La Banque Royale a constaté il y a plus d'un an qu'Earl Jones faisait des transactions inappropriées dans le compte de ses clients, a appris La Presse Affaires.

Dès le printemps 2008 ou avant, la Banque avait remarqué que certaines des transactions bancaires de M. Jones ne cadraient pas avec la nature d'un compte en fidéicommis. L'institution a donc demandé au conseiller financier de changer la nature de son compte et de le transformer en compte commercial à partir de juillet 2008. L'argent du compte en fidéicommis des clients a alors été transféré dans le compte commercial.

Le porte-parole de la Banque Royale, Raymond Chouinard, a confirmé ces informations. «On a réalisé qu'Earl Jones utilisait son compte en fidéicommis pour faire plusieurs transactions de nature commerciale (...) Certaines transactions ne correspondaient pas à l'utilisation normale, entre guillemets, d'un compte en fidéicommis. On a donc demandé à M. Jones de changer pour un compte commercial», a expliqué M. Chouinard.

Par définition, un compte en fidéicommis est un compte géré par une personne au nom de tiers. Dans ce cas, il s'agissait du compte Earl Jones in Trust de la Banque Royale, géré par Earl Jones au nom de ses clients. Par opposition, un compte commercial est géré par un mandataire pour le compte de son entreprise, dans ce cas la Corporation Earl Jones, dont M. Jones est l'unique actionnaire.

Raymond Chouinard n'a pas pu nous préciser la nature des «transactions non conformes». Mais il a donné l'exemple hypothétique de factures d'électricité d'un bureau de professionnels, qui ne devraient pas être acquittées à même un compte en fidéicommis de clients.

À l'époque, la Banque Royale n'était pas en mesure de déduire, avec les informations dont elle disposait, qu'il aurait pu s'agir de transactions illégales, nous dit M. Chouinard. Elle n'a donc pas fait d'enquête interne sur les activités du compte de M. Jones ni avisé les autorités.

Selon nos informations, c'est à la même époque qu'Earl Jones a fait un retrait de 170 000$ comptant du compte en fidéicommis. Ce retrait daté d'avril 2008 a pris la forme d'une traite bancaire du compte au nom personnel d'Earl Jones, nous a confirmé le syndic Gilles Robillard, de RSM Richter.

Raymond Chouinard n'a pu nous dire si cette transaction de 170 000$ explique la mutation du compte en fidéicommis en compte commercial.

Dans son rapport déposé mardi, le syndic a constaté que M. Jones a fait des retraits personnels ou irréguliers de 12,3 millions de dollars sur 15 ans à même les fonds de ses clients.

Ces retraits, qui viennent essentiellement du compte en fidéicommis de la Banque Royale, ont été faits pour l'achat de voitures ou de condos, l'éducation des enfants ou le paiement de cartes de crédit personnelles, par exemple.

Pour l'instant, le syndic n'a obtenu des données que pour 15 des 23 années ciblées de son enquête. En ajoutant les huit années manquantes, soit de 2000 à 2007, Gilles Robillard estime que les retraits irréguliers pourraient excéder les 20 millions.

Normalement, une banque n'est pas tenue de vérifier systématiquement les transactions des comptes de ses clients, nous dit le professeur de droit bancaire Marc Lacoursière, de l'Université Laval. Toutefois, «si elle suspecte quelque chose d'anormal, de louche, elle doit vérifier ce qu'il en est, en vertu des règles de jurisprudence», précise-t-il.

Concernant la décision de la Banque Royale de transformer en compte commercial le compte en fidéicommis d'Earl Jones, Marc Lacoursière estime que «ce changement peut soulever des questions».

Neil Stein, l'avocat qui représente le syndic RSM Richter, est au courant de cette mutation du compte de M. Jones. «Nous allons regarder cet aspect pour voir si la Banque Royale a une quelconque responsabilité dans cette affaire», a dit M. Stein.

Hier matin, Earl Jones a officiellement été mis en faillite personnelle, en Cour supérieure, à Montréal. Le tribunal a entériné la nomination de RSM Richter comme syndic de la faillite personnelle de M. Jones, le même syndic que celui de la faillite de l'entreprise Corporation Earl Jones.

En Cour, le représentant de Richter, Gilles Robillard, a rappelé qu'Earl Jones a peu d'actif personnel en regard des sommes dues. Ses trois condos de Dorval, de Mont-Tremblant et de Boca Raton (Floride) sont lourdement hypothéqués, donc sans grande valeur.

Earl Jones ne s'est pas présenté ni n'a fait opposition à sa faillite par l'entremise d'un tiers. L'assemblée des créanciers devrait avoir lieu d'ici 21 jours.