La chute des prix du pétrole, si elle se prolonge, aura un impact mitigé sur l’économie canadienne. Les provinces productrices comme l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador en souffriront, tandis que l’Ontario et le Québec en profiteront.

Prix à la pompe

Si le bas prix actuel du pétrole brut se maintient, il donnera un coup de pouce à l’économie du Québec et de l’Ontario, explique Carlos Leitão, économiste et ancien ministre des Finances du Québec. « Pour les entreprises manufacturières du Québec et l’Ontario, c’est une bonne nouvelle », dit-il.

La baisse du prix à la pompe qui devrait s’ensuivre laissera plus d’argent dans les poches des consommateurs, explique-t-il. Ça peut se comparer à une baisse des taux d’intérêt, qui diminue les paiements hypothécaires et encourage la consommation. « Mais comme le prix de l’essence était déjà relativement bas [avant la chute du brut de lundi], les gains additionnels ne seront pas si importants », selon lui.

La baisse de la valeur du dollar canadien, qui accompagne toujours une baisse du prix du brut, est aussi un atout pour les économies exportatrices comme le Québec, parce qu’elle rend leurs produits plus compétitifs sur les marchés internationaux, note l’économiste.

Le dollar canadien a plongé lundi à son niveau le plus bas en trois ans par rapport à la devise américaine. Il a fini la journée à 73,54 cents US.

Choc majeur pour l’Alberta

L’économie de l’Alberta, qui avait relevé la tête à la fin de 2019, replongera probablement dans une crise qui pourrait être pire que celle de 2015. La province, qui n’a pas de taxe de vente et dont le taux d’imposition est très bas, dépend des redevances tirées du secteur pétrolier pour assurer les services à sa population.

Chaque baisse de 1 $US du prix du pétrole brut fait un trou de 200 millions de dollars dans les coffres de l’État, selon le plus récent budget albertain. Dans ce budget, la province tablait sur un prix de 58 $ US pour le baril de pétrole de référence (WTI). Lundi, le brut valait 28 $ US de moins, ce qui représente sur une base annuelle plus de 5 milliards de revenus en moins pour l’Alberta.

Des défis nous attendent mais notre secteur de l’énergie a réduit ses coûts et est devenu plus efficace au cours des dernières années.

Sonya Savage, ministre albertaine de l’Énergie, sur Twitter

L’Association canadienne des producteurs de pétrole avait prévu pour 2020 une hausse de 2 milliards des investissements dans le secteur pétrolier canadien, une première augmentation depuis 2014. Il faut maintenant s’attendre à un report des investissements prévus, à des mises à pied ou à des arrêts de production, si le prix du brut se maintient au bas niveau actuel.

« Nous avions déjà des problèmes avec les emplois mais si ça continue, c’est probable que nous verrons plus de pertes d’emplois en Alberta », a dit à Bloomberg le président de l’Association des producteurs et des explorateurs de pétrole du Canada, Tristan Goodman.

Le coût de production du pétrole canadien est un des plus élevés au monde, et il se vend moins cher sur les marchés que le brut américain. Suncor, principal producteur de pétrole bitumineux, a un coût de production de 28,55 $ CAN le baril.

Un impact généralisé

À plus long terme, un prix du pétrole très bas amputera certainement le taux de croissance de l’économie canadienne dans son ensemble, souligne Carlos Leitão. « Le Canada reste un important producteur d’hydrocarbures, explique-t-il. S’il y a une baisse importante des investissements dans ce secteur en Alberta et dans les autres provinces productrices, comme en Saskatchewan et à Terre-Neuve, ça fera baisser le PIB du Canada. »

Le pétrole contribue pour un peu plus de 10 % du produit intérieur brut (PIB) du Canada. C’est moins qu’il y a 10 ans, mais ça reste important, selon le gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, qui s’est inquiété la semaine dernière de la baisse du prix du pétrole amorcée par l’épidémie de COVID-19.

« Il n’y a pas que le pétrole qui sera touché. Ces tensions finiront par se propager des régions productrices de matières premières aux autres régions du pays, puisque les gens touchés directement vont dépenser moins en général », prévoit Stephen Poloz.

Un frein pour les énergies vertes ?

Toute baisse durable des prix à la pompe pourrait avoir une incidence sur le développement des énergies vertes, qui deviennent plus coûteuses par comparaison. « Il est trop tôt pour savoir si ça aura un impact, mais ça m’a traversé l’esprit [lundi] matin », a commenté Diego Creimer, porte-parole de la Fondation Suzuki.

Selon lui, la baisse du prix du pétrole a aussi un effet positif pour l’environnement, celui d’annuler des projets majeurs d’investissements dans les énergies fossiles, comme celui de Teck Resources dans les sables bitumineux en Alberta. Le contexte d’urgence climatique est aussi mieux compris aujourd’hui que lors des chutes précédentes du prix du pétrole, estime-t-il, ce qui contribue à la poursuite de la transition économique.