S’il y a une chose qui a marqué ce Grand Confinement au Québec, mais partout ailleurs aussi, c’est la capacité d’adaptation démontrée par la population.

Une agilité qu’on ne se connaissait pas, une résilience.

Cela ne veut pas dire qu’on soit tous zen, au travers tout ce qu’on vit depuis la mi-mars. Il y en a qui sont comme des animaux en cage n’attendant que l’ouverture des digues pour projeter leur énergie. D’autres, au contraire, sont barricadés sagement dans leur demeure, efficacement protégés contre l’ennemi du dehors. 

Et il y a mille scénarios entre les deux, bien sûr.

Mais de façon générale, on s’est assez bien adaptés à cette chape sanitaire qui nous est tombée dessus le 13 mars. On a fait la pause. On a répondu et entendu « on ne sait pas » à pratiquement toutes les questions posées sur l’avenir. Mais on a bien encaissé l’incertitude et on est restés à la maison en se lavant les mains. 

Là, il faut repartir dans un autre univers.

Celui du retour à tâtons.

Ça me fait penser à un film d’aventure. D’abord, on nous a dit « n’essayez surtout pas de traverser le torrent ». On reste sur la rive et on ne bouge pas. 

C’était plate. Mais clair.

Là, on nous dit OK, on peut traverser. Mais en sautant de roche en roche, en prenant des ponts dont on ne sait rien. 

Ceux qui veulent avancer seront juste ravis d’essayer. Les autres, de rester immobiles, à observer comment ça se traverse, tout ça.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

« On ne sait pas de quoi ce déconfinement aura l’air, comme on ne savait pas de quoi serait faite la pause. On entre dans une nouvelle zone de désordre inédit », écrit Marie-Claude Lortie. 

On ne sait pas de quoi ce déconfinement aura l’air, comme on ne savait pas de quoi serait faite la pause.

On entre dans une nouvelle zone de désordre inédit.

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À Montréal, on commencera à déconfiner, un peu, le 11 mai, nous a appris le gouvernement mardi. Sauf que les écoles secondaires et les cégeps restent fermés, ainsi que les restos et les coiffeurs, les musées et les salles de spectacle… 

Le grand changement réel, c’est la réouverture de la construction, des commerces sur rue et de tout le secteur manufacturier.

On peut s’attendre à ce que les employeurs dans les services continuent de fonctionner avec le télétravail dans la mesure du possible, c’est ce qui est recommandé.

Parce que ce n’est pas tout le monde qui voudra retourner travailler dans des lieux publics, partagés. Parce que si on peut éviter de s’empiler les uns sur les autres, c’est sûrement mieux.

Il est difficile de parler de tout ça, de dire « enfin » haut et fort, comme je voudrais le faire, parce que je pense que la population est vraiment séparée en deux.

Ceux qui étouffent, dont je suis, et ceux qui n’ont pas envie de se lancer dans la gueule du loup viral.

Comment les employeurs réussiront à gérer tous ces gens ensemble me semble un casse-tête hallucinant. Sur fond de réduction des effectifs, bien sûr.

Parce que déconfiner ne veut pas dire relancer la machine économique à pleine vapeur.

La construction publique devrait reprendre de bon train, parce que ça sera un choix collectif de relancer ce secteur locomotive.

Mais le virus n’a pas fait que geler les activités commerciales, il a fait éclater mille bulles. L’après ne sera pas comme l’avant.

La pandémie et le quasi-gel économique nous ont fait découvrir la productivité sous de nouveaux angles. A-t-on vraiment encore besoin de tous ces espaces de bureau ? De tous ces commerces ? De passer tant de temps à se déplacer ?

A-t-on besoin de faire faire ceci ou cela par d’autres ? Oui, dans bien des cas ! Vivement que les toiletteurs de chien reviennent au boulot. Les physiothérapeutes aussi. Mais aussi, combien de fois ai-je entendu des amies me dire que leurs visites mensuelles chez les coiffeurs à des prix faramineux étaient maintenant remises en question ? Même chose pour les restaurants.

Car la cuisine maison a enfin pris sa place et les restaurants ont non seulement été remis en question par la pandémie parce leur nature même est en contradiction avec la lutte contre le virus – proximité, partage, convivialité –, mais aussi parce que leur modèle d’affaires a pris un coup en plein visage. Ce faisant, leur manque de résilience financière a exposé à quel point ce sont des entreprises qui fonctionnent avec des marges de profit trop minimes. On a tous l’impression de payer cher quand on va au restaurant, mais en fait, on ne paie pas assez cher pour que les employés soient payés suffisamment et pour que les propriétaires puissent être solides face aux tempêtes. 

Le déconfinement sera leur transformation. Et que dire de tout le secteur culturel, du tourisme, du sport… Quand les hôtels rouvriront-ils ? Lesquels ?

Qu’arrivera-t-il dans toutes les grandes tours de bureaux du centre-ville ? Les imaginez-vous pleines un jour ? Et donc capables de faire vivre tout l’écosystème commercial qui les entoure…

Je suis de ceux et celles qui n’en peuvent plus d’être enfermés et qui, tout en craignant le virus, sont prêts à accepter les risques des premiers pas du déconfinement.

Mais est-ce que j’ai peur du nouveau chaos de cette prochaine étape, aussi inconnue que l’était le Grand Confinement avant le 13 mars ?

Oui.

Mais est-ce qu’on pourrait fait mieux ? Devrait-on faire différemment que ce que le gouvernement du Québec propose ?

À ces questions, la réponse la plus entendue en 2020 s’impose.

On ne sait pas.