L’ancien d’Ivanhoé Cambridge Claude Sirois partage sa vision des choses pour l’avenir

La consommation est au ralenti, mais elle finira bien par reprendre un jour. Qu’est-ce que la pandémie aura changé pour de bon ? Claude Sirois ose quelques prédictions dans la première entrevue qu’il accorde depuis son départ, il y a un an, d’Ivanhoé Cambridge, où il dirigeait la destinée des centres commerciaux.

Les détaillants en difficultés financières mettent tous la faute, ou presque, sur les baux signés dans les centres commerciaux. Ont-ils raison ?

Je pense que c’est assez facile de mettre le fardeau sur les centres commerciaux. Il faut voir l’ensemble des éléments. Maintenant, ce que ça a réveillé, c’est que la relation locataire-locateur traditionnelle va devoir évoluer, s’adapter, s’actualiser, et qu’il faudra une relation qui va possiblement au-delà du simple bail. Ça va commander de part et d’autre qu’il y ait plus de transparence dans l’échange d’informations, que ce soit sur la performance des magasins ou l’origine des ventes. Il faut un partage du côté du bailleur, aussi.

C’est un électrochoc qui fait qu’on va peut-être rétablir les bases de la relation locataire-locateur d’une façon différente dans le futur. Toutefois, trouver la bonne formule est aussi dur que de déchiffrer le secret de la Caramilk.

Qu’est-ce que la pandémie apporte de positif ?

Il n’y a jamais eu de meilleur moment aujourd’hui pour de jeunes entrepreneurs, de nouvelles idées dans le commerce de détail, de nouvelles enseignes. Parce que là, l’espace est disponible, l’environnement d’affaires a complètement changé et les consommateurs vont être à la recherche de nouveautés. On va voir apparaître de nouveaux champions dans toutes les catégories. Et des détaillants exclusivement en ligne vont se lancer dans la brique et le mortier pour étendre leur marque et aller chercher de nouveaux clients.

Parce que les centres commerciaux perdent du pouvoir à mesure que les locaux vides se multiplient ?

Il y a un rééquilibrage qui se fait actuellement. La relation locateur-locataire va devenir plus balancée dans le futur, et j’espère qu’elle va évoluer de façon différente. Aussi, le rôle traditionnel d’agent de location va devoir changer. Il devra provoquer les occasions comme ça n’a jamais été fait dans le passé.

Concrètement, que devront-ils faire pour assurer le succès ou carrément la survie des centres commerciaux ?

Ils ont la responsabilité d’aller chercher les concepts les plus innovants, intéressants, différents qui vont satisfaire les besoins des consommateurs dans les marchés où ils se trouvent. Auparavant, tu avais une boîte, tu mettais des produits dedans et ça fonctionnait. Désormais, ce sera encore une boîte, mais ce qui va être offert, c’est une collection d’expériences, pas nécessairement une collection de détaillants. Ça va forcer tout le monde à être beaucoup plus créatif et proactif que dans le passé… quand il y avait de la croissance.

Là, on est dans une économie de guerre, on est en mode survie. Tu ne peux pas rester passif. Les propriétaires doivent se rapprocher des détaillants, des entrepreneurs et des créateurs, pour dire : « J’ai un espace, je veux lui donner une vie et je veux que ce soit différent. » L’esprit entrepreneurial des développeurs va être important comme jamais.

Est-ce que, dans cinq ou dix ans, le visage des centres commerciaux sera différent à cause de la pandémie ?

Je pense que oui. Il y avait déjà une différenciation entre le commerce en ligne et le commerce physique. Mais il est bien évident que dans le futur, cette différenciation en matière d’expérience qui est offerte va s’accentuer. Les propriétaires de centres commerciaux vont devenir des coproducteurs de spectacles et de théâtre afin d’amener des gens autour des commerces. Pour moi, c’est une répercussion importante. Il faudra créer des environnements stimulants, engageants, qui font appel à tous les sens. Et des évènements rassembleurs, inclusifs, différents et « instagrammables ».

Quels détaillants offrent déjà une expérience engageante ?

Nike est extraordinaire, et ils vont à contre-courant. Ils ont annoncé qu’ils ouvriraient plus de magasins. Ils vont chercher des données sur les consommateurs à travers l’application Nike+ pour adapter l’offre des magasins à leur communauté. Il y a aussi la possibilité de personnaliser les chaussures, les vêtements.

Bass Pro Shop, n’importe quelle personne qui est un brin chasseur ou pêcheur et qui entre dans ce temple, c’est le bonheur, le paradis. Tu peux essayer des choses.

À Plano, au Texas, il y a un endroit qui s’appelle Neighborhood Goods. C’est la nouvelle génération de magasin à rayons. Ils ont réuni sous un même toit des marques qui sont uniquement en ligne, qui n’ont pas d’espace physique. C’est un environnement très « millénial », très interactif, qui change tous les six ou neuf mois. Il y a toujours de la nouveauté. Ils ont ouvert à New York récemment dans Meatpacking District.

Chez Décathlon, ils veulent que tu t’amuses dans le magasin. Tu veux faire un tour de vélo, jouer au basketball, essayer le canot dans la piscine, vas-y. Le consommateur est engagé.

On a le réflexe de montrer du doigt le commerce en ligne pour expliquer la baisse d’achalandage dans les magasins. Est-ce qu’on oublie quelque chose ?

On perd de vue que beaucoup de la consommation arrive dans des circonstances de voyage touristique ou d’affaires. Prenons un exemple frappant, le centre Ala Moana, à Hawaii. C’est l’un des meilleurs centres aux États-Unis, un des plus dominants, performants. Aujourd’hui, l’achalandage est à peu près à 15 % de ce qu’il était pré-COVID. Ça ne veut pas dire que le centre n’est pas pertinent dans son marché. C’est juste qu’il n’y a tout simplement plus d’achalandage à cause de la COVID. La fréquentation de Sawgrass Mills, en Floride, que tous les Québécois connaissent, a baissé de 65-70 %. Ça vient amplifier une situation qui n’est pas facile. Ça amène la question : comme rétablir collectivement et rapidement la confiance associée à la fréquentation des endroits publics post-COVID ?