Sécheresses, inondations et hausse du niveau de la mer. Les catastrophes annoncées avec les changements climatiques laissent souvent présager des migrations massives. Les experts réunis au dernier congrès annuel de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), début mars à Washington, pensent que ces prévisions sont exagérées.

Il y a trois ans, Fabrizio Natale a commencé à éplucher les bases de données météorologiques et démographiques africaines.

« Notre but était de voir s’il y aurait réellement un exode massif de l’Afrique vers l’Europe à cause des changements climatiques, comme le prédisent des analyses alarmistes », explique le chercheur du Centre commun de recherche (JRC) de la Commission européenne, en entrevue en marge de la session de l’AAAS. « Dans certains cas, on parlait de millions de personnes. »

Pour y voir clair, ils ont divisé l’Afrique subsaharienne en cellules de 25 km⁠2 avec des données allant de 1975 à 2015. Si la thèse des migrations climatiques est juste, on devrait déjà voir les résultats avec les changements climatiques des dernières décennies, explique M. Natale.

Résultat : le climat semble avoir eu peu ou pas d’influence sur les migrations.

« On a vu un petit effet au Sahel pour les sécheresses, mais c’est tout, dit M. Natale. Les communautés les plus affectées par les changements climatiques semblent prisonnières de leur domicile. D’autres études montrent que les sécheresses appauvrissent les populations. Or, il faut de l’argent pour émigrer. »

PHOTO JOSH HANER, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des migrants fuient le Sahel, près d’Agadez, au Niger, en 2016.

M. Natale peaufine maintenant son analyse avec des cellules d’un kilomètre et des données jusqu’en 2021. À noter, les migrations enregistrées par l’analyse de M. Natale concernaient des gens qui sortaient de leur carré de 25 km d’origine. Et même à cette petite échelle, les migrations climatiques semblaient rares.

« Émigrer coûte cher »

Hélène Benveniste, géostatisticienne de l’Université Harvard, fait partie des chercheurs qui se sont intéressés aux comportements migratoires des populations les moins nanties de la planète.

Dans Nature Climate Change en 2022, elle a conclu que d’ici 2100, les changements climatiques diminueront de 10 % à 35 % la probabilité de migration des populations les plus pauvres du globe. « Émigrer coûte cher », dit Mme Benveniste, qui n’était pas au congrès de l’AAAS.

Les plus pauvres des pays défavorisés doivent économiser des années pour arriver à migrer. Si un choc climatique survient, ils ne peuvent pas le faire tout de suite. Il faut mettre en place des mesures pour aider les plus pauvres des pauvres dans leurs pays.

Hélène Benveniste, géostatisticienne de l’Université Harvard

Les chocs climatiques ont moins d’impact sur les classes moyennes des pays pauvres, qui par ailleurs sont moins affectées par les sécheresses.

Justement, une autre conférencière de l’AAAS, Esha Zaveri, de la Banque mondiale, note que les populations les plus pauvres des pays en voie de développement, qui sont généralement rurales, ont tendance à migrer vers les villes de leurs pays lors de « chocs climatiques ».

« Des études ont montré qu’une aide financière peut alors faciliter la migration, explique Mme Zaveri. Sinon, il faut que ces ménages plus pauvres économisent avant de migrer. Mais on peut aussi aider les pauvres qui ne désirent pas migrer avec des programmes ciblés qui restent à déterminer. »

Pression démographique

Ailleurs dans le monde, ce n’est pas la sécheresse qui pose problème, mais la montée des eaux. Les nations insulaires du Pacifique ont régulièrement fait la manchette à ce sujet.

« Dans la plupart des cas, quand on dit qu’il faut abandonner des îles, c’est à cause du manque d’eau », explique Alex de Sherbinin, géographe à l’Université Columbia de New York, aussi conférencier à l’AAAS.

PHOTO JOSH HANER, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Un Kiribatien marche dans l’eau à Tarawa-Sud à la marée haute

« Généralement, c’est à cause d’une extraction trop forte des nappes phréatiques à cause de la pression démographique. Mais plus récemment, on a vu aussi des cas d’infiltration d’eau salée à cause de la montée du niveau de la mer. Cela dit, d’ici 2100, il va y avoir des nations insulaires qui vont disparaître. »

L’ONU estime que 50 000 personnes quittent chaque année des îles du Pacifique à cause des changements climatiques et des catastrophes naturelles. Cette confluence mêle parfois les cartes.

« En Amérique centrale, on a entendu parler de gens qui migraient après les ouragans Eta et Iota et aussi parce que la sécheresse estivale est de plus en plus longue », dit M. de Sherbinin.

C’est d’ailleurs une question de recherche pressante, quantifier le rôle du climat et des autres facteurs dans les décisions de migration.

Alex de Sherbinin, géographe à l’Université Columbia de New York

En 2021 un rapport du Programme alimentaire mondial de l’ONU estimait à 6 % la proportion des migrants de l’Amérique centrale citant les changements climatiques comme raisons de leur migration.

Le géographe new-yorkais précise qu’il préfère ne pas utiliser le terme « réfugié climatique ».

« Les conventions actuelles sur les réfugiés ne prévoient pas les demandes d’asile climatique. Il pourrait y avoir un recours pour les migrants vraiment climatiques en vertu du droit humanitaire, mais ça reste à démontrer. »

Retrait planifié

En 2021, l’ONU a lancé avec des États-nations insulaires du Pacifique l’Initiative des nations montantes (RNI). L’un des objectifs immédiats est de préserver les droits maritimes des nations insulaires qui vont devoir être abandonnées avec la montée du niveau de la mer.

PHOTO JOSH HANER, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Une partie de l’atoll de Tarawa-Sud, le plus populeux de la nation insulaire de Kiribati, menacée par la hausse du niveau de la mer

« Mais on évoque aussi la possibilité que des pays riches accueillent certaines nations à titre de réparations pour les émissions de gaz à effet de serre du passé, dit M. de Sherbinin. Ça serait plus facile dans des pays qui ont déjà des ententes territoriales avec leurs propres nations autochtones, comme le Canada et les États-Unis. »

Quoi qu’il en soit, les chercheurs tiennent pour acquis qu’il y aura des migrations avec les changements climatiques.

M. de Sherbinin accueille à la fin de juin à l’Université Columbia la troisième conférence sur le « retrait planifié » (managed retreat), qui inclut des présentations allant des programmes gouvernementaux de rachat de propriétés fréquemment inondées par le gouvernement américain au débat épineux sur la possibilité que les changements climatiques exacerbent les conflits.

En savoir plus
  • 10 %
    Proportion de l’augmentation des migrations entre 1970 et 2000 qui est liée à la sécheresse
    Source : Banque mondiale
    80 %
    Les ménages les plus pauvres du tiers-monde sont 80 % moins susceptibles de migrer que les plus riches si leur région est touchée par une sécheresse.
    Source : Banque mondiale
  • 12 %
    Diminution de la croissance démographique des villes touchées par une sécheresse nécessitant le rationnement en eau pendant plus d’une semaine
    Source : Banque mondiale