(Calgary) Le président américain Joe Biden a tenu sa promesse électorale de déchirer le permis présidentiel qui maintenait en vie l’expansion de Keystone XL, mercredi, quelques heures après que le propriétaire de l’oléoduc eut annoncé qu’il interromprait les travaux sur le projet.

Le premier ministre canadien Justin Trudeau a exprimé sa déception.

« Nous saluons l’engagement du président à lutter contre les changements climatiques, mais nous sommes déçus par sa décision à l’égard du projet Keystone XL », a-t-il déclaré dans un bref communiqué, qui a rappelé les efforts déployés par le gouvernement pour promouvoir le projet.

MM. Trudeau et Biden en discuteront fort probablement vendredi, lors d’un appel téléphonique.

La porte-parole de la Maison-Blanche Jen Psaki a confirmé mercredi soir que M. Trudeau serait le premier dirigeant étranger à échanger avec le nouveau président américain.

Il sera question des relations canado-américaines, mais aussi de l’oléoduc Keystone XL, a indiqué Mme Psaki.

Plus tôt dans la journée, l’entreprise de Calgary derrière le projet, TC Énergie, avait annoncé qu’elle suspendait les travaux.

Dans un communiqué, la société s’est dite « déçue » de l’action de M. Biden, faisant valoir que cette dernière faisait fi des examens réglementaires approfondis qui ont révélé que l’oléoduc transporterait l’énergie nécessaire d’une manière responsable du point de vue écologique et qu’il renforcerait la sécurité énergétique nord-américaine.

TC Énergie a averti que cette décision entraînerait la mise à pied de milliers de travailleurs syndiqués et qu’elle survenait malgré ses engagements à utiliser plus d’énergie renouvelable et à élaborer des partenariats avec les communautés autochtones.

François Poirier, qui est devenu chef de la direction de l’entreprise au début de l’année, a précisé que l’entreprise restait déterminée à accroître ses bénéfices et ses dividendes grâce à ses investissements dans les infrastructures énergétiques essentielles, même si Keystone XL n’allait pas de l’avant.

« Notre activité de base continue de très bien performer et, outre Keystone XL, nous allons de l’avant avec 25 milliards de projets d’immobilisations garantis ainsi qu’un solide portefeuille d’autres occasions de même qualité en cours de développement », a-t-il déclaré dans un communiqué.

L’entreprise a précisé qu’elle cesserait de capitaliser les coûts, y compris l’intérêt pendant la construction, à compter de mercredi, et qu’elle évaluerait la valeur comptable de son investissement dans le pipeline, déduction faite des recouvrements du projet.

Elle a ajouté que cela entraînerait probablement des charges de dépréciations « substantielles », principalement hors trésorerie, dans ses résultats financiers du premier trimestre.

Pendant ce temps, des groupes environnementaux ont applaudi la décision de M. Biden.

« L’élimination du pipeline Keystone XL une fois pour toutes est une indication claire que l’action climatique est une priorité pour la Maison-Blanche. Cela ne devrait surprendre personne », a affirmé Dale Marshall, directeur du programme national sur le climat du groupe canadien Environmental Defence.

« Nous devons être attentifs lorsque le plus gros client du pétrole canadien élimine un oléoduc déjà en construction. L’oléoduc Keystone XL n’a jamais eu de sens ni pour les États-Unis ni pour le Canada. »

Mécontentement dans l’Ouest

De son côté, le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, a estimé qu’il était « incroyablement troublant » que TC Énergie ait suspendu les travaux sur Keystone XL.

« Le moment est venu pour nos nations de renforcer nos relations commerciales, et non d’ériger de nouvelles barrières au développement collaboratif et durable », a-t-il déclaré dans un communiqué.

La Progressive Contractors Association of Canada (PCAC) a pour sa part affirmé dans un communiqué qu’elle était déçue que M. Biden « place la politique avant la raison » dans sa décision d’annuler le permis du pipeline.

« Nous sommes déçus que le nouveau président ait perdu de vue les énormes avantages économiques et stratégiques de ce projet », a affirmé le président de la PCAC, Paul de Jong.

« Tirer la prise sur un projet majeur, quelques heures après son entrée de fonction, est un point de départ difficile pour la reconstitution des rapports entre le Canada et les États-Unis. »

L’association, dont les entreprises membres emploient des milliers de travailleurs de la construction de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, a fait valoir que le pipeline aurait généré jusqu’à 60 000 emplois directs et indirects au Canada et aux États-Unis.

Le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, avait exhorté mardi le premier ministre Justin Trudeau à faire pression sur M. Biden pour permettre à Keystone XL de continuer.

Le gouvernement de M. Kenney a investi 1,5 milliard directement dans le projet, ainsi que des garanties de prêt, et il a affirmé qu’environ 1 milliard serait en danger si le projet était abandonné.

Plus de 12 ans de controverse

Le projet de pipeline de 1947 kilomètres, d’abord lancé en 2008, vise à acheminer 830 000 barils supplémentaires par jour de bitume de Hardisty, en Alberta, jusqu’à Steele City, au Nebraska. De là, il serait relié aux installations existantes de la société pour atteindre les raffineries de la côte du golfe du Mexique.

TC Énergie a annoncé dimanche un ambitieux plan visant à consacrer 1,7 milliard US dans un système d’exploitation aux énergies solaire, éolienne et à batterie pour l’oléoduc, afin de garantir qu’il ne produira aucune émission d’ici 2030.

L’entreprise établie à Calgary a conclu un accord avec quatre syndicats pour construire la canalisation elle-même, puis un autre pour que cinq tribus autochtones prennent une participation d’environ 785 millions dans le projet.

Quelque 200 kilomètres de canalisations ont déjà été installés pour l’expansion, notamment au travers de la frontière canado-américaine, et la construction a commencé sur des stations de pompage en Alberta et dans plusieurs États américains.

M. Biden était vice-président en 2015 lorsque Barack Obama a rejeté Keystone XL, de peur que cela aggrave le changement climatique. M. Trump l’a de nouveau approuvé en 2019.