Le télescope spatial européen Euclid a décollé samedi pour tenter d’éclairer l’une des plus grandes énigmes scientifiques, la matière noire et l’énergie sombre, qui constituent 95 % de l’Univers mais dont on ne sait quasiment rien.

Le satellite s’est envolé depuis Cap Canaveral, en Floride, à 11 h 12 locales à bord d’une fusée Falcon 9 de l’entreprise américaine SpaceX.

Le télescope de deux tonnes va être placé à 1,5 million de kilomètres de la Terre.

Euclid, du nom du père de la géométrie, est « la première mission spatiale à étudier les propriétés de l’énergie sombre », avait souligné avant le décollage Michael Seiffert, responsable scientifique du projet pour la NASA, qui participe à cette mission de l’Agence spatiale européenne (ESA).  

Durant six ans, la sonde dressera une carte en trois dimensions de l’Univers, englobant des milliards de galaxies, sur une portion d’un tiers de la voûte céleste. Les galaxies lointaines observées permettront de remonter le temps jusqu’à il y a 10 milliards d’années – le temps qu’a pris leur lumière pour nous parvenir.

L’immense quantité de données récoltées seront rendues publiques pour que la communauté scientifique puisse s’en saisir, à la suite des quelque 2600 chercheurs membres du consortium Euclid, issus d’une quinzaine de pays.  

Forces opposées

La matière noire (25 % de l’Univers) et l’énergie sombre (70 %) ont des effets opposés : quand la première exerce une attraction qui assure la cohésion des galaxies, l’énergie sombre provoque elle la dispersion des objets cosmiques.  

Pour la première, la matière noire, on sait qu’elle existe à cause d’un constat mystérieux : impossible d’expliquer comment une galaxie ou un groupe de galaxies ne se disperse pas en ne prenant en compte que la gravité de leurs éléments visibles (planètes, étoiles…).

« Vous devez faire l’hypothèse d’une quantité additionnelle de matière, invisible à nos télescopes, comme une composante gravitationnelle qui tient tout ensemble », explique Michael Seiffert.

Ce « ciment » cosmique a été baptisé matière noire.  

Jamais observée directement, il pourrait s’agir de particules subatomiques, selon certaines hypothèses.

L’énergie sombre est elle peut-être encore plus énigmatique.

Depuis les découvertes du célèbre astronome Edwin Hubble dans les années 1920, on sait que l’Univers est en expansion. Et depuis les années 1990, que cette expansion s’accélère.  

Or cela « implique que sur de très grandes échelles, la gravité contient en réalité une composante répulsive qui écarte les choses les unes des autres », expose M. Seiffert. Cette force, c’est l’énergie sombre, « un grand mystère de la physique ».  

Carte 3D

La méconnaissance de ces deux composantes sombres a été qualifiée de « situation embarrassante » par le responsable de la mission Euclid à l’ESA, Giuseppe Racca.  

Le satellite n’a toutefois pas pour objectif de déterminer leur nature (trop ambitieux), mais d’abord de mieux comprendre leur propriété, la manière dont elles agissent et évoluent à travers le temps.

Grâce à sa carte en 3D, le télescope permettra des mesures précises sur la distribution des galaxies et l’expansion de l’Univers.  

De ces observations, la matière noire et l’énergie sombre seront déduites « indirectement », a expliqué Giuseppe Racca. Calculer la matière noire pourra être fait en « soustrayant » la matière visible.  

Pour l’énergie sombre, David Elbaz, astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et membre de la collaboration Euclid, dresse le parallèle avec un ballon de baudruche : l’énergie sombre serait le souffle qui fait gonfler le ballon. Observer comment il grossit sera donc riche d’enseignement.

L’accélération de l’expansion de l’Univers aurait démarré il y a six milliards d’années. En remontant à 10 milliards d’années, Euclid pourrait observer les premiers effets de l’énergie sombre.

Destin de l’Univers

Toutes ces données pourraient également éclairer le destin de l’Univers. La façon dont il continuera à s’étendre – peut-être, dans plusieurs dizaines de milliards d’années, jusqu’à éloigner les planètes de tout Soleil voire déchirer les atomes-dépendra des propriétés de l’énergie sombre, qu’Euclid doit aider à mesurer, souligne Michael Seiffert.

Le télescope embarque deux instruments : un imageur observant en lumière visible (VIS) et un spectro-imageur proche infrarouge (NISP).

Il n’a que son antenne à déployer en vol, et devrait être opérationnel au bout d’environ trois mois.

D’un coût de 1,5 milliard d’euros, la mission européenne doit durer jusqu’en 2029 minimum.

La NASA prévoit elle aussi de lancer d’ici quelques années une mission dédiée à l’exploration de la matière noire, le télescope spatial Nancy Grace Roman.