L'ex-courtier français Jérôme Kerviel, qui se comparaît à Icare dans un ouvrage autobiographique paru au printemps, s'est définitivement brûlé les ailes. Et la chute est brutale.

L'homme de 33 ans a été condamné hier par le tribunal correctionnel de Paris à cinq ans de prison, dont deux avec sursis. Il devra par ailleurs verser à son ex-employeur, la Société Générale, la somme astronomique de 4,9 milliards d'euros en contrepartie du «préjudice» causé par ses actions «frauduleuses».

Dans sa décision, le président du tribunal, Dominique Pauthe, a relevé que l'accusé - déclaré coupable d'abus de confiance - était «personnellement et uniquement imputable» de la stratégie «occulte» utilisée pour contourner les contrôles internes de la banque et engager des sommes de plusieurs dizaines de milliards d'euros en 2007 et 2008.

Jérôme Kerviel a tout mis en oeuvre pour «endormir la méfiance» de ses supérieurs et «réussir à se soustraire à toute velléité de contrôle qui aurait pu constituer une entrave à ses ambitions», faisant preuve d'un «sang-froid permanent» pour parvenir à ses fins, a relevé le magistrat.

Les éléments soumis à la cour, a-t-il ajouté, ne «permettent pas de déduire» que la Société Générale avait pu détecter l'existence d'opérations illégales «ni même les suspecter». L'ex-courtier a toujours prétendu que ses supérieurs étaient au courant de ses actions et les cautionnaient.

En fin de compte, les activités du jeune homme ont porté atteinte à «l'ordre économique public international» mais leur impact a pu être limité grâce à l'efficacité de l'intervention de la banque, a souligné le président du tribunal.

Il n'a pratiquement adressé aucun reproche à la Société Générale, si ce n'est en relevant que les «insuffisances» existantes en matière de contrôle interne avaient été sanctionnées par la commission de contrôle bancaire.

«Dans cette affaire, il a été très clairement démontré que le comportement de Jérôme Kerviel, ses mensonges, étaient si complexes que la banque ne pouvait pas se douter de ce qu'il était en train de faire», s'est félicité un des avocats de la banque, Jean Veil.

«Lorsque vous avez des employés ou du personnel chez vous, vous ne vérifiez pas le soir s'ils partent avec les couverts», a ajouté le juriste, qui insiste sur l'aspect symbolique de l'amende imposée à Jérôme Kerviel.

Disposant d'un salaire de 2000 euros par mois comme consultant informatique, l'ex-courtier n'a évidemment pas les moyens de renflouer la somme de 4,9 milliards d'euros. Elle correspond au montant perdu par la vente dans l'urgence en 2008 des positions qu'il avait prises sur le marché.

Le magistrat a indiqué que les pertes totales auraient pu excéder 10 milliards, voire 15 milliards si l'institution avait attendu plus longtemps pour les liquider.

Secoué par le verdict

L'ex-courtier, vêtu d'un costume noir et d'une chemise blanche, semblait profondément secoué après le verdict. Il est resté assis de longues minutes sur sa chaise à quelques mètres d'une foule de journalistes qui attendaient en vain un commentaire de sa part. Les yeux rougis, il est reparti libre après que son avocat eut annoncé sa volonté de porter la décision en appel.

«C'est un jugement totalement déraisonnable qui dit qu'une banque n'est responsable de rien, pas responsable d'une créature qu'elle a fabriquée, que seul Jérôme Kerviel est responsable des excès», a déploré le réputé juriste Olivier Metzner.

Même son de cloche de René Coupa, fondateur du comité de soutien de l'ex-courtier d'origine bretonne. «L'Europe sous la pression des marchés, ce sont les titres que l'on lit dans les journaux, et les juges savent les consignes: il fallait le massacrer, ils l'ont fait», a-t-il déclaré à l'Agence France-Presse.

Tout en se disant soucieux de ne pas intervenir dans le processus judiciaire, le député centriste François Bayrou s'est aussi inquiété d'un jugement «extrêmement troublant» qui «semble faire porter sur le seul prévenu la totalité de la responsabilité» de la retentissante affaire.

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Jérôme Kerviel

> Né le 11 janvier 1977 à Pont-l'Abbé (Finistère) d'un père enseignant technique, mort en 2006, et d'une mère coiffeuse, Jérôme Kerviel était déjà attiré par la banque lorsqu'il a opté au lycée pour la filière économique.

> Après le bac, il a passé un an à la faculté de sciences économiques de Quimper, avant d'entrer à l'Institut universitaire professionnalisé de Nantes, où il a obtenu une maîtrise en finance.

> Après un diplôme d'études supérieures spécialisées «finance» à l'Université de Lyon, il a été recruté en 2000 par la Société Générale, comme gestionnaire au service du contrôle middle office. Deux ans plus tard, il devenait «assistant trader» et, début 2005, accédait au poste rêvé de trader.

- Agence France-Presse

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Les principales étapes de l'affaire Kerviel

> 24 janvier 2008: La Société Générale annonce une «fraude» de 4,9 milliards d'euros dans ses activités de produits financiers dits «dérivés». Selon la banque, le courtier Jérôme Kerviel a «dissimulé ses positions grâce à un montage élaboré de transactions fictives».

> 26 janvier 2008: Kerviel est en garde à vue et mis en examen deux jours plus tard, notamment pour «abus de confiance, faux et usage» et placé sous contrôle judiciaire.

> 20 février 2008: La banque, partie civile, estime qu'«aucune preuve de détournement ou de complicité interne ou externe (...) n'a été constatée».

> 23 mai 2008: Un rapport d'audit évoque un «environnement général» ayant conduit à des «dépassements fréquents de limites de risque» dans le service de Kerviel.

> 2 juillet 2008: Un rapport de la brigade financière conclut que Jérôme Kerviel a «abusé de la confiance» et «profité de la négligence de sa hiérarchie».

> 4 juillet 2008: La Commission bancaire inflige un blâme et une amende de 4 millions d'euros à la Société Générale pour des «carences graves du système de contrôle interne».

> 4 août 2008: Un assistant de Kerviel est mis en examen pour complicité d'introduction frauduleuse de données. Il bénéficiera finalement d'un non-lieu.

> 31 août 2009: Kerviel est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris, pour abus de confiance, faux et usage et faux, introduction frauduleuse de données dans un système automatisé.

> 5 mai: Parution chez Flammarion du livre de Jérôme Kerviel, L'engrenage, Mémoires d'un trader.

> Du 8 au 25 juin: Procès devant la onzième chambre correctionnelle, présidée par Dominique Pauthe. Le parquet requiert cinq ans de prison dont quatre ferme.

> 5 octobre: Kerviel est condamné à 5 ans de prison et à rembourser à la Société Générale 4,9 milliards en dommages et intérêts.

- d'après l'Agence France-Presse