Les autorités doivent d’abord consacrer leurs efforts à la santé et à la gestion de la crise. Mais tôt ou tard, il faudra bien parler de factures. Et ces factures, on commence à en avoir un aperçu depuis quelques jours.

Vendredi, le directeur parlementaire du budget (DPB), à Ottawa, a publié son estimation des coûts de la crise pour le gouvernement fédéral. Mercredi, le gouvernement de Doug Ford, en Ontario, avait fait de même dans sa mise à jour fiscale. Et pour le Québec, j’ai fait mes propres estimations, basées sur des hypothèses prudentes et sur divers documents budgétaires du gouvernement.

Qu’en est-il ?

D’abord, premier constat général : malgré les airs d’apocalypse, nos gouvernements ont les reins suffisamment solides pour sortir de la crise sans dégâts financiers irréversibles, surtout le Québec. La facture sera fort lourde, mais les finances publiques du fédéral et du Québec, somme toute, sont en bien meilleure posture que celles d’autres États, si bien que l’après-crise sera nettement moins douloureuse ici qu’ailleurs.

Le DPB estime que la crise entraînera une décroissance du PIB réel canadien de 5,1 % en 2020, ce qui serait la plus forte chute de l’économie depuis 1962. En comparaison, le PIB canadien a augmenté d’environ 1,6 % en 2019.

En plus de la baisse des recettes de taxes et d’impôts qu’entraînera cette chute du PIB en 2020, le fédéral augmentera ses dépenses de plusieurs milliards. Résultat : les coûts totaux de la crise pourraient avoisiner 89,5 milliards au fédéral, ce qui augmenterait le déficit prévu à 112,7 milliards.

Ce déficit équivaudrait à 5,2 % de la taille de l’économie canadienne, mesurée par le PIB. Un tel déficit est énorme, pas de doute, mais il faut savoir que le déficit de 1993-1994 l’était tout autant, toute proportion gardée (5,2 % du PIB). L’aviez-vous oublié ?

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

« Le directeur parlementaire du budget estime que la crise entraînera une décroissance du PIB réel canadien de 5,1 % en 2020, ce qui serait la plus forte chute de l’économie depuis 1962 », écrit Francis Vailles.

Ce déficit de 2020-2021 s’ajoutera à la dette fédérale, la faisant passer à un niveau équivalant à 38 % du PIB canadien. Ce niveau demeurerait bien moindre que dans les autres pays du G7 et, surtout, bien plus bas qu’en 1996 (66 % du PIB).

Le Québec, maintenant. Pour ma part, j’ai estimé que le PIB réel reculerait de quelque 5 % au Québec en 2020, ce qui est semblable aux estimations du DPB pour le Canada.

Pour cette estimation, je fais l’hypothèse que l’économie roulera à seulement 60 %, ce qu’on prévoyait en avril, avec la fermeture des services non essentiels, puis remontera progressivement à 83 % en mai, à 92 % en juin et, ultimement, à 100 % de ce qu’on prévoyait en septembre.

On pourra alors tourner la page sur la crise, selon mon scénario, mais vous constaterez que dès mai et juin, le ciel se sera beaucoup éclairci. Ce genre de délai, on a pu le voir en Chine et en Corée du Sud, notamment.

Je vous épargne les autres détails de mon modèle, mais au bout du compte, la crise aura réduit les revenus attendus du gouvernement du Québec de 4,8 % au cours de l’exercice qui va du 1er avril 2020 au 31 mars 2021, soit un impact de 5,9 milliards (1).

À cela s’ajoute une augmentation des dépenses de 2,1 milliards, surtout consacrée à la santé, pour une facture globale de 8,0 milliards. Certaines dépenses prévues au dernier budget seront fort probablement détournées vers la crise, ce qui explique que la hausse nette (2,1 milliards) puisse sembler modeste (2).

Cette facture de 8,0 milliards est juteuse, il faut en convenir, et elle pourrait varier à la hausse comme à la baisse, puisqu’il y a beaucoup d’inconnus et d’incertitudes.

Toutefois, rappelons-nous que le Québec a la chance de faire partir le compteur, dans les faits, avec un surplus de 2,7 milliards cette année si l’on tient compte des sommes à verser au Fonds des générations. Ainsi, le déficit comparable à ceux des autres gouvernements avoisinerait plutôt 5,3 milliards, ce qui équivaut à 1,2 % de la taille de notre économie, mesurée par le PIB.

Pour ceux qui auraient oublié, le Québec a eu ce niveau de déficit par rapport au PIB tous les ans entre 1972 et 1996, soit une période de 25 ans. Rassuré ?

L’Ontario mal en point

Enfin, l’Ontario. La province voisine est nettement plus mal en point que le Québec. Avant le début de la crise, l’Ontario espérait réduire son déficit à 6,7 milliards au cours de l’année 2020-2021. Or, la crise coûtera 13,8 milliards à la province, estime son ministère des Finances, dans sa mise à jour de mercredi.

Au bout du compte, l’Ontario finirait donc l’année avec un déficit de 20,5 milliards, contre 5,4 milliards au Québec. Ce déficit de 20,5 milliards équivaudrait à environ 2,3 % de son PIB, ce qui correspond au double du Québec (1,2 % du PIB), toute proportion gardée.

Certains pourraient douter de la comparaison de mon modèle avec celui du respecté ministère des Finances ontarien. Permettez une remarque : mes prévisions économiques, proches de celles du DPB, sont bien plus pessimistes que celles de l’Ontario.

Le gouvernement de Doug Ford juge qu’en 2020, le PIB réel ontarien aura une croissance de 0 %, tout pris en compte, alors que mes prévisions s’appuient plutôt sur une chute du PIB réel québécois de 5 %. Autrement dit, l’Ontario sous-estime la chute de ses recettes de taxes et d’impôts.

En revanche, faut-il dire, la mise à jour ontarienne prévoit un plus gros impact sur les dépenses et a augmenté sa réserve pour imprévus, ce qui compense.

La crise aura aussi des effets sur les années suivantes, ce qui est encore difficile à prévoir.

Quoi qu’il en soit, cet exercice permet de voir à quel point la facture sera élevée. Il permet aussi de constater que nos finances publiques sont très solides. La crise laissera assurément des séquelles, notamment dans le secteur privé, mais l’économie s’en relèvera.

1. Pour obtenir ce chiffre, je me suis basé sur l’analyse de sensibilité des revenus qui se trouve aux informations complémentaires du dernier budget du Québec. Ainsi, une baisse de 1 % du PIB nominal entraîne une chute des revenus du gouvernement de quelque 800 millions. Dans mon modèle, le PIB nominal diminue de près de 6,1 % par rapport aux prévisions d’avant la crise, ce qui entraîne une chute de 4,8 % des revenus, soit 5,9 milliards.

2. Cette hausse de 2,1 milliards des dépenses s’explique essentiellement par une augmentation des dépenses de santé (150 $ par habitant selon une analyse du ministère des Finances du Manitoba), une hausse des fonds consacrés aux entreprises et particuliers, et une baisse des coûts de financement de la dette attribuable à la baisse des taux d’intérêt. De plus, certaines dépenses prévues dans le dernier budget à d’autres fins seront plutôt consacrées à la crise.