Les groupes qui militent contre la consommation de produits animaux ont un peu raison. Il y a des problèmes avec la façon dont on tue les bêtes que l’on mange, au Québec.

Mais ce n’est pas du tout, du tout la faute de Fernande Ouellet et de son projet de Petit Abattoir, pourtant au centre des visées de ces militants. Et non plus des restaurateurs qui encouragent les producteurs de viande appuyant cette initiative.

Le Petit Abattoir est un projet louable, intelligent, essentiel pour l’amélioration de notre façon de manger de la volaille, du bœuf, du porc, de l’agneau, du chevreau d’ici.

Et voici pourquoi.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Fernande Ouellet est une éleveuse qui travaille notamment sur un projet de foie gras de canards autogavés avec le chef américain avant-gardiste et écolo Dan Barber. 

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D’abord, laissez-moi revenir un peu en arrière pour établir qu’un des grands problèmes agricoles de notre époque, c’est la surindustrialisation de la production.

Les pesticides, les antibiotiques, les engrais chimiques, les OGM… Tout ce qui est montré du doigt, soit par les écolos, soit par les acteurs en santé publique et autres scientifiques, soit même par les végétariens et les véganes, voit la source de son existence essentiellement dans un modèle de production de nourriture à grande échelle où il faut être efficace à tout prix.

Quand j’ai écrit la semaine dernière que les antispécistes et les véganes se trompent de cible – et ceci n’est pas un encouragement à commettre des méfaits, mais plutôt une tentative de les faire réfléchir –, c’est parce que la production de viande qui pose le plus problème est du côté industriel. Pas artisanal.

Cette dichotomie entre l’industriel et l’artisanal est présente, évidemment, quand vient le temps d’abattre les animaux.

Et c’est là que le projet du Petit Abattoir entre en jeu.

Ce petit abattoir, m’a expliqué Mme Ouellet en entrevue, sera installé à Granby et servira aux petits producteurs qui ont besoin de faire abattre de petites quantités d’animaux. Il existe déjà de petits abattoirs un peu partout au Québec, en plus de dizaines d’établissements industriels. Mais ils sont peu nombreux, et ils ne sont pas toujours proches des petits producteurs qu’ils doivent et veulent desservir. Le Petit Abattoir, qui devrait commencer en septembre, si une subvention attendue arrive, un projet d’un demi-million financé aussi par des campagnes populaires, est un début de solution pour une problématique entière qu’il faut prendre à bras le corps si on veut développer la petite production de viande partout au Québec.

« Actuellement, on est du trouble pour les gros », dit Mme Ouellet, une éleveuse qui travaille notamment sur un projet de foie gras de canards autogavés avec le chef américain avant-gardiste et écolo Dan Barber. 

« La chaîne n’est pas adaptée, et c’est à nous de trouver nos propres solutions. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Thérèse Bonnichon, productrice de La Ferme Au Pied Levé à Magog, en compagnie de son conjoint, Denis Carrier

Je ne veux pas faire exprès pour dégoûter les âmes sensibles ici, mais tuer un animal, ça peut se faire doucement, lentement, avec précision pour que toutes les parties du corps restent bien intactes, ce qui est crucial quand on produit de petites quantités d’animaux.

Ou ça peut se faire de façon plus brutale, afin de passer beaucoup d’animaux en peu de temps.

Quand Fernande Ouellet ou Marie-Thérèse Bonnichon, productrice de La Ferme Au Pied Levé à Magog, arrivent avec leurs 75 dindes ou leurs 100 poulets, elles ne veulent pas que leurs volailles soient passées par un système qui ne peut pas les traiter délicatement.

Si j’ai 30 % de perte, c’est assez dramatique.

Marie-Thérèse Bonnichon

Des oiseaux qui reviennent de l’abattoir sans ailes, une carcasse de dinde où une patte manque à l’appel.

Quand on élève des dindons au grain bio, une cuisse de 700 g absente, ce n’est pas rien, explique l’agricultrice.

Les gros abattoirs n’ont pas la capacité de fignoler, comme peuvent le faire les petits.

Des petits qui existent. Mais qui sont parfois bien loin.

Martine Paridaens, des Jardins du Ruisseau Ball, une petite productrice des Cantons de l’Est qui a déjà élevé des chevreaux, des porcs, des oies, des canards, des agneaux, a décidé de tout arrêter. « Je ne peux pas partir à Québec avec seulement 80 oiseaux pour les faire abattre, dit-elle. Ça n’a pas de sens. »

Marie-Thérèse Bonnichon, elle, le fait. Elle part de Magog et apporte ses oies et ses canards à l’île d’Orléans, où il y a un petit abattoir qui travaille très bien. Mais une telle solution n’existe pas pour le poulet, la dinde et la pintade. Elle doit alors aller vers un abattoir industriel « et passer entre deux vans ». Des camions remplis de centaines de poulets venant de grands éleveurs industriels.

C’est sûr, dit-elle, que si le projet du Petit Abattoir de Fernande Ouellet voit le jour à Granby, « ça réglerait une grande partie de la problématique ».

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Je venais de parler pendant une vingtaine de minutes d’abattoirs avec l’agricultrice Marie-Thérèse Bonnichon quand celle-ci m’a demandé si elle pouvait me dire une dernière chose. 

Me parler de sa peine. 

Sa peine, comme petite productrice de viande artisanale, de se faire traiter comme si elle était une meurtrière. 

« Ça fait mal », m’a-t-elle dit à propos de toutes les campagnes pilotées par les militants véganes contre les éleveurs de viandes artisanales. « Parce que s’il y en a qui prennent soin de leurs animaux, c’est bien nous. »

Marie-Thérèse ne berce peut-être pas chacun de ses cochons le soir avant qu’ils dorment et ne donne pas de noms à ses canards.

Mais quand ils meurent sans qu’on leur ait fait honneur à table, parce que la vie aura décidé d’un autre sort que celui d’un festin pour une pintade ou une oie, ça, ça lui tire des larmes. Parce que c’est ça, se préoccuper de ses animaux.

« Leur harcèlement est très lourd, dit l’agricultrice. Celui qui élève 20 000 poulets, vous pensez qu’il est attaché à chacun de ses animaux ? »

Elle, oui.