Et maintenant ? Que va faire le Cirque ? Les questionnements entourant cette institution ressemblent à la triste chanson de Gilbert Bécaud.

L’avenir de l’institution paraît fort incertain avec l’annonce de lundi. Le Cirque se place à l’abri de ses créanciers pour éviter la faillite, en plus de confirmer le licenciement de 3500 personnes.

Le Cirque est à l’agonie, pourrait-on conclure, et le départ de ces employés bien payés fait très mal. À y regarder de plus près, cependant, on constate que les développements de lundi pourraient assurer sa survie, en supposant, bien sûr, que la planète finisse par vaincre la COVID-19 d’ici quelques mois et que les spectacles recommencent.

La raison de cet optimisme relatif ? Trois importants actionnaires se commettent pour une offre de 420 millions de dollars américains, selon le document juridique déposé en Cour supérieure, transmis aux médias. Mieux : il s’agit vraisemblablement d’un minimum, puisqu’un processus d’enchères est enclenché du même coup, qui culminera le 14 août.

L’offre de 420 millions pour racheter l’essentiel des actifs du Cirque est une soumission d’amorce (stalking horse), faite par les actionnaires actuels que sont l’américaine TPG, la chinoise Fosun et la Caisse de dépôt.

D’autres offres pourraient être analysées par le tribunal entre le 17 juillet et le 14 août. Selon le document juridique, cinq autres offres ont d’ailleurs été présentées au Cirque, dont l’une vient d’un groupe qui détient l’essentiel de la dette du Cirque du Soleil. Ce groupe serait mené par le fonds vautour Catalyst, de Toronto, selon nos informations.

À quoi correspond l’offre du consortium TPG, au juste ?

Sur les 420 millions US, 300 millions seraient versés en argent comptant dans le Cirque du Soleil. En plus de servir à la relance du Cirque une fois la pandémie passée, ces 300 millions serviront à payer essentiellement trois choses, confirme le chef des finances du Cirque, Stéphane Lefebvre.

Premièrement, un fonds de 20 millions US sera constitué pour venir en aide aux employés et aux artistes indépendants. Deuxièmement, l’argent servira à rembourser le prêt intérimaire de 50 millions consenti par des prêteurs pour maintenir le Cirque en vie, il y a deux mois. Le prêt a été accordé par un groupe de créanciers mené par Catalyst (au départ, ce devait être le trio TPG-Caisse-Fosun, mais ce ne fut pas le cas.).

Troisièmement, l’argent servira à assumer le passif de plusieurs millions dû notamment aux détenteurs de billets du Cirque (remboursements) et à certains autres fournisseurs critiques.

Ce qui est clair, c’est que sur les 300 millions US comptant, 200 millions proviendront d’Investissement Québec, le bras investisseur du gouvernement. Les trois partenaires que sont TPG, la Caisse et Fosun mettront 100 millions US.

Bref, Québec avance les deux tiers des fonds, sous forme de prêt, et obtient en échange un droit de racheter le Cirque et d’en maintenir le siège social à Montréal. De son côté, le trio d’actionnaires met 100 millions US et obtient 55 % des actions du nouveau Cirque du Soleil.

Quant aux créanciers garantis actuels du Cirque, ils obtiendraient 45 % des actions, en plus de se voir accorder une petite reconnaissance de dette de 50 millions US.

Je dis petite, car ces créanciers garantis ont un solde de 885 millions US de prêts au Cirque au 31 mars 2020, selon le document juridique. Du jour au lendemain, le Cirque ne leur devrait plus que 50 millions US, mais en échange, ils auraient 45 % des actions du nouveau Cirque.

Ce n’est pas clair, mais on peut déduire du document juridique que cette offre aux créanciers garantis correspond à l’écart entre l’offre globale de 420 millions US et l’injection de 300 millions US comptant dans le Cirque.

La beauté de l’offre, si elle est acceptée, c’est que le Cirque aurait 300 millions dans ses coffres pour relancer ses activités et une dette dégonflée à seulement 250 à 300 millions, due principalement à Investissement Québec.

À partir d’aujourd’hui, une guerre est toutefois enclenchée sur qui sera l’actionnaire de contrôle. Ce pourrait être le trio mené par TPG, mais ce n’est pas lui qui en décidera.

En effet, dès qu’une entreprise se place à l’abri de ses créanciers, ce sont les créanciers, justement, qui ont le dernier mot. Légalement, l’offre doit recevoir l’aval des créanciers représentant les deux tiers de la valeur des créances.

Et qui sont ces créanciers de contrôle ? Un groupe formé par une douzaine d’institutions mené par Catalyst, de Toronto, selon un récent reportage de mes collègues Vincent Brousseau-Pouliot et Richard Dufour.

À l’origine, c’est la Banque Royale et Bank of America qui étaient les prêteurs garantis. Mais cette dette a été revendue sur le marché, dernièrement, pour environ la moitié de sa valeur. Et le groupe mené par Catalyst aurait racheté 80 % de cette dette, ce qui excède, donc, les 66 % requis pour avoir le contrôle du processus de faillite. Ils auraient mis la main sur l’essentiel de la dette pour quelque 360 millions US.

Accepteront-ils cet échange ? Ou le jugeront-ils insuffisant ? Tenteront-ils de faire pression pour une surenchère, d’ici le 14 août ? Au bout du compte, les créanciers décideront, bien que le juge de la Cour supérieure puisse avoir une influence.

De quelle façon ? Ultimement, c’est l’offre qui en donne le plus aux créanciers qui remporte la mise. Mais une décision de la Cour suprême dans l’affaire BCE, il y a quelques années, avait reconnu un certain droit aux autres parties prenantes (stakeholders). Parmi ces autres parties pourraient figurer les employés, les fournisseurs, la communauté montréalaise, etc.

Dit autrement, et bien que cette possibilité soit mince, il n’est pas impossible que des caractéristiques comme le maintien du siège social à Montréal et ses impacts sur les créateurs et les emplois soient considérées dans le rachat du Cirque.

À suivre, assurément. Et espérer que l’affaire se termine comme la chanson de Bécaud.