Alors que la SCHL prévoit une baisse de 6 % du prix des maisons au Québec, on assiste plutôt à une surenchère pour les maisons unifamiliales dans la grande région de Montréal.

Julie Tremblay voulait profiter de la baisse annoncée du prix des propriétés pour quitter son logement de Longueuil et acquérir une maison unifamiliale sur la Rive-Sud de Montréal. Or, lorsqu’elle a fait une offre à la fin de mai pour un jumelé à Boucherville, affiché à 331 000 $, un acheteur motivé avait déjà offert 335 000 $.

« J’étais estomaquée, confie la mère de famille. Je ne m’attendais pas du tout à de la surenchère. » Le même scénario s’est produit à Longueuil, dans l’arrondissement de Saint-Hubert, pour un jumelé à 315 000 $. « Le propriétaire m’a dit qu’il venait d’accepter une offre d’achat à 322 500 $ », relate-t-elle.

De leur côté, Claire Bigras et Guy Thibault ne s’attendaient pas à vendre leur bungalow, qu’ils qualifient de « sans prétention », aussi rapidement. Le couple de Bouchervillois espérait une vente rapide, car une place venait de se libérer à la résidence pour aînés qu’il convoitait depuis deux ans.

« On l’a vendue en cinq heures, relate Claire Bigras, qui habite à la même adresse depuis 25 ans. On a eu 18 visites, quatre la voulaient ardemment et finalement un jeune couple d’acheteurs nous a offert 1000 $ de plus. »

Ces situations ne sont pas anecdotiques, affirment les experts consultés par La Presse. La surenchère est présente actuellement pour les unifamiliales et les plex de la grande région de Montréal.

Causes multiples

« Je constate des cas de surenchère tous les jours, affirme Martin Desfossés, porte-parole et coach en immobilier chez DuProprio. Les vendeurs propriétaires se disent surpris de l’intérêt aussi marqué. »

La première cause de ce phénomène, c’est l’inventaire. L’offre de propriétés à vendre est faible depuis plusieurs mois tandis que la demande est soutenue. L’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ) a observé une baisse de 20 à 30 % des nouvelles inscriptions en mai par rapport à la même période en 2019.

« Les gens hésitent à mettre leur propriété sur le marché parce qu’ils pensent que ce n’est pas le bon moment, constate Charles Brant, directeur du Service de l’analyse du marché à l’APCIQ. Ils ne savent pas si les prix vont descendre, ils entendent ce que dit la SCHL et, étant donné que la COVID-19 circule beaucoup dans la région, ils ne veulent pas faire visiter leur maison comme avant. »

Deuxième cause évoquée : ceux qui voulaient acheter ou vendre pendant l’hiver, et qui ont dû mettre leur projet sur pause pendant le confinement, se manifestent actuellement.

Les premiers acheteurs, les retraités et les gens qui avaient déjà vendu leur résidence sont arrivés en même temps le 11 mai sur le marché avec un sentiment d’urgence.

Martin Desfossés, porte-parole et coach en immobilier chez DuProprio

« Il y a des acheteurs qui ont été moins affectés en termes de baisse d’emploi et de revenus, analyse Francis Cortellino, économiste de la SCHL pour Montréal. Ils ont besoin d’un logement et doivent acheter avec une offre toujours aussi limitée. »

DuProprio et l’APCIQ observent aussi un grand engouement pour les périphéries, car les prix y sont moins élevés qu’à Montréal, et même pour les régions plus éloignées comme l’Estrie, les Laurentides et Lanaudière.

De plus, après avoir vécu confinés, de nombreux Québécois ont réalisé que leur logement ne répondait plus à leurs besoins, qu’ils avaient besoin d’une pièce supplémentaire pour le télétravail et qu’il n’était plus nécessaire d’habiter près du boulot.

Tous ces phénomènes font que les conditions sont favorables aux vendeurs et qu’il y a de la surenchère.

Charles Brant, directeur du Service de l’analyse du marché à l’APCIQ

Au cours d’un entretien téléphonique avec La Presse, deux économistes de la SCHL ont tenu à revenir sur leurs données pessimistes, publiées en mai, qui présageaient une baisse des prix de 6 à 11 % au Québec.

Francis Cortellino, économiste pour Montréal à la SCHL, explique que cette baisse estimée est calculée par rapport au rythme annualisé enregistré au premier trimestre de 2020, avant la pandémie, quand les prix atteignaient des sommets.

« Si on prend la moyenne des prix sur l’année au complet par rapport à 2019, notre scénario optimiste tend plutôt vers une hausse de 4 % et notre scénario pessimiste, vers un léger recul. »

« Par la suite, on a une reprise prévue des ventes plus à des niveaux qu’on observait en 2018 », ajoute son collègue Patrick Perrier, économiste en chef adjoint.

Un automne pour les acheteurs

Les experts s’entendent pour dire que la surenchère actuelle ne devrait pas durer. Les impacts économiques de la COVID-19 se feront sentir dès que les prestations de PCU et les reports d’hypothèque seront terminés au début de l’automne.

« On s’attend à ce qu’il y ait des propriétés remises sur le marché. Une vague qui pourrait se produire aux alentours de septembre et octobre, estime Charles Brant de l’APCIQ. Ça pourrait créer un relâchement du marché avec des baisses de prix. »

« La reprise économique va être lente, les taux de chômage vont rester élevés assez longtemps, il va y avoir des pertes de revenus, prévoit Francis Cortellino de la SCHL. La confiance des consommateurs va être moins présente que par le passé. Ces conditions économiques auront un impact en termes de prix de vente des maisons. »

« J’ajouterais aussi le niveau d’endettement des ménages qui atteignait déjà des sommets avant la crise, à la fin de 2019 », conclut son collègue Patrick Perrier.