Les statistiques sur la création d’emploi par les PME varient, mais finissent par dire à peu près toutes la même chose : une très grande partie, certains vont avancer jusqu’aux deux tiers, de la création d’emplois, se fait au sein des PME.

Non seulement les entrepreneurs qui lancent des compagnies apportent à la société de nouveaux produits et services, mais en plus, ils créent des jobs. Beaucoup de jobs.

C’est pour cela, croit le psychiatre Michael Freeman de l’École de médecine de l’Université de Californie à San Francisco, spécialiste en santé mentale des entrepreneurs, qu’il faut veiller sur le bien-être de ces acteurs économiques cruciaux confrontés à de nombreuses difficultés. En effet, les recherches montrent que 72 % rapportent des problèmes de santé mentale.

« Il faut donc penser à leurs besoins, on dépend d’eux pour notre prospérité », explique le médecin en entrevue téléphonique, à partir de la Californie où il fait de la recherche, mais aussi de la clinique. Et il est temps de comprendre, ajoute-t-il, que les questions de santé mentale ne doivent plus être taboues. « La neurodiversité, c’est ce qui fait de nous des sociétés formidables. »

La neurodiversité, c’est le fait que nos cerveaux ne fonctionnent pas tous de la même façon, y compris ceux des entrepreneurs.

Les témoignages que nous avons publiés cette semaine ont parlé de stress, d’anxiété, de dépression… Les études montrent aussi que les entrepreneurs sont plus à risque que le reste de la population d’être atteints de bipolarité et de déficit d’attention. Les pensées suicidaires font aussi partie du portrait.

L’ironie, c’est que certaines des caractéristiques qui font des entrepreneurs des gens dynamiques, créatifs, prêts à prendre des risques, résilients, sont sur cette échelle graduée qui part de « normal » pour aller vers « problème ».

« Parfois, trop d’une bonne chose devient une mauvaise chose », rappelle le médecin.

Ce que les entrepreneurs doivent comprendre, c’est que les caractéristiques hors normes qui leur permettent d’exceller peuvent être associées à des risques. Et il faut apprendre à gérer les risques.

Être prêt à se dévouer corps et âme à son entreprise parce qu’on y trouve une gratification extrême n’est peut-être pas une façon très équilibrée de vivre sa vie, mais c’est une façon efficace de s’assurer de la survie de son entreprise. Tout est dans la prise de conscience de cette réalité. Et dans la gestion du risque. Pas juste la gestion du risque que l’entreprise se casse la figure. Le risque que l’entrepreneur s’écrase lui aussi, peut-être même en premier.

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Les entrepreneurs sont-ils donc tous un peu hors norme ?

On a beaucoup parlé de plusieurs suicides d’entrepreneurs – dont les compagnies n’allaient pas nécessairement mal – qui ont fait les manchettes.

Au Canada, on se rappelle le cas de Brandon Truaxe, fondateur de Deciem, qui s’est lancé en bas de son immeuble à Toronto en janvier dernier. Aux États-Unis, les départs fracassants d’Anthony Bourdain – animateur et producteur de documentaires culinaires, Kate Spade, designer de mode – Aaron Swartz – cofondateur de Reddit – ont aussi fait les manchettes, sans oublier Austen Heinz, le fondateur de Cambrian Genomics, ou Jody Sherman, la fondatrice d’Ecomom, qui se sont aussi ôté la vie.

La dépression fait partie de la réalité de l’entrepreneuriat, mais des entrepreneurs parfois se suicident durant des épisodes « maniaco » de leur bipolarité, donc quand ils sont en haut et non en bas. Les suicides sont aussi parfois des gestes un peu « hara-kiri », note le chercheur américain. Cela survient alors à la suite d’un événement particulièrement humiliant. C’est ce qui est arrivé avec Truaxe, qui venait d’être tassé de la direction de l’entreprise qu’il avait fondée par les gestionnaires de Estée Lauder, investisseurs pourtant minoritaires dans sa compagnie.

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Le Dr Freeman estime qu’il a suivi environ 6000 patients tout au long de sa carrière et n’a vu qu’une seule fois un cas clair de trouble de la personnalité.

Donc ce n’est pas lui qui va dire que les entrepreneurs sont comme ci ou comme ça avec des termes pathologiques.

Par contre, il y a chez les entrepreneurs un trait de personnalité caractéristique. Celui de l’entrepreneuriat. Et c’est ensuite l’environnement, les circonstances de chacun, qui lui permettront de s’épanouir ou pas.

De la même façon qu’un trait créatif pourra produire un poète ou un vendeur d’assurances – mais qui donnera cours à ce trait de personnalité autrement que par les clichés attachés à son boulot et son identité sociale, par l’entremise de passe-temps notamment –, des traits entrepreneuriaux pourront s’exprimer autant par la création d’une compagnie que par, par exemple, la mise en marche de projets dans un contexte moins risqué.

Me suivez-vous ?

Donc même des salariés qui travaillent au sein d’une immense entreprise peuvent avoir des traits d’entrepreneur.

Mais comment créer un environnement où tous ceux qui ont la fibre entrepreneuriale et qui veulent se lancer se sentent bien entourés ? Encouragés ? Est-ce possible ?

Quand on parle de politiques publiques, souvent les gens croient qu’un ingrédient magique va faire toute la différence, explique le Dr Freeman. On change la loi sur la faillite, on met plus de capitaux à la disposition des fondateurs…

« Mais on oublie les facteurs humains », rappelle-t-il.

La seule politique publique qui lui vient à l’esprit serait une meilleure couverture des soins de santé, un vrai problème aux États-Unis. Les jeunes entrepreneurs n’ont pas accès à une couverture, puisque c’est généralement l’employeur qui la fournit. Et ils ont encore moins accès qu’au Canada – où ce n’est que très peu couvert – à des soins de santé mentale pour les aider à gérer leurs difficultés. Au Québec, le gouvernement pourrait, et ça aiderait tout le monde, élargir la couverture des soins de santé à celle des soins de santé mentale.

« On n’a pas fait des études sur tout », rappelle le chercheur. Donc on n’a pas de solution pour tout. Mais il est urgent de réfléchir à la façon d’aider ces gens dynamiques dont la société et dont on a tous tant besoin.