(Québec) Hier, en début d’après-midi, des ouvriers s’affairaient dans une échelle sur le panneau d’affichage lumineux de CO2 Solutions devant les bureaux de l’entreprise, rue Jean-Perrin à Québec.

« Ne me dites pas que vous vous préparez déjà à fermer les lieux », ai-je demandé à la blague à Evan Price, PDG de la firme de technologie, qui est venu m’ouvrir la porte et qui m’a vite rassuré.

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Evan Price est le PDG de CO2 Solutions, une entreprise qui a mis au point une enzyme capable de capter le CO2 des émissions industrielles polluantes.

« Absolument pas, on vit des moments difficiles, mais on a une technologie unique que des entreprises de tous les secteurs industriels dans le monde convoitent parce qu’on leur offre la possibilité de réduire de façon importante leurs émissions de gaz à effet de serre », m’explique celui qui s’est joint à la firme québécoise en 2008.

CO2 Solutions, une entreprise innovante dans l’univers des technologies vertes qui a mis au point une enzyme capable de capter le CO2 des émissions industrielles polluantes – et qui pourrait s’imposer comme un acteur de taille dans la lutte contre les changements climatiques –, a besoin d’air. Elle s’est placée lundi sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

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CO2 Solutions s’est placée lundi sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

CO2 Solutions a été fondée par Sylvie Fradette en 1997. Détentrice d’un doctorat en génie chimique de l’Université Laval et spécialisée dans l’application des biocatalyseurs comme outils dans les procédés biotechnologiques, Sylvie Fradette et son équipe de CO2 Solutions ont émis quelque 80 brevets depuis la création de l’entreprise.

« De 1997 à 2008, CO2 faisait principalement de la recherche et du développement en laboratoire. Je me suis joint à l’entreprise en 2008 à titre de président du conseil avec le mandat de développer des applications industrielles. Je suis PDG depuis 2013 », précise Evan Price.

Au moment de sa fondation, l’entreprise a pu compter sur le financement d’anges investisseurs et des gouvernements. L’entreprise a réalisé une émission d’actions en 2004 à la Bourse de croissance de Toronto.

« Depuis 1997, on a eu 80 millions de financement. La moitié venant d’investisseurs privés et l’autre des gouvernements. En 2015, on a construit notre première usine-pilote à Valleyfield grâce à des subventions fédérales et à la participation de Husky Energy », résume Evan Price.

En 2016, CO2 Solutions a conclu son premier véritable partenariat industriel avec la société forestière Résolu, qui lui a demandé d’installer une unité de captation de CO2 à son usine de pâtes et papiers de Saint-Félicien.

« Notre procédé est simple. On capte le CO2 directement à la base des cheminées qui rejettent les gaz et on les traite avec nos enzymes qui absorbent tout le CO2 lors du passage des gaz dans deux cuves. Ensuite, on se retrouve avec des résidus de carbone que l’on peut réacheminer pour d’autres fins industrielles, que ce soit pour l’alimentation, la fabrication de produits chimiques, des carburants ou des protéines », explique le PDG.

Dans le cas de Résolu, l’expérience a débuté au printemps et l’entreprise a été en mesure d’absorber 30 tonnes de CO2 et de réacheminer 3 tonnes de gaz carbonique à l’entreprise de culture de concombres Serres Toundra, localisée à 1 kilomètre de l’usine de Saint-Félicien.

Dépassement de coûts et casse-tête à venir

Le projet industriel de Saint-Félicien a toutefois coûté beaucoup plus cher que ne l’avait prévu CO2 Solutions – on parle ici d’un dépassement de quelque 3 millions sur les 8 millions budgétés.

« Il fallait procéder par étape lors du raccordement, s’assurer que l’on n’intervienne pas dans l’opération de Résolu. Mais cette première percée commerciale démontre que notre procédé est efficace », insiste le PDG Price.

Le hic, c’est que durant le déroulement du projet de Résolu, CO2 Solutions était en train de négocier un financement de 8 millions avec une institution financière qui, face à ces dépassements de coûts subits, a décidé de mettre fin aux pourparlers.

On s’est retrouvé avec des créances de plusieurs millions et des fournisseurs qu’on ne pouvait pas payer, et c’est la raison pour laquelle on a émis lundi un avis d’intention de nous prévaloir de la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

Evan Price, PDG de CO2 Solutions

Parallèlement, le conseil d’administration de CO2 Solutions a mandaté la firme Ernst & Young afin d’évaluer tous les partenariats stratégiques qui permettraient à l’entreprise de poursuivre ses avancées industrielles.

« Notre potentiel est immense. J’ai répertorié des entreprises de 20 secteurs industriels qui sont intéressées à notre technologie. Là, on ne fabriquera plus d’unités, mais on va vendre des licences à des entreprises qui vont les implanter chez nos clients », précise le PDG.

Les entreprises sont dans les secteurs de l’énergie, des ressources, des transports, de la transformation alimentaire. Toutes les cimenteries cherchent un moyen de réduire leurs émissions de GES et aussi leur facture carbone.

CO2 Solutions est déjà en pourparlers avec les responsables de la cimenterie McInnis, en Gaspésie, qui, une fois qu’ils auront terminé leur phase de démarrage, vont chercher à réduire leur empreinte environnementale grâce à la technologie de CO2 Solutions. D’ici là, l’entreprise de Québec a besoin d’un peu d’air.

Un PDG à la fibre forestière

Evan Price est le petit-fils du dernier de la lignée de la famille Price à avoir dirigé la papetière Price Brothers, fondée en 1820 à Québec par son ancêtre William Price.

« Mon grand-père a présidé la compagnie jusqu’au milieu des années 60, mais l’entreprise n’appartenait plus à la famille depuis la grande dépression des années 30. Son père et lui-même la dirigeaient comme s’il s’agissait de leur propre entreprise », souligne Evan Price.

Son père, avocat en droit international, a été l’un des premiers anglophones à fréquenter l’Université Laval, avant Brian Mulroney. La famille a vécu 10 ans en Afrique, mais son père tenait à revenir à Québec.

« Moi, je suis devenu ingénieur forestier et j’ai travaillé cinq ans en Bolivie et au Zaïre avant d’aller faire mon MBA à l’INSEA, à Fontainebleau, et de revenir à Québec, où j’ai dirigé quelques entreprises et siégé à plusieurs conseils d’administration », explique Evan Price.

Le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre, et c’est peut-être ce qui explique pourquoi la première application industrielle de CO2 Solutions a été implantée chez un producteur de pâtes et papiers, Résolu, lui-même né de l’intégration de plusieurs sociétés forestières – dont Price, qui avait été au préalable absorbée par Abitibi.