Il y a des pays qui ne badinent pas avec le vol d’identité.

La semaine dernière, l’organisme britannique qui veille à la protection des renseignements personnels a collé une gigantesque amende de 300 millions de dollars au transporteur aérien British Airways qui s’était fait dérober les données de quelque 244 000 clients.

Et chez nous ? N’y pensez même pas ! Rien de tel ne pend au bout du nez de Desjardins, qui a pourtant compromis les renseignements névralgiques de 2,9 millions de membres.

D’accord, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada et la Commission d’accès à l’information du Québec ont ouvert une enquête. Mais ils n’ont pas le pouvoir d’imposer des amendes. Rien. Nada. Gracieuseté de nos lois totalement désuètes.

C’est pourquoi Equifax s’en est sortie à bon compte en avril dernier. L’agence de crédit s’était fait voler les données de plus de 143 millions de personnes dans le monde, dont 19 000 Canadiens.

Ses manquements étaient accablants : mesures de sécurité insuffisantes, conservation des renseignements pendant une période trop longue, processus de consentement inadéquats, absence de reddition de comptes, mesures de protection limitées offertes aux personnes touchées après l’atteinte.

Mais face à ce triste constat, le Commissariat n’a pu que faire signer un accord par lequel l’entreprise américaine s’est engagée à améliorer son programme de sécurité.

C’est tout. Une pichenotte, quoi.

Comble de l’ironie, c’est maintenant vers Equifax que Desjardins se tourne pour protéger ses membres contre des fraudes éventuelles. Pas trop rassurant !

Service unilingue anglais, de nombreux délais ridicules pour obtenir la ligne… les récriminations des consommateurs démontrent que l’agence n’est pas à la hauteur.

Cette crise sans précédent prouve qu’il est urgent de mieux encadrer les agences de crédit, qui, même si elles travaillent dans l’ombre, n’en sont pas moins la clé de voûte de la vie financière des consommateurs.

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Au Canada, Equifax et TransUnion compilent toute l’information sur les habitudes de paiement des emprunteurs. Puis elles concoctent une cote de crédit qui devient le bulletin des consommateurs.

Or, la recette du score de crédit qui oscille entre 300 et 900 points reste secrète. L’algorithme est une véritable boîte noire. Impossible de savoir exactement ce qu’il faut faire pour améliorer son score.

Mais que vaut cette cote, quand on sait que le quart des dossiers contiennent des erreurs ?

Prenez Charles et sa conjointe, qui figurent parmi les victimes du vol chez Desjardins. En vérifiant leur dossier de crédit, le couple s’est aperçu qu’une location d’auto Nissan de 13 000 $ échue en 2016 était toujours inscrite.

« C’est ahurissant qu’une entreprise comme Equifax ne soit pas assujettie à de meilleurs contrôles de qualité. Cette entreprise fait la pluie et le beau temps pour les finances de bien des gens sans aucune transparence et le consommateur n’a pratiquement aucun contrôle sur ses propres données », s’indigne Charles.

Il a malheureusement raison.

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Légalement, les consommateurs ont le droit de recevoir gratuitement leur dossier de crédit (mais pas la cote). Sauf qu’ils doivent faire une demande par la poste. Allô ? On est en 2019.

Il est possible d’obtenir son dossier et sa cote immédiatement sur l’internet. Mais il faut s’abonner au service qui coûte 20 $ par mois, que les agences mettent bien en évidence sur leur site web.

En fait, tout est mis en œuvre pour pousser les consommateurs à payer pour consulter leurs propres données.

Et lorsqu’ils découvrent des erreurs, les corriger n’est pas une sinécure. Encore là, il faut faire une demande par la poste. « Les mécanismes de contestation sont souvent trop lourds, complexes et longs », a déjà dénoncé Option consommateurs.

Certains commerçants se servent même du dossier de crédit comme arme pour forcer leurs clients à payer des comptes, à tort ou à raison. Les consommateurs sont coincés, car une tache à leur bulletin peut avoir des conséquences très graves.

Cela peut les empêcher d’obtenir une hypothèque, les forcer à payer un taux d’intérêt plus élevé et même leur causer des ennuis pour trouver un logement ou une assurance auto, car la cote de crédit est maintenant utilisée à toutes les sauces.

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Tout cela devrait alarmer les gouvernements. Les consommateurs sont mal protégés. Au minimum, il faudrait encadrer le dossier de crédit dans la Loi sur la protection du consommateur (LPC).

Mais pourquoi ne pas nationaliser les agences de crédit ? Pourquoi les données personnelles des citoyens seraient-elles à la merci d’une entreprise privée américaine sur laquelle ils n’ont aucun pouvoir ?

Vous me direz qu’un organisme gouvernemental ne serait pas à l’abri des erreurs et des fuites ? C’est vrai. Mais au moins, il y aurait davantage de transparence et de comptes à rendre.

Vous me direz que je rêve en couleurs ? Mais cette idée n’est pas si folle. Plusieurs pays fonctionnent ainsi. Par exemple, la France s’est dotée en 1989 du Fichier national d’incidents de remboursement des crédits aux particuliers.

Cette base de données est gérée par la Banque de France, qui est la seule à pouvoir centraliser ces renseignements. Lorsqu’un consommateur a des difficultés de paiement, l’information risque d’être inscrite à son dossier. Mais le créancier doit d’abord le prévenir et lui donner la possibilité de régulariser son compte.

Voilà qui est clair et transparent.