Quel végétal, autre que les arbres, peut atténuer les changements climatiques en se nourrissant du CO2 atmosphérique ? Les algues !

Au congrès de l’Acfas, à la mi-mai à Ottawa, des chercheurs ont fait le point sur le potentiel du « carbone bleu » pour atténuer les changements climatiques.

« Les écosystèmes marins peuvent aider à stocker du carbone », explique Fanny Noisette, biologiste à l’Université du Québec à Rimouski et spécialiste de l’écophysiologie des algues de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent. « Les grandes algues capturent le CO2 de l’eau. Comme elles peuvent atteindre plusieurs mètres, elles accumulent du carbone rapidement. »

PHOTO FOURNIE PAR FANNY NOISETTE

Des laminaires sucrées près de l’île d’Anticosti

La baisse du taux de CO2 dans la mer, à cause de la croissance des algues, fait en sorte que du CO2 atmosphérique est dissous dans la mer en remplacement, parce que les taux de CO2 de l’atmosphère et de la mer sont en équilibre constant. Le CO2 est le principal gaz à effet de serre responsable du réchauffement de la planète.

Des algues de l’Arctique
  • Des algues de la baie de Cambridge, au Nunavut

    PHOTO CAMILLE LAVOIE, FOURNIE PAR MARCEL VELASQUEZ

    Des algues de la baie de Cambridge, au Nunavut

  • Des algues de la baie de Cambridge, au Nunavut

    PHOTO CAMILLE LAVOIE, FOURNIE PAR MARCEL VELASQUEZ

    Des algues de la baie de Cambridge, au Nunavut

  • Des algues de la baie d’Ungava

    PHOTO FOURNIE PAR MARCEL VELASQUEZ

    Des algues de la baie d’Ungava

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Réchauffement de l’eau

Est-ce que l’augmentation de la température et la baisse du taux d’oxygène dans le golfe posent problème ? « La désoxygénation survient dans les couches profondes, alors que les algues se trouvent là où il y a de la lumière, dans les 40 premiers mètres. Les épisodes de réchauffement, par contre, peuvent affecter leur croissance. »

PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

Des laminaires sur les côtes de Cape Cod

La réduction de la couverture de glace en hiver est un problème plus immédiat. Quand il y a moins de glace, les côtes sont plus exposées aux tempêtes hivernales, qui peuvent arracher les algues, selon Mme Noisette.

On essaie de savoir ce qui se passe quand les algues sont arrachées. C’est une grande question. Est-ce qu’elles vont couler dans le fond de l’eau, donc stocker le carbone dans les sédiments ? Ou est-ce qu’elles vont s’échouer sur le rivage et rester là pendant un cycle de marées ?

Fanny Noisette, biologiste à l’Université du Québec à Rimouski

Dans ce dernier cas de figure, les algues pourraient se décomposer et libérer le carbone accumulé quand elles ont absorbé le CO2 de l’eau.

  • Des laminaires dans le Maine

    PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

    Des laminaires dans le Maine

  • Forêt de laminaires en Colombie-Britannique

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE PÊCHES ET OCÉANS CANADA

    Forêt de laminaires en Colombie-Britannique

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Vers un inventaire canadien

Marcel Velasquez, un biologiste de l’Université Laval qui travaille sur les algues arctiques, planche de son côté sur un inventaire canadien des organismes marins capables de stocker le carbone. « Il y a en Arctique une grande quantité et diversité de forêts laminaires qui ne sont pas étudiées. » Ces forêts laminaires sont composées de grandes algues.

M. Velasquez veut élaborer un modèle permettant de prévoir la réaction des forêts de laminaires arctiques aux changements climatiques, notamment au niveau de leur croissance et donc du stockage de carbone.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ LAVAL

Marcel Velasquez

Il y a beaucoup de données de ce type sur les écosystèmes terrestres, mais très peu sur les écosystèmes marins. C’est important pour le Canada parce que l’Arctique se réchauffe cinq fois plus vite que le reste de la planète.

Marcel Velasquez, biologiste à l’Université Laval

Pour compliquer l’analyse, la fonte des glaces en Arctique libérera des sédiments, source de nutriments pour les algues.

Avant de s’intéresser à l’Arctique, le biologiste d’origine chilienne a travaillé sur les algues antarctiques en tant que « plongeur scientifique ».

Récifs artificiels

Est-il possible de favoriser la croissance des algues côtières pour qu’elles absorbent davantage de CO2 de l’eau de mer ? Dans les océans, des essais de « fertilisation » avec du fer, entre autres minéraux, pour favoriser la croissance des algues ont eu lieu.

« Dans le golfe, il n’y a pas de facteurs limitant la croissance, il ne manque pas de nutriments, dit Mme Noisette. Mais on peut favoriser leur croissance avec des récifs artificiels. Il y a des essais de ce type depuis longtemps. » Ces récifs artificiels, notamment en Gaspésie et à Sept-Îles, ont servi à l’étude du homard ou alors ont été construits comme compensation à des perturbations côtières liées à de la construction.

Selon la convention de Ramsar, qui surveille les milieux humides depuis 1971, le carbone bleu est particulièrement stable, pouvant être stocké dans les sédiments marins pendant des milliers d’années. Les « herbiers marins », les forêts d’algues comme celles qu’étudient Mme Noisette et M. Velasquez, peuvent stocker 512 tonnes de carbone par hectare, un chiffre semblable aux forêts terrestres.

PHOTO RICARDO PIANTINI, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Forêt de mangroves en République dominicaine

Le carbone bleu, qui comprend les forêts de mangroves, est responsable de la moitié du stockage de carbone des sédiments marins, même s’il n’est présent que dans 2 % de la superficie des océans. Selon la convention de Ramsar, la dégradation des écosystèmes de carbone bleu est responsable chaque année d’un milliard de tonnes de CO2, soit 20 % des émissions liées à la déforestation terrestre. Les pertes des herbiers marins sont particulièrement importantes, étant passées de 1 % à 7 % par année entre 1940 et 2020.

Pour cette raison, un récent rapport de RBC estimait l’an dernier à 130 millions CAN par année le potentiel en crédits carbone de la restauration des herbiers marins canadiens, qui ont perdu 90 % de leur superficie depuis un siècle.

« En aucun cas, le stockage de carbone par les écosystèmes marins ne constitue la solution à la surproduction de CO2 dans l’atmosphère », tient toutefois à préciser Mme Noisette.

Regardez une vidéo d’une forêt de laminaires de la côte ouest américaine (en anglais)
En savoir plus
  • 40 cm
    Croissance maximale par jour de certaines espèces de laminaires
    Source : noaa
    53 m
    Taille maximale de la laminaire Macrocystis pyrifera, dans l’océan Pacifique
    SOURCE : oceana
  • 1,3 milliard
    Absorption annuelle de CO2 atmosphérique, en tonnes, des algues marines de la planète
    Source : Global Ecology and Biogeography
    2 milliards
    Absorption annuelle de CO2 atmosphérique, en tonnes, des forêts terrestres de la planète
    Source : Nature