Samedi, la sonde spatiale russe Luna-25 s’est écrasée sur la Lune. Il s’agit d’une douche froide pour la Russie, qui tentait de valider sa capacité actuelle à explorer l’espace lointain.

Qu’est-ce qui s’est passé, au juste ?

Luna-25 « a cessé d’exister » après s’être écrasée sur la surface de la Lune, à la suite d’un incident survenu lors d’une manœuvre préalable à son alunissage. Samedi à 14 h 57 (soit 7 h 57, heure de l’Est), les communications avec la sonde ont été interrompues. « Les mesures prises les 19 et 20 août pour rechercher l’appareil et entrer en contact avec lui n’ont donné aucun résultat », a mentionné Roscosmos – l’agence chargée du programme spatial civil russe – dans un communiqué diffusé à l’intention des médias. La cause du problème technique est encore inconnue, et un comité est chargé de se pencher sur le sujet.

Quelle était l’idée derrière cette mission ?

Elle avait deux objectifs : d’abord, tenter de confirmer s’il y a bel et bien de l’eau au pôle Sud de la Lune, mais surtout, tester la capacité des Russes à réussir une mission d’exploration spatiale lointaine plusieurs décennies après les succès soviétiques. Le pays est tributaire d’une « longue tradition aérospatiale », souligne Robert Lamontagne, astrophysicien affilié à l’Université de Montréal, mais a pris du retard au cours des 20 à 30 dernières années pour des raisons politiques et économiques. « C’était surtout de démontrer qu’ils sont revenus dans la course, estime-t-il. C’est un échec pour eux. »

Plus largement, qu’est-ce que cet échec signifie ?

Le programme spatial russe, autrefois un géant qui rivalisait directement avec les Américains, est en mauvaise posture. La dernière mission spatiale russe ayant pour but de se rendre sur la Lune, par exemple, remonte à 1976. « Ce n’est pas qu’ils ne savent plus comment faire, c’est qu’ils ont perdu l’expertise. Ils sont en train de reconstruire leur programme », explique M. Lamontagne, soulignant qu’il est négativement affecté par la corruption « emblématique » du pays. « On ne peut pas vraiment voler dans l’espace, ou du moins, voler dans l’espace pendant longtemps, sans une meilleure électronique », a pour sa part déclaré Anatoly Zak, du site spécialisé RussianSpaceWeb.com, dans une entrevue avec le New York Times. « L’électronique soviétique a toujours été en retard. […] En fait, le programme spatial russe entier est affecté par ce problème. »

Il y a une dimension politique dans tout ça, non ?

Absolument. « Dans le cas de Luna-25, les Russes avaient une collaboration avec l’Agence spatiale européenne et l’ont perdue à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Ils ont dû redévelopper ce qui ne leur était plus fourni, indique Robert Lamontagne. Avec moins d’un an et demi [pour se préparer], le taux de succès était faible, et on a la confirmation qu’ils ont manqué leur coup. » Longtemps, le programme spatial a été une fierté symbolique soviétique. Ainsi la Russie prend-elle assurément un coup à l’orgueil, surtout que la course à l’espace touche à plusieurs aspects : « scientifique, technologique et géopolitique, puis même économique ».

PHOTO FOURNIE PAR ROSCOSMOS, ARCHIVES REUTERS

Le cratère Zeeman, sur la face cachée de la Lune, photographié par la sonde Luna-25, jeudi dernier

C’est compliqué, de se poser sur le pôle Sud de la Lune ?

Personne n’a encore réussi à le faire. Le terrain y est beaucoup plus accidenté que les plaines lunaires où se posaient les missions Apollo, à l’époque. De plus, le manque d’éclairage complique l’alimentation à l’énergie solaire, et « il faut modifier la trajectoire en vol en plus de faire des orbites de transfert » pour s’y rendre. Luna-25 était un atterrisseur qui devait se poser en douceur, ce qui est « très compliqué sur un corps céleste extérieur à la Terre ». Lorsqu’il n’y a pas d’atmosphère, « la seule façon de se poser, c’est d’utiliser des rétrofusées. On doit prévoir une séquence d’atterrissage automatisée, parce qu’on ne peut pas commander en temps réel », illustre l’astrophysicien.

Quelle est l’importance de la Lune en termes d’exploration spatiale ?

Le « vaste objectif » sur une dizaine d’années, et ce, pour plusieurs pays, est d’atteindre la planète Mars. « La Lune fait partie de la stratégie, car l’idée serait d’en faire un camp de base, un bon point de départ. On a découvert qu’il y a très probablement de l’eau sur la Lune, affirme Robert Lamontagne. Ça, c’est bon parce qu’on peut la boire, mais aussi cultiver sa nourriture, produire de l’oxygène et du carburant, ça diminue notre dépendance à la Terre. C’est donc extrêmement convoité parce que ça donne un avantage indéniable. »

Si les Russes prennent du retard, qui sont les meilleurs actuellement dans ce domaine ?

Les États-Unis règnent toujours dans une classe à part. « Mais je pense que les Américains ont les Chinois dans le rétroviseur. […] Ils les rattrapent très rapidement, avec un programme méthodique et structuré. Ils ont aussi les ressources humaines et économiques nécessaires. » La Chine, dont le programme date de la fin des années 1990, a déjà réussi à se poser sur la face cachée de la Lune et sur Mars. Depuis une bonne dizaine d’années, elle est donc bonne deuxième. « La NASA, c’est très transparent. Les Russes, c’est un peu opaque. À la limite, on peut se demander si le volet scientifique civil est au courant de ce que le militaire fait », remarque Robert Lamontagne. Le seul moyen pour la Russie de revenir flirter avec le sommet dans un avenir rapproché réside dans une hypothétique collaboration avec la Chine, qui ne risque pas nécessairement de voir le jour.

Avec l’Agence France-Presse et The New York Times