Malgré la hausse marquée du taux de chômage provoquée par le choc économique de la pandémie, la pénurie de main-d’œuvre demeure « très présente » dans les principales régions manufacturières du Québec, constate le regroupement de Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ) dans un rapport d’impact de la pandémie dans ce secteur, remis au ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, mardi.

« Les entreprises consultées nous disent avoir autant de difficultés à recruter maintenant qu’elles en avaient avant » le choc économique de la pandémie, explique Véronique Proulx, PDG de MEQ. Il y a encore une bonne partie du secteur manufacturier qui va bien, et même très bien avec des projets de croissance et de nouveaux contrats. Mais ces entreprises sont freinées dans leur élan parce qu’elles ne trouvent pas les travailleurs dont elles ont besoin. »

Pendant ce temps, « même si le taux de chômage a bondi durant la pandémie, il y a une grande inadéquation entre les capacités de ces nouveaux chômeurs, qui proviennent surtout du commerce de détail, de l’hôtellerie et de la restauration, et les besoins en main-d’œuvre du secteur manufacturier, avec des compétences mieux adaptées », explique Mme Proulx.

Quant au recrutement d’employés pour des postes dits « d’entrée » ou non spécialisés parmi les manufacturiers, la PDG de MEQ rapporte que « c’est clair que la PCU [Prestation canadienne d’urgence] fédérale nous a souvent été décriée comme étant devenue un obstacle au fil des semaines ».

Malgré le fait que la PCU arrivera bientôt à terme, « les dirigeants d’entreprises manufacturières s’attendent à continuer d’avoir des difficultés de recrutement de personnel pour ces postes d’entrée », ajoute-t-elle.

Retard important

Par ailleurs, les restrictions sur les déplacements transfrontaliers et les réunions de gens d’affaires ont fait ressurgir le « retard important » du secteur manufacturier en matière de commerce électronique et virtuel. « De nombreux manufacturiers-exportateurs dans toutes les régions se demandent comment faire pour bien entretenir leurs contacts d’affaires actuels. Comment faire pour développer de nouveaux marchés. Comment faire pour faire connaître leurs produits à l’étranger », explique Mme Proulx.

Il y aurait encore trop peu d’entreprises manufacturières au Québec qui sont à l’aise avec les plateformes de commerce électronique de type « B2B » (interentreprises) ou de type « B2C » (entreprises-consommateurs). « Ce retard technologique n’a cependant pas encore de gros impact à court terme, alors que les carnets de commandes d’un bon nombre de manufacturiers exportateurs ont continué de se remplir pendant la pandémie, et qu’ils produisent en conséquence », affirme Véronique Proulx.

Toutefois, avertit-elle, « si les entreprises ne parviennent pas à rattraper leur retard technologique sur le plan du commerce électronique d’ici six mois à un an, on risque d’en voir les répercussions négatives sur nos volumes d’exportations dès les prochaines années ».

Aide demandée

Cette inquiétude a motivé l’une des principales recommandations des dirigeants de MEQ auprès du ministre Pierre Fitzgibbon, lors d’une rencontre pour discuter des constats et des recommandations à la suite d’une tournée régionale du secteur manufacturier en contexte de pandémie.

« Nous lui avons suggéré la mise en place d’une aide gouvernementale aux manufacturiers exportateurs pour les appuyer dans le déploiement et la gestion des technologies de commerce électronique et de marketing par l’internet, indique Mme Proulx. D’abord au niveau technique, pour assister les entreprises de moindre envergure dans leur recherche d’expertise externe en matière de commerce électronique. Mais aussi au point de vue financier, à commencer par la bonification de certains crédits d’impôt aux entreprises manufacturières pour inclure les investissements dans leur capacité de commerce électronique. »

En parallèle, la direction de MEQ a fait part au ministre Fitzgibbon de la préoccupation du secteur manufacturier envers les politiques d’approvisionnement du gouvernement et des municipalités. « Les manufacturiers québécois souhaiteraient trouver davantage leur place dans les appels d’offres gouvernementaux », relate la PDG de MEQ.

Comment ? En révisant le critère général du plus bas soumissionnaire qui, trop souvent, désavantage les manufacturiers québécois face à des concurrents étrangers, estime Mme Proulx. « Ce désavantage découle surtout du constat que ces concurrents étrangers peuvent proposer des prix inférieurs parce qu’ils n’ont pas d’actifs d’affaires au Québec, et qui sont donc exemptés des coûts d’exploitation engendrés par l’application et le respect de la réglementation et des normes d’affaires dont nous nous sommes dotés au Québec. »

Pour y remédier, propose notamment Mme Proulx, « le secteur public au Québec pourrait ajouter des critères de développement durable dans la qualification des soumissionnaires à ses appels d’offres pour des produits et des équipements. Ça tiendrait alors compte, par exemple, des coûts liés au respect des normes d’environnement et de conditions de travail en vigueur au Québec ».

Des centaines d’emplois perdus

Le redressement économique de la pandémie s’avère encore fragile dans certains secteurs de l’économie manufacturière au Québec. C’est du moins ce que suggèrent les plus récentes données de licenciements collectifs qui sont compilées au ministère québécois du Travail, et dont La Presse a obtenu copie.

• Thurso (Outaouais) – Fortress Cellulose (produits papetiers) : 221 licenciements depuis le 8 avril

• Montréal – CAE (simulateurs de vol et de formation médicale) : 140 licenciements depuis le 31 juillet

• Laval – Spectra Premium (pièces automobiles) : 115 licenciements annoncés pour le 30 octobre

• Chatham (Basses-Laurentides) – Orica (produits minéraux) : 50 licenciements annoncés pour le 12 septembre

• Sherbrooke – Logiflex (meubles) : 36 licenciements annoncés pour le 26 septembre

• Mirabel – Mecachrome (pièces d’avions) : 33 licenciements annoncés pour le 11 septembre

• Lac Mégantic – Masonite International (produits du bois) : 28 licenciements annoncés pour le 18 septembre

— Avec William Leclerc, La Presse