Le patron montréalais d'un grand cabinet d'avocats a trouvé un moyen simple mais efficace pour espionner ses concurrents. Tous les mois, il surfe sur les sites web de ses rivaux, y compte le nombre d'avocats répertoriés, puis compare ce chiffre avec celui des mois précédents. Si le nombre a augmenté, il en déduit que le cabinet est en croissance; s'il a diminué, c'est un signe que ce bureau est en mode prudence.

«Regardez, sur le site de BCF, y'a cinq professionnels de moins qu'au début de l'année!» dit-il, fier de lui.

L'anecdote a beau être amusante, elle dénote une réalité qui l'est beaucoup moins. Car comme dans tous les autres secteurs, le marché de l'emploi juridique est frappé de plein fouet par la crise économique. Les cabinets n'embauchent plus ou peu et les entreprises recrutent moins d'avocats que l'an dernier à pareille date.

 

«C'est dur», dit Louis Sévéno. Depuis décembre, cet avocat de 29 ans se cherche un poste en litige civil et commercial dans un grand ou moyen cabinet de Montréal. Il a envoyé une trentaine de CV et a rencontré à peu près tous les recruteurs juridiques de la métropole. Résultat: niet.

Pourtant, l'été dernier, alors qu'il était conseiller juridique pour la Commission d'enquête Air India, Louis Sévéno était convaincu qu'il n'aurait aucun problème à se recaser une fois son contrat à la Commission terminé tellement il était sollicité par les employeurs. Aujourd'hui, il déchante.

«On dirait que les portes de l'embauche se sont refermées tout d'un coup», dit-il.

Jean-François Théoret, de Recrutement juridique Haney, à Montréal, n'en est aucunement surpris. «Pour un avocat, ce n'est pas le meilleur temps pour se trouver un job», dit ce spécialiste en recrutement. Il nuance néanmoins ses propos en soulignant que si l'embauche est moins vigoureuse que l'an dernier, il y a tout de même des secteurs qui bougent, notamment en litige, droit du travail, insolvabilité, fiscalité.

«Mais cela ne se traduit pas nécessairement en recrutement parce que les cabinets sont prudents et attendent de voir si la crise va se résorber ou non», dit Me Théoret.

Coupes en vue?

En fait, non seulement l'embauche est rare, mais certains cabinets ont déjà commencé à «dégraisser». Au Canada, on ne connaît pas encore l'ampleur des dégâts, car le début de l'année est habituellement la période où les cabinets procèdent de toute façon à un «ménage du printemps», comme on dit dans le milieu: après les évaluations annuelles, on dit bye-bye aux avocats les moins performants.

Mais on vient d'en avoir une petite idée avec McCarthy Tétrault. Ce grand cabinet pancanadien a décidé cette semaine de licencier 3% de ses effectifs, incluant avocats et employés de soutien. Entre 15 et 20 avocats sont touchés, mais aucun des bureaux de Québec et Montréal ne perd son boulot pour le moment. L'hécatombe touche seulement les bureaux plus à l'Ouest.

Ces coupes font suite à celles annoncées plus tôt l'hiver dernier par Fraser Milner Casgrain, qui a licencié 40 personnes, incluant 10 avocats, et par le cabinet torontois Cassels Brock&Blackweel, qui a aussi viré une quarantaine d'employés et une dizaine d'avocats.

Depuis l'automne, pas une journée ne passe sans que l'on annonce licenciements, reports d'embauche et gel de salaires dans les grands et moins cabinets. En mars seulement, environ 3500 avocats et employés aux États-Unis ont perdu leur boulot, un record, et près de 23 000 ont subi le même sort ces 12 derniers mois.

Au Canada, les recruteurs juridiques soulignent que les cabinets ont été moins transparents que leurs concurrents américains, pour ne pas dire sournois, préférant espacer les licenciements en virant un ou deux avocats à la fois plutôt qu'en bloc pour que cela paraisse moins. Mais la réalité est que l'économie canadienne est moins touchée par la crise, en tout cas pour le moment, ce qui explique pourquoi les firmes d'avocats n'ont pas encore congédié massivement.

Cela pourrait-il arriver? Marc-André Blanchard, grand patron de McCarthy Tétrault pour le Québec, ne le croit pas. Au pire, dit-il, il pourrait y avoir quelques «ajustements» - lire quelques licenciements - si la situation économique dégénérait davantage. «Mais rien de comparable avec ce qui se passe à New York ou à Londres», dit-il.

En attendant, Louis Sévéno n'a pas perdu espoir. Mais il a décidé d'élargir le spectre de ses possibilités d'emploi. En plus des cabinets, il cible depuis peu les départements juridiques des entreprises. Comme plan B, il songe peut-être se lancer à son compte, notamment d'ouvrir un bureau avec un ou deux associés. Et si ça ne fonctionne pas, il pourrait bien s'expatrier comme l'ont déjà fait beaucoup de ses collègues.

«À Toronto ou ailleurs», dit-il.

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