Méconnu bien qu'immanquable aux abords de l'autoroute 20, le CNRC à Boucherville est un étonnant creuset de recherche et d’innovation pour les matériaux et procédés industriels. Il accueille aussi des PME dont les technologies sont en voie de parachèvement. La visite, pleine de découvertes, a eu lieu à l’ère pré-COVID-19, fin février.

Sous la mer, sous la terre et dans l'espace

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Une vue générale du grand atelier du CNRC de Boucherville, vaste comme une usine

Un petit appareil sous-marin pour détecter les déversements de pétrole sous la banquise arctique ? Un dispositif portatif pour analyser les échantillons de minerais aurifères directement dans la mine ? Un système qui permettra de faire des analyses sanguines dans l’espace ?

On ne se doute pas que de tels produits sont mis au point au CNRC de Boucherville, le grand édifice qu’on voit distraitement s’étirer le long de l’autoroute 20.

L’imposant complexe abrite – cache ! – pourtant une impressionnante concentration de neurones hautement qualifiés et d’équipements hautement spécialisés.

Il accueille aussi des PME dont les technologies sont mises au point avec l’aide du CNRC.

Mais d’abord, visite des installations.

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Ce grand édifice qu’on voit distraitement s’étirer le long de l’autoroute 20 renferme de nombreuses surprises.

Grand comme une usine

Construites en 1982, les installations du Conseil national de recherches du Canada à Boucherville se sont d’abord intéressées à la dégradation des matériaux industriels, pour se consacrer ensuite à leur développement et leur mise en forme.

« Le CNRC va travailler beaucoup avec l’industrie, mais aussi du côté académique avec les universités, informe Richard Flynn, conseiller en communication au CNRC. On a un rôle de pont entre la recherche plus fondamentale et la recherche en industrie. »

Le CNRC de Boucherville regroupe trois centres de recherche respectivement voués aux secteurs énergie, mines et environnement, dispositifs médicaux, et automobile et transports de surface. Il compte 280 employés, dont 200 sont attachés aux activités de recherche.

Son élément le plus spectaculaire est certainement son immense atelier, grand comme une usine et équipé comme tel, avec le pont roulant qui circule sous son toit.

Toute sa surface, de la taille d’un terrain de soccer, est couverte d’équipements de production de haute technologie – microcosme de l’univers industriel.

À une extrémité se dresse une haute tour d’extrusion de film de plastique soufflé.

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Une tour d’extrusion-soufflage, une des nombreuses pièces d’équipement industriel qui remplissent l’atelier – « une usine pilote, ni plus ni moins », décrit Michel Champagne, chef d’équipe et chercheur sénior pour les matériaux composites de pointe.

Un peu plus loin, dans ce qui s’apparente à un atelier de couture, un employé taille des pièces dans des toiles composites. Ces découpes seront placées dans une puissante presse pour mouler des formes complexes.

« Ce qu’on essaie de faire ici, c’est l’allégement de voiture, remplacer l’acier par des composites qui sont beaucoup plus légers, explique Michel Champagne, chef d’équipe et chercheur sénior pour les matériaux composites. On travaille à développer des procédés qui vont répondre aux cadences de production élevées de l’industrie automobile. »

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Dans la salle de coupe de toiles de composites, un technicien taille et assemble des pièces qui seront bientôt moulées.

Des piles, aussi

Au centre de cet immense atelier, une salle hermétiquement fermée est surmontée d’un panneau lumineux qui annonce « anhydre », indiquant que l’humidité y est réduite au minimum. Ici, on s’intéresse aux piles. La moitié de l’espace est occupée par un complexe appareillage qui sert à fabriquer ce qui s’apparente à un simple film de plastique.

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Une salle anhydre, à faible taux d’humidité, ou on expérimente les procédés de fabrication de piles.

Mais cette pellicule multicouche est en fait une membrane de pile à hydrogène.

« On a trouvé une façon de la faire de la même façon qu’on fabriquerait un sac à ordures », précise Richard Flynn.

