L’annonce d’importants changements au sein de la haute direction de TVA Nouvelles soulage des employés.

« Le champagne coule à flots depuis hier. Il y a un sentiment de libération. C’est comme si le mur de Berlin venait de tomber. »

Ces propos, ils viennent d’une personne qui travaille toujours dans la salle de rédaction de TVA. Ils décrivent l’atmosphère ressentie par les employés de la salle, au lendemain de l’annonce d’importants changements au sein de la haute direction de TVA Nouvelles.

La fin, résume cette même source, d’un « régime de terreur ».

Dimanche, la présidente France Lauzière annonçait dans une note interne que le patron de TVA Nouvelles et de TVA Sports, Serge Fortin, n’occuperait plus son poste de vice-président au Groupe TVA. Au début d’août, c’est son adjoint principal, le rédacteur en chef André Chevalier, qui avait été muté sur un quart de fin de semaine. On avait annoncé sa retraite pour décembre, il a finalement quitté l’entreprise à la fin de l’été. Groupe TVA, une compagnie cotée en Bourse, est le plus important diffuseur au Québec.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Serge Fortin

Serge Fortin occupait le poste de vice-président de la salle d’information depuis 16 ans. Il a participé au lancement de TVA Sports, en 2011, et dirigeait également cette équipe. MM. Fortin et Chevalier ont tous deux décliné notre demande d’entrevue.

« Nous avons été saisis, il y a quelque temps, de commentaires au sujet du climat de travail de la salle [de rédaction]. En tant qu’employeur responsable, nous avons entrepris une série d’interventions et de mesures visant à améliorer la situation. Des professionnels indépendants ont également été mandatés afin de sonder des employés de la salle [de rédaction] sur le climat de travail. Respectant les meilleures pratiques en la matière, Groupe TVA a suivi un processus rigoureux à chacune des étapes de gestion de cette situation qui a mené aux changements annoncés à la direction de ce secteur de l’entreprise », a déclaré la porte-parole de TVA, Véronique Mercier, en réponse à nos questions.

« Plus jamais »

Au cours des derniers mois, quatre employés ou ex-employés de TVA ont spontanément et indépendamment contacté La Presse pour dénoncer le climat de travail qui y sévit depuis des années. Nous avons pu recueillir les témoignages de 21 employés ou ex-employés de TVA. Six d’entre eux l’ont fait à visage découvert et 15 autres, dont des employés actuels, ont réclamé que leur nom ne soit pas publié, par crainte de représailles.

« À boutte », l’animatrice Karine Champagne a décidé de quitter le Groupe TVA après 21 ans de carrière, il y a bientôt six ans. Tout ce qu’elle a obtenu comme réponse de ses supérieurs, c’est un « OK ». Aucun remerciement. Pendant ses années de service, elle raconte que ses patrons pouvaient ignorer certains employés pendant de longues périodes de temps. L’ex-journaliste a été soumise à ce traitement. « On pouvait devenir invisible aux yeux de certains patrons. Ils pouvaient saluer tout le monde et faire des high five à tout le monde. Rendus à toi, ils se viraient de bord… Ça te démolit. »

PHOTO D’ARCHIVES FOURNIE PAR CAROLINEDUROCHER.COM

Karine Champagne

À TVA Sports, ils m’ont annoncé que je n’animais plus juste avant que j’entre en ondes. Je ne l’ai pas vue venir. On ne m’avait pas fait de commentaires sur mon travail avant ça. C’est comme si je venais de recevoir un coup de batte de baseball dans la face et je devais faire semblant de rien en ondes.

Karine Champagne, ex-employée de TVA

Il y a près d’un an, certains membres d’une équipe de la salle de rédaction, excédés du climat de travail difficile, ont pris l’initiative d’envoyer une lettre dénonçant des pratiques patronales aux ressources humaines de l’entreprise. La Presse a pu prendre connaissance d’un extrait de cette lettre.

« Nous voulons avoir l’assurance que ce genre de comportement ne se reproduira plus jamais. Nous voulons également des excuses. La gestion par la peur, la stratégie de la carotte et du bâton ont fait leur temps et n’amèneront rien de constructif. En cette époque où le mouvement #metoo débusque les abus de toutes sortes, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, il est primordial de susciter un sentiment d’appartenance, de bien traiter ses employés et de soutenir leur développement. Est-ce trop demander ? »

« Les pires années de ma vie »

L’ancien journaliste Charles Faribault parle, lui, d’un « régime autoritaire ». « Ce n’était pas une gestion respectueuse. On ne sentait pas que les patrons avaient du respect pour nous », explique celui qui a pris sa retraite en 2015, trois ans plus tôt que prévu, en raison d’une mésentente qu’il avait eue avec ses supérieurs. M. Faribault raconte que des patrons interpellent les employés de la salle de rédaction par un claquement de doigts. « Le langage était agressif. Pour utiliser un euphémisme, les mots d’église sortaient souvent », dit-il.

Après avoir fait une erreur en lisant un bulletin de nouvelles, largement soulignée dans les réseaux sociaux, Mélissa François a été éjectée des ondes. Lors d’une rencontre avec son supérieur, « on n’a jamais cherché à avoir des explications de ma part. Ça a été fait très cavalièrement, dit-elle. Je ne me suis pas sentie soutenue ni accompagnée par mes patrons. Je me suis sentie abandonnée et dénigrée », raconte-t-elle dans une entrevue très émotive. Elle a été affectée à un poste de rédactrice.

