Nouveaux rebondissements dans l'affaire Fondation Fer de Lance. Dans les jours entourant son procès, l'avocat accusé Jean-Pierre Desmarais a cédé sa part de la maison familiale à sa femme juge. La maison deviendra ainsi bien plus difficile à saisir par les créanciers advenant un défaut de paiement.

La transaction concerne une propriété de 1,5 million de dollars située sur le bord du lac Gémont, à Saint-Adolphe-d'Howard. Elle a eu lieu le 23 octobre 2014, soit 11 jours avant la fin du procès de Jean-Pierre Desmarais. Six mois plus tard, le tribunal déclarait l'avocat coupable d'avoir recueilli illégalement des millions de dollars auprès des investisseurs. Ce verdict lui a valu d'être condamné à 18 mois de prison et à une amende de 345 000 $.

La femme de Jean-Pierre Desmarais, qui a racheté la part de la maison, Michèle Toupin, est l'une des juges coordonnatrices à la Cour du Québec. Elle coordonne le travail d'une quarantaine de juges des tribunaux criminels et civils de la région Laval-Laurentides-Lanaudière-Labelle.

Michèle Toupin a racheté la quote-part de 50 % de son mari en échange d'une contrepartie imprécise, qui soulève des questions parmi les juristes d'expérience.

Jean-Pierre Desmarais a porté sa condamnation en appel. Par ailleurs, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a déposé des accusations contre lui dans un autre dossier similaire, le 4 septembre 2014. L'avocat est également copoursuivi au civil pour la somme de 3,0 millions par la femme d'affaires Denise Verreault et son conjoint Richard Beaupré, de la Gaspésie, qui avaient investi dans la Fondation Fer de Lance.

Selon plusieurs juristes, la transaction immobilière pourrait rendre plus difficile le recouvrement des amendes imposées par le tribunal ou les éventuels dommages que pourrait obtenir le couple Verreault-Beaupré.

« Si j'étais créancier, ça me fatiguerait beaucoup, ça m'achalerait, a dit le notaire François Forget. C'est une transaction entre personnes liées, faite dans les mois précédant des problèmes financiers. »

La transaction soulève d'autant plus de questions que sa contrepartie n'est pas claire. D'abord, elle a été faite de gré à gré, sans qu'aucun évaluateur agréé ne vienne en valider la valeur marchande.

Ensuite, pour racheter la moitié de la maison à son mari, Michèle Toupin a simplement renoncé à sa participation dans le bénéfice de polices d'assurance vie d'une valeur déclarée de 305 000 $, indique l'acte de vente. Il est toutefois impossible de connaître la nature des polices, ni leur valeur réelle ou leurs bénéficiaires.

Michèle Toupin a aussi accepté d'assumer entièrement l'hypothèque de la maison, dont la portion de Me Desmarais est de quelque 425 000 $, selon les divers documents notariés.

Autrement dit, les créanciers ou le gouvernement pourraient ne plus pouvoir saisir la maison pour se payer advenant que Jean-Pierre Desmarais soit insolvable, puisqu'elle ne lui appartient plus. En outre, une police d'assurance vie est plus difficile à saisir.

« J'ai fait environ 30 000 contrats notariés dans ma vie, mais je n'ai jamais vu ça, une police d'assurance vie comme contrepartie », a dit le notaire Forget.

Même son de cloche du consultant en évaluation André Charbonneau ou de l'avocat en droit immobilier Yves Papineau. « Je n'ai jamais vu ça en 36 ans de carrière », a dit Me Papineau.

« Sur le principe, ça sent drôle. Je ne comprends pas ce que monsieur obtient pour avoir vendu sa partie de la maison. Si j'étais créancier de monsieur, c'est sûr que je poserais des questions et que je songerais à attaquer la transaction », dit Me Papineau, à qui nous n'avons pas mentionné les noms des parties.

CONTRAT DE MARIAGE

La maison n'est pas la seule transaction qui a eu lieu pendant la période du procès. Jean-Pierre Desmarais et Michèle Toupin ont signé un contrat de mariage le 16 septembre 2014. Ils étaient mariés sous le régime de la société d'acquêts depuis plusieurs années, c'est-à-dire sans contrat spécifique.

Le réputé professeur de droit Vincent Karim, de l'UQAM, juge aussi la situation bien particulière. Il ne connaît pas les parties ni la cause précisément, mais nous lui avons demandé de se prononcer sur l'état du droit. Or, sur la base des faits décrits, il estime que les parties pourraient avoir tenté de se soustraire à des possibilités de saisies.

Il cite l'article 1632 du Code civil. Selon cet article, une transaction « est réputée faite avec l'intention de frauder si le cocontractant ou le créancier connaissait l'insolvabilité du débiteur ou le fait que celui-ci, par cet acte, se rendait ou cherchait à se rendre insolvable ».

Dans un tel cas, les créanciers peuvent faire déclarer la transaction inopposable à leur endroit ou, autrement dit, agir comme si elle n'avait jamais eu lieu. « Il leur faudrait attaquer ces transactions, même le contrat de mariage », dit Vincent Karim.

Concernant l'assurance vie, Vincent Karim note que si la nature de l'assurance se traduit par le versement d'une rente pour les bénéficiaires, la rente est insaisissable par les créanciers.

Selon Me Karim, il serait possible pour les créanciers de faire valoir leurs droits, même si les sommes qui leur sont dues sont officiellement reconnues après les transactions en cause. Cependant, point important, les créanciers doivent contester les transactions au plus tard un an après en avoir pris connaissance. L'échéance serait probablement février 2017 s'ils sont mis au courant pour la première fois par cet article.

Jean-Pierre Desmarais a obtenu un délai de 18 mois pour payer l'amende de 345 000 $ à partir du moment où sera rendu le jugement en appel de sa condamnation. Ces délais pourraient lui donner jusqu'au début de 2019 pour payer. S'il fait alors défaut, il sera trop tard pour contester la transaction sur la maison de campagne ou le contrat de mariage.

Au Bureau de perception des amendes, qui doit collecter les 345 000 $, on semble ignorer ces délais, puisqu'on nous indique vouloir attendre l'issue des procédures d'appel avant de réagir. « Le dossier de M. Desmarais étant en appel, les procédures d'exécution sont suspendues en vertu du code de procédure pénale. »

L'avocat du couple Verreault-Beaupré, Daniel O'Brien, n'a pas voulu commenter le dossier. La juge Michèle Toupin n'a pas rappelé La Presse ni répondu à notre courriel pour s'expliquer. La notaire de la transaction, Christiane Lebeuf, n'a pas voulu répondre à nos questions, pas plus que Jean-Pierre Desmarais. « C'est une transaction de nature privée. Ça ne regarde personne d'autre que mon épouse et moi », a dit l'avocat.