Personnellement, je ne saurais pas que faire avec 462 000 $ par année.

Ne le dites pas à mes patrons, mais au-delà d’un certain niveau de rémunération, comment dire, je serais embêté de consommer davantage. Et rassurez-vous, je suis très, très loin de toucher cette somme, qui correspond au revenu moyen que gagnent les 1 % les mieux payés au Québec.

Mais bon, je comprends que l’argent est un élément de motivation pour bien des gens et, surtout, qu’il permet à des entreprises de débaucher des champions à la concurrence, qui résistent à un stress énorme et livrent des résultats.

Je n’ai rien contre les grosses payes, donc. Encore faut-il qu’elles soient réellement méritées et qu’elles ne soient pas abusives. Je me suis d’ailleurs souvent élevé contre les émoluments gargantuesques de certains dirigeants en Bourse et prononcé en faveur de la hausse des impôts du 1 % de Trudeau en 2015.

Cela dit, les faits sont têtus. Et ce que disent les faits, c’est que l’écart de revenus entre les riches et les pauvres ne s’est pas vraiment accru depuis 10 à 20 ans au Québec, ni même au Canada, contrairement à une croyance répandue. C’est le cas aux États-Unis, mais pas ici.

Il y a différentes façons de mesurer le phénomène, le plus courant étant la part des revenus qu’accapare le 1 %. Voyons voir.

En l’an 2000, près de 55 000 personnes faisaient partie de ce groupe sélect, qui nécessitait qu’elles gagnent individuellement plus de 135 000 $ par année. À l’époque, ce groupe de 1 % accaparait 10,4 % de l’ensemble des revenus des contribuables.

Aujourd’hui, qu’en est-il ? Selon les plus récentes données de Statistique Canada (2017), le 1 % accapare maintenant 10,1 % du total des revenus. Dit autrement, la situation n’a pratiquement pas changé, et cette part a été assez stable depuis l’an 2000.

Compte tenu de la croissance de la population et du PIB, le 1 % regroupe aujourd’hui 65 500 personnes et le seuil pour en faire partie est passé à 220 100 $. Les 65 500 bien nantis qui dépassent ce seuil ont une rémunération moyenne de 462 600 $, à laquelle je fais référence dans le chapeau de ma chronique (1).

Cela dit, la fiscalité vient gruger cet avantage des riches. Tant et si bien qu’après impôts, la part du revenu que le 1 % accapare n’est plus de 10,1 % en 2017, mais de 8,5 %, un niveau semblable, encore une fois, à celui de l’an 2000.

La forte progression des riches s’est surtout faite avant les années 2000. Par exemple, au Québec, en 1982, la proportion des revenus accaparée par les riches après impôts était de 5,2 %, et cette part a sans cesse grimpé avant de se stabiliser autour de 8,5 % depuis l’an 2000.

Le Québec est aussi distinct des autres grandes provinces. Il y a proportionnellement moins de riches qu’en Ontario et en Alberta, et ils gagnent moins, indiquent les données de Statistique Canada.

Dans ces deux provinces, ce n’est pas 8,5 % des revenus après impôts que les riches accaparent, comme au Québec, mais 10 %. Et aux États-Unis, il faut ajouter environ 6 points de pourcentage !

Comme on peut le voir dans le graphique, les riches Albertains ont connu une spectaculaire déconfiture depuis la crise pétrolière de 2014 et la crise financière de 2008. La proportion de revenus annuels après impôts qu’absorbaient les riches était de 14 % en 2014 et de 16,6 % en 2006, contre 10 % aujourd’hui !

Les ultra-riches

Maintenant, il y a une autre façon de mesurer le phénomène, et c’est en calculant combien de fois les riches gagnent par rapport au revenu médian du citoyen ordinaire.

Entre 1983 et 1987, les riches gagnaient 7,5 fois plus que le citoyen ordinaire. Cette proportion est passée à 9,6 fois entre 1993 et 1997, puis à un sommet de 11,2 fois en 2007. Depuis, cette part a reculé, et aujourd’hui (2017), les membres du groupe des 1 % gagnent en moyenne 10,5 fois plus que le revenu médian des contribuables.

J’ai aussi jeté un œil sur les ultra-riches, soit le groupe qui compose le 0,01 % de la population. Pour en faire partie, attachez vos tuques, il faut gagner plus de 2,5 millions au Québec. Ce groupe est composé de 655 personnes et leur rémunération moyenne avant impôts a atteint 5,2 millions en 2017 (3,6 millions après impôts). Il s’agit de dirigeants d’entreprises en Bourse et de joueurs de hockey, par exemple.

En moyenne, leur rémunération des dernières années, après impôts, représentait environ 120 fois le revenu médian individuel au Québec, de quelque 31 200 $ après impôts. Ce multiple est impressionnant, mais il faut savoir qu’il atteignait 130 fois il y a 10 ans, soit entre les années 2003 et 2007.

De plus, les multiples sont nettement plus grands en Ontario (près de 200 fois entre 2003 et 2007 et 170 fois entre 2013 et 2017). Le fossé en faveur des ultra-riches s’est creusé entre 1990 et 2007, avant de se réduire depuis. Statistique Canada ne publie pas de données sur cette catégorie au Québec dans les années 80, en raison du nombre trop petit.

Ce portrait ne changera pas le sentiment d’injustice de la population qui voit certains gagner énormément plus. Au moins, les écarts se sont stabilisés ces dernières années, et ils sont nettement moindres au Québec qu’ailleurs en Amérique du Nord. Espérons que ce plafonnement demeure au cours des prochaines années.

(1) Tous les revenus pris en compte dans cette chronique incluent également le gain en capital.