« C’est révolutionnaire pour le domaine parce qu’il y a moins d’impact environnemental à le fabriquer et c’est un procédé beaucoup plus simple. »

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Cet appareil produit une membrane multicouche pour pile à hydrogène.

On se croirait au milieu du laboratoire de Q, le maître des gadgets scientifiques, dans un invraisemblable film de James Bond…

Saupoudrez d’un peu de métal…

Une autre section est dévolue aux alliages de métaux en poudre et à leurs procédés de mise en forme.

L’une de ses spécialités est la projection de matériaux à froid.

« Plutôt que faire fondre le matériau, on va utiliser l’énergie cinétique du gaz à haute pression dans une tuyère pour propulser les poudres à des vitesses supersoniques, explique Éric Irissou, chef d’équipe, projection thermique. Lorsqu’elles vont entrer en collision avec la pièce à revêtir, elles vont se déformer et créer des liens métallurgiques. » On ne saurait mieux dire.

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Éric Irissou, chef d’équipe, projection thermique, montre un engrenage hélicoïdal fabriqué par agglomération de métal en poudre.

Cette technologie peut être mise à profit dans un procédé de fabrication additive pour construire des pièces, couche par couche, un peu à la manière de l’impression 3D.

Alors que la technique additive courante façonne des pièces à raison de quelques dizaines de grammes de métal à l’heure, « nous sommes en mesure de faire quelques kilos à l’heure, dit-il. On est mille fois plus rapides. Et en plus, on peut le déposer sur un autre matériau ».

Des applications médicales

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Au sein du centre de recherche sur les dispositifs médicaux, Daniel Brassard est agent de recherche sénior et chef d’équipe, systèmes microfluidiques.

Outre le grand atelier industriel, le CNRC de Boucherville recèle aussi plusieurs laboratoires spécialisés.

À l’étage des dispositifs médicaux, par exemple, une équipe met au point des cartouches de la taille d’un téléphone cellulaire, avec lesquelles on peut réaliser « l’ensemble des tests qui normalement devraient se faire dans un laboratoire par des techniciens spécialisés », indique Daniel Brassard, chef d’équipe, systèmes microfluidiques.

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Entre les mains de Daniel Brassard, chef d’équipe, systèmes microfluidiques, une cartouche (vide) qui permet de faire des analyses d’échantillons de fluides de corporel in situ, au chevet du patient ou dans les régions éloignées.

Ces laboratoires de poche incorporent un dispositif d’analyse microélectronique et une série de canaux, de réservoirs et de réactifs qui isoleront les molécules significatives de l’échantillon de fluide corporel.

Ils se connectent sur un appareil à plusieurs embouts, qui viendra exercer des pressions positives ou négatives pour contrôler la circulation des échantillons dans la cartouche.

Les tests normalement effectués par des laboratoires centralisés pourront être faits dans des endroits éloignés ou directement au chevet du patient. Un projet en cours avec l’Agence spatiale canadienne veut adapter cette technologie pour l’espace.

Une des difficultés est de réduire le coût de fabrication de ces cartouches à usage unique.

« Plutôt que de travailler sur le silicium, comme ça se fait normalement en microélectronique, on a développé des technologies pour faire ces structures dans le plastique », souligne Daniel Brassard.

Sous l’eau…

Dans un des laboratoires du centre de recherche Énergie, mines et environnement, une autre équipe s’attache aux applications des lasers et ultrasons, une étrange combinaison qui a trouvé usage dans un petit engin submersible. Il est déposé sur une table, cylindre transparent de près d’un mètre de long et d’environ 25 cm de diamètre.

Embarqué sur un drone sous-marin, le petit appareil interviendra lors de déversements pétroliers dans l’Arctique pour repérer les nappes de pétrole prisonnières sous la banquise, qui ne peuvent pas être repérées par la technologie satellite habituelle.

Le laser de l’appareil balaiera le dessous de la glace pour produire des échos sonores. Captés par les récepteurs de l’engin, ils seront décodés pour identifier les traces de pétrole.

