L’explosion du prix des maisons et des loyers m’obsède.

Elle m’obsède parce qu’elle frappe d’abord les familles pauvres, notamment celles avec enfants qui doivent déménager. Il leur faut alors oublier la règle qui consiste à payer son loyer mensuel avec une semaine de revenus (donc 25 % de sa paye mensuelle). Et couper ailleurs pour arriver, comme dans la bouffe.

Elle m’obsède parce qu’elle rend plus difficile le rêve d’accession à la propriété des jeunes familles. Et risque d’accroître les inégalités, les actuels propriétaires, plus âgés, voyant la valeur de leur patrimoine grimper pendant ce temps.

Elle m’obsède parce qu’elle force des ménages à acheter en lointaine banlieue. Et qu’alors, l’étalement urbain est revalorisé, dans un contexte où, justement, cet étalement est vu comme un accélérateur du réchauffement climatique.

Elle m’obsède parce qu’elle remet en doute une forte hausse de l’immigration économique, réclamée par certains pour contrer la pénurie de main-d’œuvre. Une telle hausse aurait pour effet de pousser encore davantage la demande de logements et donc la hausse des prix, notamment dans la région de Montréal.

Elle m’obsède parce que ce boom de l’immobilier à Montréal devrait être perçu comme une bonne nouvelle. Il reflète la forte croissance du Québec, et donc la création de richesse, qu’on a vue davantage ailleurs par le passé, comme en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique. Or, maintenant qu’elle survient, on en voit les désagréments, sans en constater les avantages.

Elle m’obsède parce qu’elle est très difficile à contenir. Oui, les autorités peuvent resserrer certains critères pour les emprunteurs hypothécaires, et augmenter suffisamment les taux d’intérêt pour freiner le phénomène. Mais à moins d’une forte hausse des taux – impensable en post-pandémie –, l’effet sera limité, comme on l’a vu à Vancouver et à Toronto ces dernières années. Et il n’est pas clair que l’imposition du gain sur la résidence principale à partir d’un certain seuil aurait un grand effet.

Elle m’obsède parce qu’en temps normal, bien des économistes jugent que le principe de l’offre et de la demande est le meilleur instrument pour orchestrer les variations de prix, meilleur qu’un contrôle des loyers, qui est souvent long, inefficace, facile à contourner et a des effets pervers.

Elle m’obsède parce qu’elle s’explique, en partie, par les mesures des autorités face à la pandémie. On a dégonflé les taux d’intérêt, « imprimé de l’argent » et fait bondir les taux d’épargne des ménages avec la distribution de chèques (PCU, etc.). Dit autrement, cette crise est provoquée, entre autres, par des décisions humaines, et non par la seule main invisible d’Adam Smith. Et que ces décisions ont été forcées par un virus débile.

La pauvreté en forte baisse, mais…

Elle m’obsède parce qu’elle risque d’inverser la tendance – méconnue, mais bien réelle – qu’est le recul marqué de la pauvreté au Québec et au Canada ces dernières années.

Je vous fais part de cette obsession, justement, après avoir décortiqué les données publiées en mars 2021 par Statistique Canada sur la pauvreté.

En 2019, selon l’organisme, 10,1 % des Canadiens vivaient sous le seuil de pauvreté. Ce taux était de 14,5 % en 2015 et il est en recul constant depuis. Toutes les régions canadiennes ont connu une baisse de la pauvreté entre 2015 et 2019, le Québec étant l’endroit où ce taux de pauvreté est le plus faible (8,7 % en 2019) et où la pauvreté a le plus fortement diminué.

La pauvreté a reculé à tel point qu’on pouvait affirmer que le Canada avait atteint en trois ans au lieu de cinq l’objectif premier de sa Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté, soit une baisse de 20 % entre 2015 et 2020. Cet objectif – qui se traduit par un taux de pauvreté de 11,6 % – a été fixé en 2018 par le gouvernement fédéral et son ministre alors responsable, Jean-Yves Duclos.

Vraisemblablement, la forte création d’emplois et la réforme des programmes d’aide aux familles du ministre Jean-Yves Duclos y ont contribué.

Statistique Canada dispose de différentes statistiques pour mesurer la pauvreté. Et en 2018, le gouvernement fédéral a désigné comme taux officiel de pauvreté la statistique calculée à partir de la Mesure du panier de consommation (MPC).

La MPC reflète le prix courant d’un panier de biens et de services correspondant à un niveau de vie de base modeste au Canada (alimentation, habillement, logement, transport et autres). Il varie selon les régions et la dernière révision du panier remonte à 2018. Les frais pour la téléphonie cellulaire ont notamment été ajustés.

Dans sa stratégie, Jean-Yves Duclos, et le ministère Emploi et Développement social Canada, se donnait comme cible une réduction de 20 % de la pauvreté entre 2015 et 2020. La prochaine cible est une réduction de la pauvreté de 50 % entre 2015 et 2030, conformément aux objectifs de développement durable des Nations unies, mentionnés dans le document phare Une chance pour tous : la première Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté.

Il est difficile de bien comparer avec le passé, par exemple les années 1990, parce que la MPC a changé de composition. Mais selon ce qu’on observe, le taux de pauvreté est en baisse constante depuis une douzaine d’années, selon les MPC de 2008 et de 2018.

Bref, il est faux de dire que le Canada – et le Québec encore davantage – ne se soucie pas de ses pauvres, et que la pauvreté stagne ou augmente.

Mais voilà que sévit la pandémie. Qui frappe le logement, soit l’un des principaux éléments du panier de consommation. Et qui risque de saper une partie de nos efforts. Et ça m’obsède.