De grâce, ne vous braquez pas tout de suite. La suggestion lancée ce matin par l’Institut canadien des actuaires (ICA) de reporter l’âge de la retraite à 67 ans n’est pas ce que vous croyez.

Rien à voir avec l’annonce des conservateurs en 2012 de repousser de 65 à 67 ans l’âge d’admissibilité à la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV), décision impopulaire que les libéraux s’étaient empressés d’annuler à leur arrivée au pouvoir.

L’objectif de l’ICA est d’encourager les gens à rester plus longtemps sur le marché du travail, ce qui tombe sous le sens dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Mais rassurez-vous, les travailleurs ne perdraient absolument rien au change, surtout pas ceux en bas de l’échelle qui n’ont pas l’énergie pour bosser deux ans de plus à la sueur de leur front.

« On ne pénalise personne avec notre proposition », assure l’un des principaux auteurs de l’étude, Jacques Tremblay, associé chez Oliver Wyman.

Au contraire, cette mesure encouragerait les futurs retraités à bonifier leurs rentes gouvernementales, un choix logique alors que les employeurs mettent la hache dans leur régime de retraite.

« Les prochaines générations vont avoir besoin de ça, parce que les taux d’intérêt sont plus bas, qu’ils vont vivre plus longtemps. »

— Jacques Tremblay, l’un des principaux auteurs de l’étude

Ainsi, l’idée de l’ICA favoriserait une meilleure planification de la retraite, ce qui profiterait à l’économie et aux individus.

Que demander de mieux ?

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Voyons cela dans les détails.

Tout d’abord, l’Institut propose de reporter de 65 à 67 ans l’âge d’admissibilité à la PSV. Mais contrairement à l’ancienne proposition conservatrice, les retraités seraient récompensés pour leur patience.

En touchant leur rente deux ans plus tard, ils recevraient une somme plus élevée de 14,4 % pour le restant de leurs jours. Rien de neuf ici. Les Canadiens ont déjà droit à une bonification de 7,2 % pour chaque année de report. En attendant jusqu’à 70 ans, ils peuvent donc toucher une rente majorée de 36 % à vie. L’ICA suggère d’ailleurs d’étirer la possibilité de report jusqu’à 75 ans.

Évidemment, les travailleurs pourraient quand même prendre leur retraite à 65 ans… ou plus tôt. Simplement, ils devraient financer leur départ hâtif avec leurs propres économies.

Ce n’est pas la mer à boire. Comme la PSV rapporte environ 7000 $ par année, il suffirait d’économiser 14 000 $ pour partir deux ans plus tôt. Mais, je le répète, cet effort serait compensé par la bonification de leur rente à partir de 67 ans.

Bref, les futurs retraités ne seraient pas perdants par rapport aux générations précédentes. Mais ils recevraient un signal clair qu’ils devraient reporter leur rente.

Toutefois, la situation est différente pour les personnes moins nanties qui ont une espérance de vie inférieure de sept ans à celle des personnes qui ont les revenus les plus élevés. La différence atteint 14 ans quand on parle de l’écart de vie en santé. Troublant.

Ne voulant pas forcer des personnes à faibles revenus à s’échiner deux ans de plus, l’ICA suggère de laisser à 65 ans l’âge d’admissibilité au Supplément de revenu garanti (SRG). « Le Supplément serait bonifié pour compenser la perte de la PSV durant deux ans », ajoute l’actuaire Michel St-Germain, partenaire chez Mercer.

En outre, l’ICA suggère de réduire la cotisation des bas salariés au Régime de rentes du Québec (RRQ) pour refléter leur espérance de vie plus courte.

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Parlons justement du RRQ.

L’ICA estime aussi qu’on devrait décaler l’âge normal de la retraite de 65 à 67 ans. L’âge minimal pour recevoir une rente amputée devrait passer de 60 à 62 ans et l’âge maximal pour obtenir une rente bonifiée, de 70 à 75 ans.

Mais les sommes seraient exactement les mêmes qu’en ce moment. Par exemple, une personne qui demanderait une rente « anticipée » à 65 ans aurait droit au même montant qu’aujourd’hui. Mais en patientant jusqu’à 67 ans pour toucher la rente « normale », elle recevrait 16,8 % de plus, puisque chaque année de report gonfle la rente de 8,4 %.

Simple changement de vocabulaire ? Oui, d’une certaine façon. Mais j’ose croire que cela encouragerait les gens à travailler plus longtemps et à réclamer leur rente plus tard.

Pour l’instant, on est loin du compte.

À peine 3 % des prestataires réclament leur rente après 65 ans. Plus de la moitié la demandent dès qu’ils le peuvent, c’est-à-dire à 60 ans, parfois même en continuant à travailler.

« À notre avis, ce n’est pas le rôle de l’État d’encourager ce genre de comportement-là. Les gens qui dépensent autant d’argent dès le début ne réalisent pas le risque qu’ils courent s’ils vivent très, très vieux », prévient M. St-Germain.

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Attendre à 67, 70 ou même 75 ans pour toucher ses rentes n’est pas très vendeur, j’en conviens. Mais en y pensant bien, il s’agit d’un excellent choix.

Bien sûr, les gens peuvent arrêter de travailler plus tôt. Mais le truc, c’est de vivre d’abord avec leurs épargnes personnelles.

« Une des meilleures stratégies pour les retraités, c’est d’utiliser leur propre capital de retraite rapidement et de reporter les rentes des régimes d’État à 75 ans », explique M. St-Germain.

Pour une large part de la classe moyenne, le report de la PSV et de la rente du RRQ permettrait d’obtenir une rente équivalant à 80 % de leurs revenus d’emploi à 75 ans. Merveilleux, non ?

Ensuite, les retraités n’auraient plus à se soucier de gérer leurs actifs, ce qui peut être particulièrement ardu lorsqu’on atteint un âge avancé. Ils n’auraient plus à se soucier du manque d’argent s’ils vivent très vieux. Et comme les rentes sont indexées au coût de la vie, ils ne verraient plus l’inflation gruger leur qualité de vie à petit feu.

La sainte paix financière !