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Christophe Bescond, agent de recherches et chef d’équipe, technologies ultrasonores et diagnostiques de procédés, décrit le fonctionnement de son appareil sous-marin de détection de nappe de pétrole sous la banquise arctique.

« On va être capables de regarder l’étendue, et aussi de mesurer les épaisseurs, décrit Christophe Bescond, agent de recherches et chef d’équipe, technologies ultrasonores et diagnostiques de procédés. C’est une technologie qui n’existe nulle part ailleurs. On essaie de trouver des partenariats avec les grands joueurs pour la protection de l’Arctique. »

Et sous terre

Dans le laboratoire voisin, on s’intéresse plutôt aux technologies de spectroscopie laser-plasma.

« On a réalisé le premier laser d’analyse de minerai d’or sur site au monde, expose l’agent technique Francis Boismenu. Avec cinq minières d’or, on a fait un projet de partenariat pour être capable de mesurer la quantité d’or directement dans les mines souterraines. »

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L’agent technique Francis Boismenu présente son laser d’analyse de minerai d’or, qui peut être utilisé directement sur les parois d’une galerie de mine.

L’appareil, qui donne l’impression d’un appareil photo surdimensionné, peut être transporté sur un chariot, avec ses composantes électroniques et sa pile.

Dans les galeries d’une mine, il pourra analyser un échantillon ou faire une lecture directement sur la paroi, accélérant de beaucoup les décisions des géologues.

« Cette technologie est utilisée chez Logiag pour faire l’analyse des sols », informe Francis Boismenu.

C’est ce que nous découvrirons quelques minutes plus tard.

Le CNRC à Boucherville en chiffres

280 employés
200 membres du personnel de recherche
70 travailleurs invités et locataires
11 entreprises et organismes hébergés
Source : Conseil national de recherches du Canada

Des PME en résidence

Logiag

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Charles Nault, président-directeur général de Logiag, montre un des contenants dans lesquels les échantillons sont recueillis sur le terrain.

Le CNRC de Boucherville héberge une dizaine d’entreprises et d'organismes, dont les technologies, en cours de développement, sont souvent issues des travaux du CNRC. C’est le cas de Logiag, une entreprise de Châteauguay qui offre des services-conseils en agroenvironnement.

Ayant eu vent de la technologie de spectrographie laser-plasma du CNRC, le président de Logiag, Charles Nault, a pris contact avec l’organisme afin de trouver des applications dans l’analyse de sols agricoles.

En 2012-2013, il a commencé à monter sa propre équipe avec le soutien du Conseil national de recherches du Canada (CNRC), chez qui il a installé un petit laboratoire. C’est là qu’il fait la démonstration de l’appareil d’analyse Laserag Quantum, que Logiag a mis au point avec le CNRC et l'INO, le Centre national d’optique, à Québec.

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Adja Soumare, technicienne de laboratoire de Logiag, va déposer un carrousel de 14 échantillons de sol agricole dans l’appareil d’analyse Laserag Quantum.

À l’intérieur de l’appareil, un peu plus gros qu’une cuisinière domestique, un carrousel fait pivoter 14 capsules d’échantillons de sol. En l’espace d’une minute, chacun de ces échantillons sera bombardé 2400 fois par un faisceau laser, subissant ainsi une douzaine de tests. Les émissions lumineuses des atomes ainsi excités sont captées par une caméra ultrasensible et analysées par des algorithmes pour en déduire la présence et la concentration de divers éléments essentiels.

« Le laser va faire une analyse complète du sol, dans une opération d’une minute, pour déterminer les bonnes quantités d’engrais pour faire pousser la culture », décrit Charles Nault.

Alors qu’une analyse de sol standard peut prendre jusqu’à quatre jours, l’appareil peut traiter 60 échantillons en une heure et rendre à l’exploitant agricole des résultats en 24 heures ou moins. Le résultat de l’analyse sera téléchargé sur l’équipement de l’agriculteur pour lui permettre de doser l’épandage des engrais en fonction des besoins des diverses parcelles du champ.

