Les villes se cassent la tête chaque année pour limiter les hausses de taxes de leurs citoyens. Mauvaise nouvelle : un récent jugement sur les régimes de retraite des municipalités aura un impact majeur sur leurs budgets.

Entre autres, ai-je appris, les villes de Montréal, de Laval, de Longueuil et de Québec pourraient globalement devoir majorer leur budget de plus de 350 millions de dollars. Si la somme était inscrite dès le prochain budget, elle aurait pour effet de hausser leurs dépenses de 3,1 % à 7,2 %, selon mes estimations, ce qui se répercuterait sur les comptes de taxes foncières.

Les municipalités veulent étaler la facture sur quelques années, advenant que le gouvernement ne porte pas le jugement en appel, mais rien n’est encore gagné.

Le jugement de Benoit Moulin, fort attendu, a été rendu le jeudi 9 juillet. Il porte sur les contestations faites par les syndicats de la « loi 15 », mise en application en 2014 par l’ex-ministre libéral des Affaires municipales Pierre Moreau. La loi qui avait soulevé un tollé chez les syndicats s’appelait « Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal ».

À l’époque, les régimes de retraite des municipalités souffraient d’importants déficits, étant donné la conjoncture financière difficile, et ces déficits devaient être entièrement comblés par les villes, la plupart du temps. La loi 15 est venue changer la donne, obligeant les employés à éponger 50 % du déficit et du service courant des régimes, entre autres.

Les syndicats municipaux, notamment le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), avaient contesté la loi devant les tribunaux, l’estimant inconstitutionnelle, notamment parce qu’en leur étant imposée, elle brimait leurs droits de négocier librement leurs conditions de travail, disaient-ils.

Le 9 juillet, le juge Benoit Moulin, de la Cour supérieure, a rendu une décision de 227 pages qui donne une demi-victoire au gouvernement du Québec et aux villes. En revanche, la demi-défaite aura pour effet de coûter des centaines de millions aux villes.

Essentiellement, le jugement a reconnu la constitutionnalité de la loi pour le volet qui touche les employés actifs et donc les services futurs des régimes de retraite. Ainsi, le partage en parts égales du déficit, l’indexation non garantie des rentes et le plafonnement des cotisations à 18 % de la masse salariale ont été jugés valides.

Par contre, Benoit Moulin a jugé inconstitutionnelle la suspension de l’indexation des rentes des personnes déjà retraitées, puisque les retraités « n’ont pas voix au chapitre ».

Or, ce volet représentait environ 60 % des gains des municipalités sur le déficit de l’époque, environ. Si le jugement n’est pas porté en appel, les villes devront donc rembourser l’indexation non versée aux retraités depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2014 et tenir compte de l’indexation future. En ajoutant les intérêts probables qui devront être payés sur l’indexation non versée, la facture pourrait être bien au-delà de 350 millions.

Les mesures de réparation n’ont pas encore été fixées par le juge. Mais selon mes renseignements, c’est la Ville de Montréal qui écoperait de la plus grosse facture, estimée à 190 millions, avant intérêts. Cette somme représente environ 3,1 % de son budget de 6,2 milliards. Longueuil a une facture d’environ 32 millions et Laval, de 57 millions.

Des dizaines de villes au Québec sont touchées par ce jugement. Certaines le sont moins que d’autres. Par exemple, Sherbrooke n’a pas d’indexation automatique. Et Gatineau avait choisi de ne pas suspendre l’indexation des rentes des employés retraités.

Pour les autres, la pilule est dure à avaler. Si bien qu’en coulisses, les municipalités demandent que le gouvernement du Québec permette d’amortir la facture sur huit à dix ans, d’autant que la COVID-19 a porté un dur coup à leurs finances.

Par exemple, pour une ville comme Québec, l’amortissement sur huit ans pourrait signifier une hausse additionnelle du budget de 0,6 % par année, environ, plutôt qu’un bond de quelque 4,5 % dès la première année. Et c’est avant le calcul des intérêts accumulés depuis 2014.

Au ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, on juge prématuré de discuter d’étalement. Et on me dirige vers le ministère des Finances, qui porte le dossier.

Au ministère des Finances, on analyse le jugement pour voir s’il sera porté en appel. Habituellement, les parties ont 30 jours pour ce faire. « Les délais de procédure étant actuellement légèrement plus longs dans le cadre de la reprise graduelle des activités judiciaires, les avis d’appel peuvent être déposés vers la fin de l’été ou au début de l’automne, le cas échéant », m’indique-t-on au Ministère.

Le SCFP a annoncé publiquement son intention de porter la cause en appel, tandis qu’on est moins catégorique à la Fédération indépendante des syndicats autonomes (FISA).

« Nos procureurs sont en train d’analyser la question, en relevant les endroits où le juge aurait pu commettre des erreurs de droit. Des échanges devront également avoir lieu avec les procureurs des autres centrales syndicales, qui ont collaboré tout au long du procès. Nous tiendrons compte du fruit de leur analyse et de leurs recommandations afin de déterminer la position de la FISA pour la suite du dossier », indique la Fédération sur son site internet.

Montréal, Québec, Laval et Longueuil procèdent à l’analyse du dossier et n’ont pas voulu formuler de commentaires. Impossible de savoir si elles feront appel advenant que le gouvernement caquiste, lui, décide de jeter l’éponge.

On verra pour la suite, mais à mon avis, ce dossier alourdira la facture des contribuables, tôt ou tard.

Dans une version antérieure de ce texte, le tableau contenait une donnée erronée portant sur l'impact du jugement sur la proportion du budget de la Ville de Longueuil. Nos excuses.