Plus de 30 ans après la dernière épidémie importante au Québec, la rougeole fait à nouveau les manchettes. Des chercheurs tentent de comprendre comment le virus réussit à anéantir l’immunité contre d’autres maladies.

Amnésie

À la fin des années 1980, Brian Ward, infectiologue à l’Université McGill, s’est retrouvé aux premières loges d’une découverte majeure sur la rougeole, à l’Université Johns Hopkins, à Baltimore, par Diane Griffin.

Contrairement à la plupart des virus respiratoires, celui de la rougeole cible les cellules du système immunitaire. La mémoire immunitaire est effacée, ce qui rend les patients vulnérables à toutes les infections par la suite.

Le Dr Brian Ward, infectiologue à l’Université McGill

Dans les pays riches, le risque de la rougeole est surtout lié à cette amnésie immunitaire. « On appelle cela le paradoxe de la rougeole. Le virus supprime l’immunité à d’autres agents infectieux, mais suscite une forte réaction immunitaire. C’est notamment ce qui explique que le vaccin contre la rougeole est si efficace », explique Rik de Swart, virologue au centre médical Erasmus à Rotterdam, qui est l’autre chercheur important dans ce phénomène.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ D’ÉTAT DE GÉORGIE

Richard Plemper, microbiologiste à l’Université d’État de Géorgie

Quelques chercheurs travaillent sur des médicaments qui pourraient empêcher la rougeole de provoquer une amnésie immunitaire. « Nous sommes au stade où nous avons identifié plusieurs cibles d’action, explique Richard Plemper, microbiologiste à l’Université d’État de Géorgie dont les travaux sur le sujet viennent d’être publiés dans Nature Communications. Mais il nous reste beaucoup de chemin à parcourir. »

Le succès du vaccin explique la lenteur des progrès. « Il n’y a pas beaucoup d’argent pour la recherche parce que la rougeole n’est généralement pas un problème dans les pays riches, dit le DWard. Il faut voir s’il y aura plus de fonds avec l’augmentation récente du nombre de cas. »

La vitamine A

L’autre avenue de recherche sur la rougeole est le traitement. « Dans les années 1990, un ophtalmologiste de Johns Hopkins a voulu réduire la cécité liée à la rougeole en Indonésie en donnant de la vitamine A aux enfants, dit le DWard. Ça a fonctionné, et la mortalité a aussi chuté de 30 %. Le succès du traitement à la vitamine A a été reproduit en Afrique du Sud. C’est la raison pour laquelle l’Organisation mondiale de la santé recommande des programmes de suppléments de vitamine A. »

Le DWard travaille sur des médicaments qui agissent de la même façon que la vitamine A sur le virus de la rougeole, mais qui seraient encore plus efficaces. Les premiers résultats – sur un modèle animal et sérologiques – pourraient être publiés cette année.

Le vaccin reste champion

Tous les chercheurs interviewés par La Presse pensent que la meilleure manière de contrer la rougeole est avec le vaccin.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DU CENTRE MÉDICAL ERASMUS

Le Dr Rik de Swart, virologue au centre médical Erasmus à Rotterdam

Le vaccin est la solution numéro 1, la solution numéro 2 et la solution numéro 3 à la rougeole.

Le Dr Rik de Swart, virologue au centre médical Erasmus à Rotterdam

Mais comme il semble de plus en plus difficile de convaincre certains secteurs de la société de se faire vacciner, il faut continuer la recherche sur les traitements, ajoute M. Plemper.

La Dre Griffin, pionnière de l’amnésie immunitaire, travaille maintenant sur des traitements. L’an dernier, dans la revue Scientific Reports, elle a montré que l’antiviral remdésivir, utilisé contre la COVID-19, a un effet temporaire sur la rougeole. « Mais dès qu’on arrête le remdésivir, la rougeole reprend, dit la Dre Griffin. Ça montre quand même qu’un traitement est envisageable, il suffit d’essayer d’autres molécules. »

Échecs secondaires

Les éclosions qui frappent depuis une dizaine d’années des pays où la rougeole avait été éradiquée ont aussi amené une meilleure compréhension des échecs vaccinaux. « Le vaccin ne marche pas pour environ 5 % des gens, dit le DWard. On appelle ça un échec primaire du vaccin. Mais il y a aussi d’autres personnes chez qui l’immunité contre la rougeole diminue plus rapidement après la vaccination. Ces échecs secondaires augmentent d’environ 5 % par décennie la proportion des gens vaccinés qui sont vulnérables à la rougeole. »

Les échecs secondaires ne sont toutefois pas liés à la transmission de la maladie. « Une analyse d’une éclosion à New York en 2018-2019 a montré que les gens qui ont un échec secondaire du vaccin contre la rougeole ont plus de risques d’être malades, mais de manière moins grave et ils transmettent rarement le virus », dit le Dr de Swart.

Pourrait-on envisager une troisième dose de vaccin pour contrer les échecs secondaires ? « Non, parce que ce sont des gens chez qui la protection du vaccin dure moins d’un an », dit le Dr de Swart.

Un débat a toutefois lieu sur la réponse à ces échecs secondaires : ces patients devraient-ils ravoir leurs vaccins de petite enfance, dont l’effet protecteur est supprimé par l’amnésie immunitaire causée par la rougeole ? « Étant donné l’ampleur des éclosions cette année, beaucoup de médecins l’envisagent », dit la Dre Griffin.

En savoir plus
  • De 200 000 à 700 000
    Nombre annuel de cas de rougeole au Canada avant l’introduction du vaccin en 1964
    Source : Santé Canada
    10 000
    Nombre de cas de rougeole au Québec en 1989, dernière grande épidémie
    Source : INSPQ
  • 776
    Nombre de cas de rougeole au Québec en 2011, le record depuis 1989
    Source : INSPQ
    11 %
    Proportion des cas de rougeole ayant nécessité une hospitalisation au Québec en 2011
    Source : INSPQ
  • De 49 à 159
    Nombre de cas de rougeole au Québec lors des éclosions de 2007, de 2015 et de 2019
    Source : INSPQ