Quel drôle de plan de match ! Québecor se plaint sur toutes les tribunes que Bell ne lui verse pas assez de redevances pour ses chaînes spécialisées et qu'il ne fait pas assez de place à TVA Sports dans ses forfaits. Mais en guise de représailles, voilà qu'il menace de couper lui-même le signal de TVA Sports aux abonnés de Bell.

Samedi soir dernier, lors du dernier match de la saison du Canadien, TVA Sports a diffusé un message en surimposition : « Abonnés de Bell : Bell a décidé de vous pénaliser. Le signal de TVA Sports sera suspendu dans les prochains jours. »

Alors que TVA Sports perd de l'argent comme de l'eau, pourquoi se priver volontairement des abonnés de Bell ? C'est un peu comme si la chaîne s'envoyait elle-même au banc des pénalités.

Car soyons clairs, ce n'est pas Bell qui veut couper le signal, mais bien Québecor, même si son message donnait l'impression contraire.

En rejetant le blâme sur Bell, Québecor fait peut-être le pari que les téléspectateurs migreront vers son propre télédistributeur, Vidéotron. « Pour ne rien manquer des séries, communiquez avec Cogeco, Rogers, Telus, Vidéotron ou votre distributeur local », précisait d'ailleurs le message de TVA Sports.

Mais changer de fournisseur est tout un fardeau pour les consommateurs qui doivent se casser la tête pour magasiner un nouveau forfait, perdre une journée de travail pour accueillir le technicien, etc.

À l'aube des séries éliminatoires, pourquoi pousser les clients vers la porte ? Pourquoi courir le risque que les abonnés mécontents trouvent une autre option à TVA Sports et ne reviennent plus jamais au poste ?

Les amateurs de hockey qui veulent regarder les matchs en anglais peuvent se rabattre sur Sportsnet, propriété de Rogers Media, ou sur CBC.

Pour des matchs en français, les internautes peuvent aussi opter pour TVA Sports Direct, la nouvelle plateforme de diffusion sur le web, lancée il y deux semaines. Tiens, tiens, quel hasard...

***

Reste à voir si Québecor mettra sa menace à exécution, même si cela est illégal.

« Les règles du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes [CRTC] font en sorte que les Canadiens ne perdent pas l'accès aux chaînes de télévision lors des négociations commerciales entre les radiodiffuseurs et les fournisseurs de services de télévision », indique la porte-parole Patricia Valladao.

En fait, lorsqu'un différend oppose un distributeur de contenu et un diffuseur, ni l'un ni l'autre n'a le droit de « tirer la plogue » avant que le CRTC tranche le litige.

Et justement, il y a un litige entre Québecor et Bell devant le CRTC. C'est Québecor qui l'a déclenché en accusant Bell Canada de « préférence indue » dans une plainte déposée le 27 février dernier.

Québecor y dénonce le fait que Bell refuse d'offrir TVA Sports dans son forfait le plus populaire, appelé « Bon », alors que sa propre chaîne sportive RDS en fait partie. Les clients qui veulent TVA Sports doivent payer un extra de 14 $. Québecor accuse donc Bell de protéger la position dominante de RDS, ce qui fait perdre des revenus significatifs à TVA Sports.

Or, le CRTC ne rendra pas sa décision avant au moins deux mois, estime Michel Arpin, consultant en radiodiffusion. D'ici là, Québecor n'a donc pas le droit de couper le signal de TVA Sports aux abonnés de Bell. Et ensuite ? Tout dépend du contrat négocié entre Bell et Québecor.

Remarquez, ce n'est pas la première fois que Québecor fait des menaces qui ne se concrétisent pas. En 2015, TVA Sports avait demandé à Bell de retirer son signal juste avant le début de la saison de la Ligue nationale de hockey. Mais Bell avait alors demandé l'arbitrage au CTRC. Et le « blackout » n'a jamais eu lieu.

***

Mais toute cette histoire n'est peut-être qu'un coup de publicité pour permettre à Pierre Karl Péladeau de plaider sa cause devant le grand public.

Depuis quelques semaines, Québecor mène une campagne médiatique réclamant que les diffuseurs paient la « juste valeur » pour les chaînes de télé spécialisées. « Comment expliquer qu'avec des investissements comparables à RDS, TVA Sports reçoit près de 40 % moins de revenus d'abonnements ? », demandait le patron de Québecor dans une lettre ouverte.

« En 2018, la plus récente période pour laquelle des statistiques sont disponibles, l'auditoire de RDS était en moyenne 67 % supérieur à celui de la chaîne TVA Sports », a répliqué, hier, Martine Turcotte, présidente, direction du Québec, de Bell. Dénonçant dans une déclaration « la campagne irresponsable et les actions illégales de Québecor », elle affirme que « Québecor cherche en fait à exiger que Bell paie davantage pour avoir accès à la chaîne TVA Sports que ce que Québecor/Vidéotron est prête à payer pour RDS ».

Bonne chance pour les négociations !

Car en ce moment, c'est le libre marché qui s'applique. Les redevances sont le fruit de négociations entre les diffuseurs et les producteurs de contenu. Quand ils ne parviennent pas à s'entendre, le CRTC est appelé à se prononcer. Deux fois dans le passé, il a tranché en défaveur de TVA Sports, donnant raison à Bell.

Il faut dire que le CRTC se base alors sur quatre critères : le nombre d'abonnés, les cotes d'écoute, les investissements en programmation, mais aussi l'historique de la chaîne.

Ce dernier critère devrait être éliminé, car il favorise les chaînes établies de longue date au détriment de jeunes concurrentes qui veulent se tailler une place tant bien que mal.

Prenez TVA Sports, qui a payé les yeux de la tête pour devenir le principal diffuseur francophone des matchs de la LNH. Au cours de ses six premières années d'existence, la chaîne a perdu plus de 150 millions, dont 21 millions en 2016-2017, la dernière année pour laquelle les chiffres sont disponibles.

Et les deux suivantes risquent d'être encore pires, avec le Canadien qui n'est pas parvenu à se rendre en séries.