(Québec) C’est la fin d’une époque : après le Maurice Nightclub, le restaurant Ashton ferme ses portes.

« Je me rappelle dans le temps, le Ashton fermait à 4 h du matin et il y avait un line-up. Le monde courait pour essayer d’avoir sa petite poutine ! »

Des souvenirs comme celui-là, Fernand Côté, vétéran de la Grande Allée à Québec, en a des milliers. L’ancien barman a connu les années folles de la rue, qui était alors la « reine de la nuit ».

Mais cette époque semble bel et bien révolue. Comme d’autres rues festives, la Grande Allée vit une transformation provoquée par l’essor des réseaux sociaux et les changements profonds dans les habitudes des jeunes.

Mardi, la chaîne de restauration rapide Ashton a annoncé la fermeture de son restaurant de la Grande Allée. Les employés serviront leurs dernières poutines samedi et seront replacés dans les 23 succursales restantes.

Parmi les raisons, l’entreprise évoque la baisse de la clientèle nocturne. Le Ashton de la Grande Allée, inauguré en 1988, était autrefois ouvert toute la semaine jusqu’à 4 h du matin. C’est souvent là que les fêtards allaient finir la nuit.

Mais dans les dernières années, les patrons ont décidé de ne plus ouvrir tard que les vendredis et samedis. La clientèle n’était tout simplement plus au rendez-vous les autres nuits.

« Ces soirs-là, ça allait super bien, mais deux nuits sur sept, c’est autre chose que sept nuits sur sept », explique la responsable des communications et du marketing pour les restaurants Chez Ashton, Mylène Beaulieu.

À l’automne, le Maurice Nightclub a aussi définitivement mis la clé sous la porte, après deux tentatives de relance successives.

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Une seule boîte de nuit tient toujours bon, entre les restaurants et les microbrasseries de la Grande Allée : le Dagobert.

À son apogée, la Grande Allée a déjà compté trois boîtes de nuit. Une seule tient toujours bon, entre les restaurants et les microbrasseries : le Dagobert.

« On n’est plus dans une ère de discothèques », résume Philippe Desrosiers, ancien copropriétaire du Maurice. Il est désormais propriétaire d’une microbrasserie sur Grande Allée, L’Inox.

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Philippe Desrosiers, propriétaire de l’Inox

« Le Dagobert, les vendredis et samedis, c’est bien plein, dit-il. Je pense que ça va rester. Mais il n’y aura peut-être plus d’autres discothèques. »

L’époque des slows

Les restaurants et les brasseries de la Grande Allée font de bonnes affaires. Mais la rue s’est assagie. Elle se couche plus tôt.

Fernand Côté a connu les années les plus olé olé de la Grande Allée. « Je suis arrivé en 1989. C’était épouvantable comme ça marchait », se souvient celui qui a été barman au Dagobert et au Maurice.

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C’était la Main. Il y avait le Brandy, le 2e vitesse, le Vogue, le Sherlock Holmes, le Palazze Club… Le Dagobert marchait à plein et peut-être que j’en oublie. Les grosses années du Nightclub, c’est entre 1985 et 2003. C’était épouvantable !

Fernand Côté

Côté se souvient du stress qui s’emparait des employés de bars à la veille du « Spring Break ». Environ 5000 Ontariens débarquaient en ville pour faire la fête.

En mars 1999, un Ontarien de 19 ans a même été retrouvé mort dans son lit après une cuite fatale sur la Grande Allée.

Le journaliste du Soleil qui avait couvert l’histoire notait que l’année s’annonçait pourtant tranquille : « En leur première journée en sol québécois, les skieurs ontariens s’étaient montrés vraiment calmes par rapport à certaines années où, à peine arrivés, ils livraient bataille aux Québécois, sous l’influence de l’alcool. »

Dans son temps, se souvient Côté, les jeunes restaient tard pour ne pas manquer les slows qui précédaient la fermeture des bars.

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Fernand Côté, vétéran de la Grande Allée

« C’était plein jusqu’à 2 h 45 du matin, parce que c’était le seul moyen de cruiser une fille, raconte Fernand Côté. Là maintenant, ça a changé avec les réseaux sociaux et les téléphones. »

Philippe Desrosiers abonde dans son sens : « Depuis 10 ans, ce qui a fait mal au nightclub, c’est la technologie, Tinder, Snapchat… Les gens cruisent sur leur téléphone. »

Jeunes et sobres

Autre facteur d’importance, les adolescents boivent moins qu’avant. Des chercheurs de l’Université Columbia ont dévoilé ce mois-ci une étude qui démontre que les adolescents américains d’aujourd’hui s’adonnent beaucoup moins aux beuveries (« binge drinking ») que dans le passé.

Jean Twenge, spécialiste des tendances de l’adolescence et professeure de psychologie à l’Université de San Diego, constate dans ses recherches que les jeunes passent de moins en moins de temps avec leurs amis. Ce déclin a été observé dès les années 70, mais s’accélère depuis 2010 et l’arrivée des téléphones intelligents.

Comme les jeunes ont toujours été une clientèle cible des discothèques, ces transformations ont forcément eu une incidence. En Basse-Ville de Québec, plusieurs nouvelles petites adresses sont nées dans les dernières années. Mais même ici, faire sortir les jeunes demande de l’effort.

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Le bar l’Anti, à Saint-Roch

« Ici, on a 63 sortes de bière, toutes sortes de shows différents, explique Karl-Emmanuel Picard, propriétaire du bar L’Anti, à Saint-Roch. Les gens veulent bien manger, ils ont souvent des régimes particuliers, sont véganes par exemple… »

« Mais parfois, je fais une promotion, genre hot-dogs gratuits et bière pas chère, et sur les réseaux sociaux, la réaction est incroyable », raconte Karl-Emmanuel Picard. 

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Karl-Emmanuel Picard, propriétaire du bar L’Anti, à Saint-Roch

J’ai l’impression qu’il va y avoir des centaines de personnes. Mais un coup que je suis là, y’a pas un chat ! Il y a vraiment plus d’offre qu’avant.

Karl-Emmanuel Picard

Le Ashton de la Grande Allée va laisser sa place à un restaurant plus chic. C’est Fabio Monti, copropriétaire de L’Atelier et de L’Ophélia, qui a racheté l’immeuble. Ce sera son troisième établissement dans cette rue.

« La rue vit une transformation. Le nightlife change. Mais il faut rappeler qu’avant il y avait plus de restaurants destinés aux touristes. Là, il y a des restaurants qui attirent des gens de partout en ville. »

Fernand Côté pense qu’aucune rue en ville ne délogera jamais la Grande Allée. Mais il faut se rendre à l’évidence : ses années folles sont derrière elle.

« La rue est encore très belle. Ça va toujours rester la Grande Allée, la Main de Québec, dit-il. Mais c’est sûr que les réseaux sociaux ont changé la dynamique. »