Trudeau avait promis de les éliminer d’ici 2025, mais il en a plutôt rajouté l’an dernier. Scheer ne veut pas y toucher, alors que Singh, May et Blanchet les critiquent vertement en lançant de gros chiffres.

Toutes sortes d’informations circulent sur les subventions à l’industrie pétrolière, si bien qu’il est très difficile de s’y retrouver. Qu’en est-il au juste ?

D’abord, contrairement à la croyance répandue, les subventions ne correspondent pas, pour l’essentiel, à des sommes versées directement par le gouvernement fédéral aux sociétés pétrolières, tel un chèque par la poste.

On pense souvent à des transferts de plusieurs milliards, mais dans les faits, seulement 112 millions de dollars ont constitué des subventions fédérales directes en 2017, selon une compilation méticuleuse de l’Institut international du développement durable (IIDD). Et encore, de cette somme, une partie a été accordée pour des projets plutôt verts (amélioration énergétique, captage de carbone, etc.).

À ces 112 millions, on pourrait ajouter l’aide fédérale annoncée en décembre 2018 au secteur pétrolier. L’injection additionnelle directe s’apparentant à une subvention classique avoisine les 50 millions par an(1). Bref, rien pour écrire à sa mère !

L’essentiel du soutien financier ne prend donc pas la forme de subventions classiques, mais plutôt de déductions fiscales et d’avantages fiscaux, notamment pour l’aménagement et l’exploration.

Selon certaines estimations de l’IIDD, ces avantages fiscaux du fédéral atteignaient 1,6 milliard par année en 2013 et 2014.

Il y a toutefois un gros bémol : comme ces déductions sont encaissables lorsque les pétrolières font des profits, elles ont été pratiquement nulles depuis 2014, avec la chute des prix du pétrole, puisque les profits se sont transformés en lourdes pertes. Les déductions sont néanmoins reportables dans le temps.

Autre forme d’aide importante : les actions accréditives. Ces actions émises notamment par des sociétés pétrolières et gazières pour des projets très risqués permettent aux investisseurs – petits et gros – d’avoir droit à des déductions fiscales importantes, ce qui peut être considéré comme des subventions à l’industrie. En 2017, l’IIDD estime que la subvention fédérale à cet égard s’est élevée à 265 millions.

Le gouvernement fédéral accorde aussi divers appuis pour le financement de projets de diversification énergétique et pour l’exportation, notamment par l’entremise d’Exportation et développement Canada (EDC).

Selon une analyse de l’IIDD, EDC a un volume de prêts à l’industrie pétrolière avoisinant les 10 milliards. Le chiffre est gros, mais pour estimer l’équivalent en subventions annuelles récurrentes, il faut calculer l’avantage de financement qu’il procure par rapport au privé. En postulant un avantage de l’ordre de 3 points de pourcentage sur les taux d’intérêt, la subvention annuelle serait de quelque 300 millions.

Même genre de raisonnement pour les 4,5 milliards du fédéral qui ont servi à l’achat de Trans Mountain, qu’il faut voir à long terme, et répartir annuellement pour l’additionner au reste.

Dit autrement, ces dernières années, les subventions fédérales totales récurrentes aux entreprises pétrolières et gazières se calculent davantage en centaines de millions par an qu’en milliards. Il est difficile d’être plus précis, et le Vérificateur général du Canada a d’ailleurs sévèrement critiqué le fédéral à ce sujet dans son rapport de 2017, tout comme la Commissaire au développement durable dans son rapport de 2019.

Dans ces rapports, les auditeurs se demandaient comment le Canada pourra atteindre son objectif d’éliminer les « subventions inefficaces aux combustibles fossiles » d’ici 2025, tel qu’il s’est engagé à le faire en 2009 au G20, s’il ne les a pas bien identifiées et s’il n’a pas de plan.

Cela dit, le fédéral n’est pas le seul à appuyer les pétrolières. Toujours selon l’IIDD, l’Alberta a accordé l’équivalent de 1,2 milliard par an de congés de redevances aux entreprises pétrolières et la Colombie-Britannique, 630 millions. Cette réduction depuis trois ans est accordée en Alberta pour diversifier la production de pétrole vers l’industrie du plastique, les fertilisants et les tissus. Mais une redevance moindre est-elle une subvention ?

Au bout du compte, peu importe le montant et le comment, il est contre-productif que les gouvernements, partout dans le monde, subventionnent une industrie dont le produit provoque de gros dégâts climatiques.

55 milliards pour les consommateurs

Ce qui est moins connu, par ailleurs, c’est que les subventions sont beaucoup plus imposantes pour les consommateurs de pétrole (particuliers et entreprises) que pour les producteurs.

Un exemple ? Depuis des lunes, la taxe d’accise fédérale sur le diesel est de 4 cents le litre, bien en bas des 10 cents le litre imposés pour l’essence. Pourquoi un tel avantage, si ce n’est un appui historique aux industries consommatrices de diesel ? À lui seul, cet escompte équivaut à une subvention de 1,8 milliard de dollars en 2019, selon les estimations de Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal. « C’est inadmissible, scandaleux », dit-il.

Et plus largement, du point de vue des économistes, le prix trop bas du pétrole (et de toute forme de carbone) vendu aux utilisateurs est considéré comme une énorme subvention. Cet avantage sur le prix de l’essence et du charbon équivaut au coût annuel de la congestion, de la pollution de l’air et, surtout, des dégâts du réchauffement climatique.

Et tenez-vous bien : en fixant le coût à environ 50 $ la tonne de GES émise, cette subvention équivaut à 55 milliards par année au Canada, selon une étude du Fonds monétaire international (FMI), soit plus de 1500 $ par habitant. Cette subvention est donc environ 50 fois plus grande que celle aux producteurs, essentiellement.

Une taxe sur le carbone ou son équivalent est la façon la plus efficace de pousser les consommateurs à modifier leur comportement et de réduire les GES, selon de nombreux économistes.

Au Canada, le gouvernement Trudeau a justement instauré la controversée taxe carbone. De 20 $ la tonne actuellement, elle passera à 50 $ en 2022, à moins que les conservateurs, qui veulent l’abolir, soient élus. Le Québec a un autre système qui fixe aussi le prix à quelque 20 $ la tonne actuellement.

Selon certains, il faudrait voir le prix grimper à 100 $ pour atteindre les cibles de réduction de GES de 2030. Ce prix équivaut à 23 cents le litre d’essence, l’équivalent de 12 $ pour un plein d’essence.

Dites-moi, ne seriez-vous pas prêt à payer 12 $ pour régler le problème ?

(1) J’ai ciblé uniquement les contributions directes et je les ai ramenées en somme annuelle récurrente, ce qui est la seule façon d’additionner des pommes avec des pommes.