Quelques semaines après que l’investisseur montréalais Stephen Jarislowsky a varlopé la direction de SNC-Lavalin dans une lettre très dure, la firme Jarislowsky Fraser investit massivement dans SNC pour en redevenir l’un de ses plus importants actionnaires.

Le gestionnaire de placements montréalais a acheté de gros blocs d’actions du cabinet montréalais d’ingénierie « tout au long du mois d’août » pour le compte de clients ou de fonds. Ces transactions ont pour effet de hisser Jarislowsky Fraser au troisième rang des plus importants actionnaires de SNC-Lavalin, derrière la Caisse de dépôt et placement du Québec et la Banque Royale (RBC Gestion mondiale d’actifs).

Au moment où l’ex-PDG de SNC Pierre Duhaime s’est fait arrêter pour fraude il y a sept ans et que les scandales de corruption éclataient, Jarislowsky Fraser était le plus important actionnaire de SNC-Lavalin, à hauteur de 14 %. La valeur de cette participation avait ensuite été abaissée sous la barre des 10 %.

Un document déposé hier auprès des autorités réglementaires révèle que Jarislowsky Fraser a commencé le mois de septembre en détenant près de 19 millions d’actions de SNC-Lavalin, l’équivalent d’une participation d’environ 11 % dans l’entreprise.

Le titre de SNC-Lavalin a traversé sa meilleure séance boursière de l’année hier en s’appréciant de 12 % pour clôturer à 17,92 $ à Toronto.

Le prix payé par Jarislowsky n’a pas été dévoilé, ni le nombre précis d’actions achetées le mois dernier. On parle toutefois de dizaines de millions de dollars d'actions. Les transactions ont été réalisées « à des fins d’investissement », est-il indiqué dans le document daté du 10 septembre et signé par le président et chef de la direction de Jarislowsky, Maxime Ménard.

« L’augmentation de notre participation dans SNC-Lavalin est en partie le résultat de la croissance récente des actifs dans la stratégie d’actions canadiennes », a fait savoir Maxime Ménard dans un courriel envoyé à La Presse en soirée.

Notre mission est de protéger et de faire croître le capital de nos clients grâce à une recherche fondamentale rigoureuse et à une approche reposant sur une équipe intégrée et un processus d’investissement discipliné. Ce titre ainsi que tous nos avoirs répondent actuellement à nos critères.

Maxime Ménard

Il n’a pas été possible d’obtenir plus de précisions ni de savoir jusqu’à quel niveau la firme avait abaissé sa participation dans les dernières années.

Plus de 10 % des actions de SNC

Au cours actuel, la participation de Jarislowsky Fraser dans SNC-Lavalin vaut 340 millions de dollars.

Ensemble, la Caisse de dépôt (19,9 %), RBC (16,6 %) et Jarislowsky (10,8 %) contrôlent maintenant plus de 47 % des actions de SNC-Lavalin.

Le titre de SNC valait plus de 60 $ à un certain moment durant l’été 2018. La Caisse de dépôt a acheté pour plusieurs centaines de millions de dollars d’actions de SNC-Lavalin durant la chute rapide du titre en 2018. RBC a de son côté acheté pour un quart de milliard de dollars d’actions de SNC-Lavalin le printemps dernier.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

L'investisseur Stephen Jarislowsky

Le retour en force de Jarislowsky Fraser au capital-actions de SNC-Lavalin survient après que Stephen Jarislowsky a fait une sortie remarquée contre l’entreprise au printemps.

Dans une lettre ouverte datée du 1er mai, il avait notamment demandé la tenue d’un vote des actionnaires sur la décision de vendre une portion de la participation dans l’autoroute ontarienne 407, une voie rapide à péage.

« C’est l’un des meilleurs placements que je connaisse, car il est garanti par le gouvernement et profite pleinement de la croissance de la circulation à Toronto. Avec cette vente de la 407, les actionnaires sont obligés par leur propre conseil d’administration de parier sur le sauvetage d’un actif désormais sans valeur, une opération qui me semble cruelle et machiavélique. La décision du conseil d’administration concernant la 407 manque de rigueur éthique et va à l’encontre de l’exercice de la responsabilité fiduciaire. La reconstruction de SNC-Lavalin Ingénierie sera une tâche herculéenne. Les actionnaires pourraient se retrouver avec une valeur quasi nulle », soutenait-il.

Jarislowsky Fraser gère des portefeuilles d’entreprises et de particuliers, mais aussi ceux de caisses de retraite et de fondations. L’actif sous gestion de la firme s’élève à près de 40 milliards.

Des ennuis

SNC-Lavalin a révélé l’automne dernier que le Service des poursuites pénales du Canada ne négocierait pas d’accord de réparation relativement aux accusations de fraude et de corruption déposées il y a quatre ans par la Gendarmerie royale du Canada pour des gestes faits en Libye. Si SNC devait être reconnue coupable, l’entreprise pourrait ne plus avoir le droit de soumissionner à des contrats gouvernementaux au pays pour un certain nombre d’années.

Des ennuis financiers et des dépassements de coûts liés à certains projets ont déjà forcé SNC à réviser ses prévisions à trois reprises jusqu’ici cette année. Le dividende a été charcuté et le départ du grand patron, annoncé. Un PDG par intérim est aujourd’hui aux commandes, et la Caisse de dépôt commence à taper du pied.

Il y a deux mois, le plus important investisseur institutionnel du Québec faisait savoir que la détérioration de la performance de SNC-Lavalin était une source de préoccupation grandissante pour la Caisse. « La situation dans laquelle se trouve la société exige des actions décisives, sans délai, de la part de son conseil d’administration », avait souligné la Caisse dans un communiqué.

Néanmoins, les experts qui suivent les activités quotidiennes de SNC-Lavalin continuent de croire au potentiel de l’entreprise. Neuf des treize analystes affectés à la couverture de SNC recommandent l’achat de l’action. Leur cours cible moyen sur 12 mois est de 31 $.

« Je suis en accord avec la décision des dirigeants de cesser de soumissionner sur des contrats à prix fixe puisque ça va réduire la volatilité des bénéfices et diminuer les risques (c’est-à-dire l’exposition à des contrats au Moyen-Orient). Le plus gros obstacle à franchir à court terme consiste à générer suffisamment de liquidités et de profits et à maintenir un bilan financier sain », souligne l’analyste Jacob Bout, de la CIBC, dans une note de recherche publiée lundi.