À l’époque, le syndicat l’a défendue dans les médias. Le président du syndicat, Réjean Beaudet, a été suspendu par TVA après ces sorties publiques. Après quelques mois, on a clairement indiqué à Mme François qu’elle ne reviendrait jamais en ondes. Elle a remis sa démission et travaille depuis à Radio-Canada.

Le journaliste et chroniqueur financier François Gagnon affirme de son côté que l’intimidation est bien présente dans la salle de nouvelles. « Si tu tiens tête à certains patrons, c’est bien de valeur, mais tu passes dans le tordeur. On t’enlève des privilèges. On ne t’augmente pas à ton renouvellement de contrat. On peut même baisser ton salaire. On va te faire suer au top », dit celui qui a quitté TVA Nouvelles il y a cinq ans, après 35 ans de carrière. Il chronique désormais sur les ondes de Cogeco.

Olivier Daoust, qui a travaillé comme rédacteur web entre 2011 et 2018 à TVA Nouvelles, raconte y avoir vécu « les pires années de sa vie ». Le journaliste sentait que ses patrons le surveillaient constamment et lui reprochaient la « moindre erreur ». Souvent, il a vu des collègues s’effondrer en larmes à cause de la pression. « Les quatre dernières années à TVA Nouvelles, j’ai arrêté de sourire. Je rentrais au bureau la tête baissée, sachant qu’à la moindre faute, on allait me rencontrer. C’était invivable. »

« Le festival du burn-out »

« Au fil des ans, j’ai vu bien des collègues souffrir. Et quand on voyait sortir des nouvelles sur ce qui se passait au Musée des beaux-arts, ou chez la gouverneure générale, on se disait : “Mais c’est bien pire chez nous”, dit une seconde source qui œuvre toujours dans la salle de rédaction de TVA. Ça fait des années qu’on vit dans la peur. »

Cette même source raconte avoir un jour été convoquée dans le bureau d’un supérieur pour se faire dire que « tous [ses] collègues [la] haïssaient ». Un autre employé, qui n’est plus dans la boîte, nous a raconté avoir subi le même genre de traitement par un cadre. « Ils m’ont brisé avec ça. »

« C’était le festival du burn-out. On n’avait aucune rétroaction, sauf quand on faisait une erreur, dit un autre ex-employé de la salle de rédaction. Et dans ce cas-là, on était réprimandés devant tout le monde, ou par courriel, avec tous nos collègues en copie conforme. Un de mes collègues disait qu’on était gérés à coups de “câlisse” et de “tabarnac”. Il avait bien raison. »

« TVA, c’est comme le Titanic, il y a des classes d’employés. Tout va bien si tu es en première classe. Si tu tombes en troisième, tu casques, raconte un ancien employé de la salle. J’ai vécu les trois classes. Et je suis parti pour ma santé physique et psychologique. » À son départ, il a réclamé un entretien avec les ressources humaines. « Je leur ai tout expliqué et je leur ai dit que dans mon équipe, quatre personnes étaient sur le point de partir. » Finalement, sept personnes de cette petite équipe formée d’une vingtaine de membres ont choisi de partir en l’espace de 18 mois.

À mon départ, je filais comme un moins que rien, comme si j’avais fait de la merde pendant toutes ces années. Ça m’a affecté au niveau professionnel. Ça fait des années, et j’ai encore le motton quand j’en parle.

Un ancien animateur, éjecté de son émission sans aucun préavis, qui dit avoir été victime de dénigrement constant de la part de ses supérieurs

Après son départ, cet ancien animateur a songé à porter plainte pour harcèlement psychologique. Il ne l’a finalement pas fait.

Une source qui œuvre dans le monde culturel raconte sa stupéfaction quand, alors que Serge Fortin le rencontre pour lui offrir un emploi, ce dernier désigne ses employés comme « du bétail ». Voyant l’état des relations de travail, notre source a finalement décliné l’offre. « Dans les réunions de cadres, le mépris du personnel était flagrant », confirme un ancien cadre, qui a œuvré chez TVA Sports pendant un peu plus d’un an.

Au cours des dernières semaines, une enquête interne a été menée au sujet du climat de travail, confirme le syndicat de TVA. Plusieurs employés auraient aussi récemment utilisé une ligne téléphonique de dénonciation, a expliqué Steve Bargoné, conseiller syndical du SCFP. Cette ligne confidentielle est gérée par une entreprise externe et existe depuis plusieurs années.

Dans la foulée d’une vague de dénonciations sur les réseaux sociaux cet été, la direction a fait parvenir, le 14 juillet, une note aux employés rappelant l’existence de cette ligne où la confidentialité était garantie. Par la suite, elle a littéralement été « prise d’assaut », nous ont dit plusieurs sources qui œuvrent toujours à TVA.

« Des employés nous ont en effet rapporté que le climat est malsain », dit M. Bargoné, refusant de fournir des exemples pour ne pas nuire à ses relations avec l’employeur.

Après avoir rencontré une vingtaine de personnes, la firme externe chargée de la gestion de la ligne de dénonciation a remis un résumé des principales remarques formulées par les employés à la présidente France Lauzière. Mme Lauzière occupe les fonctions de présidente du Groupe TVA depuis octobre 2017.

– Avec Daniel Renaud, La Presse