« C’est pour ça que le système est une révolution dans le domaine agricole, exprime Charles Nault. Parce que c’est une seule machine, un seul opérateur, et des centaines d’analyses d’échantillons par jour, géopositionnées, qui se traduisent en recommandations agronomiques à doses variables. »

Les principales composantes de l’appareil sont fabriquées par INO et assemblées par Logiag dans son laboratoire au CNRC. Son prix de vente est d’environ 350 000 $.

Polycontrols

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Luc Pouliot, vice-président opérations de Polycontrols, accompagné de Fernanda Caio, gérante des opérations, surveille l’installation des deux robots qui fabriqueront des pièces complexes avec la technologie de projection à froid.

Polycontrols, pour sa part, met à profit la technologie de projection à froid de l’équipe d’Éric Irissou. Lors de notre visite, le 26 février, Luc Pouliot, son copropriétaire et vice-président opérations, prenait justement réception de deux robots industriels. Ils sont installés dans la salle anéchoïde – en isolation sonore – où Polycontrols fabriquera en sous-traitance des pièces métalliques complexes, difficiles, voire impossibles à fabriquer autrement.

Un premier robot va projeter les couches de poudre métallique. « L’autre robot va être équipé d’outils d’usinage, au bout de son dernier poignet, pour faire le parachèvement de la pièce, c’est-à-dire ramener son fini de surface ou ses dimensions aux spécifications du client », explique Luc Pouliot.

Le projet combine trois spécialités de recherche du CNRC : l’intelligence artificielle, la technologie de surface et la robotique appliquée à l’aérospatiale.

« On peut construire des pièces de beaucoup plus grandes dimensions, ou construire des composantes sur des pièces de beaucoup plus grandes dimensions, c’est ce qui est unique, ici », commente Éric Irissou.

« C’est vraiment une vitrine de démonstration, poursuit-il. Le plan d’affaires de Polycontrols est de vendre des systèmes intégrés. C’est la vitrine pour montrer comment ça fonctionne, avec un support à tous les niveaux par le CNRC. Nous allons nous aussi amener nos clients dans ces installations. »

Plasticompétence

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Guylaine Lavoie, directrice générale de Plasticompétence, le comité sectoriel de main-d’œuvre de l’industrie des plastiques et des composites

Le CNRC Boucherville héberge également Plasticompétence, le comité sectoriel de main-d’œuvre de l’industrie des plastiques et des composites – qui n’est manifestement pas une PME.

« Notre lien est particulier, reconnaît Guylaine Lavoie, sa directrice générale. C’est sûr qu’on a dû démontrer que notre secteur faisait de l’innovation, de la recherche et du développement, notamment dans les biomatériaux. »

Fondé en 1996, Plasticompétence représente 442 entreprises et près de 22 000 travailleurs. « On se lève le matin pour aider les entreprises au niveau du développement de leur main-d’œuvre, de la gestion des ressources humaines, et on leur fournit des outils, avec des diagnostics et des études. »

Au CNRC, Plasticompétence baigne dans un climat d’expertise scientifique, où les références se trouvent au bout du couloir.

Car la proximité est un autre avantage, comme l’a constaté le président de Logiag, Charles Nault. « En deux minutes, tu peux appeler quelqu’un et avoir des discussions. Tu es constamment en relation avec le CNRC. »

La crédibilité d’une institution prestigieuse, dont les installations sont à l’avant-garde de la technologie, rejaillit aussi sur ses locataires. Un distributeur d’engrais de Zambie, informé de l’existence de l’appareil Laserag par une veille technologique, est venu visiter les installations de Logiag au CNRC. « Ils sont venus deux fois, relate Charles Nault. Ils ont tout vérifié. »

Ils ont aussi visité INO, à Québec, où sont fabriquées plusieurs composantes de l’appareil. « Le deal s’est conclu au retour, sur la 20 entre Québec et Montréal. Si le gars était entré dans notre bureau à Châteauguay, pas sûr qu’il aurait sorti 350 000 $. »