprises. On en avait avant, on va en avoir encore. Depuis tantôt [mardi soir], j’ai des employés qui me textent. Ils ont hâte de travailler. »

Les bars aussi

Par ailleurs, l’ouverture des terrasses de bar le 11 juin, puis la possibilité de voir passer la grande majorité des régions en zone jaune le 14 juin, permettant du coup aux tenanciers de servir bières et cocktails à l’intérieur, ont été bien reçues par Pierre Thibault, président-fondateur de la Nouvelle Association des bars du Québec et propriétaire de la Taverne Saint-Sacrement.

Il ajoute toutefois que le personnel et la rentabilité ne seront pas tout de suite au rendez-vous. « Oui, il va y avoir des contraintes. Quand tu es propriétaire d’un établissement, souvent au départ, tu as travaillé dans ton bar. Tu as l’expérience du plancher. On va tous redevenir des employés pour nos propres entreprises le temps de stabiliser ça. »

« Le premier mois, ça va être le défi d’arriver à un équilibre financier, ajoute-t-il. On repart la machine. On refait nos contacts avec les gens. Il ne faut pas non plus presser le pas. »

Les clients, eux, pourraient toutefois être impatients de sortir prendre un verre. « Une chose est certaine, les deux ou trois premières semaines qu’on va ouvrir, il va falloir réserver vos places en terrasse, parce que ça va partir vite. »